"L'axe social est aussi important que l'environnemental" : la créatrice de mode Christine Phung lance un label engagé ancré dans l'air du temps
Alliant depuis toujours des techniques traditionnelles de couture à des technologies modernes, ses créations sont inspirées par les formes géométriques, organiques et architecturales, par l’art contemporain et celui du motif. Œuvrant pour une mode engagée, Christine Phung propose avec son nouveau label une capsule arty tout en assurant en parallèle la Directrice Artisque de Lafrançaise, Mailles in France.
Rencontre avec une créatrice engagée qui a retrouvé de la joie dans la création.
Franceinfo Culture : Vos chemises et robes chemises sont en coton biologique, imprimées avec des encres éco certifiées et confectionnées en France dans un atelier de couture à Paris.
Christine Phung : Oui. En fait, ce Covid m'a vraiment impacté avec une prise de conscience sur une surproduction et une démesure de notre milieu. Il faut comprendre que chacun de ces critères est difficile à mettre en place et que l'axe social est aussi important que l'environnemental. Il ne suffit pas de prendre un coton bio, ce qui est hyper important dans le vêtement c'est aussi la manière dont il est fait. Les droits du travail, le respect de l'humain, c'est fondamental !
Les jupes et foulards, eux, sont cousus à la Fabrique Nomade, atelier solidaire d'insertion professionnelle des artisans d’art migrants et réfugiés en France.
Je devais faire 50 foulards dans un voile de coton mais il y avait une légère différence de tonalités avec les couleurs de ma chemise. J'ai donc annulé mes 50 foulards. Je cherchais un confectionneur - et je n'aurais jamais pensé à eux - et c'est à ce moment-là que la Fabrique Nomade m'a contacté. C'était l'occasion idéale : je n'avais alors besoin que d'une commande de 10 foulards et ils ont accepté. Avec le reliquat de tissu, j’ai réalisé 25 jupes. Une erreur qui s'est transformée en succès puisque je les ai toutes vendues.
Cela me perturbe un peu : je voulais faire une ligne de mono produit autour d'un vestiaire masculin gender fluide avec des pièces essentielles comme la chemise et au final c'est une petite capsule mais j'adore quand les erreurs s’immiscent dans le process de création !
Pouvez-vous me retracer votre parcours professionnel ?
Après avoir étudié la mode à l’Ecole Duperré puis à l’IFM Paris, j'ai monté ma marque en 2011 et gagné le Prix des Premières Collections de l’Association nationale pour le développement des arts de la mode (ANDAM) en 2013. En 2016 et pendant 5 ans, j'ai été Directrice Artistique de la maison Leonard, puis Directrice Artistique Image de la marque de lingerie Princesse Tam Tam pendant deux ans. Aujourd'hui, je relance ma marque avec un engagement durable : l'idée étant de faire une ligne de produits autant arty, donc créatifs, qu'émotionnellement forts. En parallèle, je suis Directrice Artisque de Lafrançaise, Mailles in France dont j'accompagne la relance.
Quelle est la différence entre votre marque lancée en 2011 et ce nouveau label ?
Ma marque lancée en 2011 se voulait un laboratoire de créations explorant toutes les frontières qu'il peut y avoir entre la couture et le sportwear. Je proposais des lignes complètes avec des robes, des blouses, des manteaux, de la maille. Là je repars avec un projet plus resserré pour optimiser les productions, toutes faites en France avec un engagement maximal en termes d'écologie : des chemises, des robes, des jupes, des foulards, des casquettes dans une belle palette de couleurs, soit une dizaine de produits. Ma quête a toujours été de chercher cette vibration assez spéciale que possèdent certaines tonalités qui dégagent de l'énergie et de la lumière. Les porter te rend plus lumineux, cela te renforce : ma palette est énergétique, je la dose avec des neutres. Avec elle, je retrouve de la joie dans la création.
L'idée aussi était de se simplifier car le plus dur pour un créateur indépendant, c'est la production. Il faut avoir des gros volumes pour dégager des bonnes marges qui permettent d'avoir les bons prix. C'est très compliqué quand on se disperse sur beaucoup de références. Donc pour un modèle économique viable, il faut se recentrer sur un vestiaire essentiel mais créatif pour conjuguer désirabilité et responsabilité. J'ai opté pour un système hybride : au moment où mes prototypes ont été prêts, j'ai ouvert à la précommande.
En fait, notre milieu est paradoxal : c'est l'une des plus grosses industries et il est hyperdifficile d'exister en dehors des grands groupes et, en même temps, ces derniers ont besoin qu'il y ait une jeune création.
Vous avez présenté votre label dans la boutique de bijoux brodés Macon & Lesquoy, près de République ?
On se connaît depuis 20 ans avec la directrice de création Marie Macon. Elle voulait absolument une jupe, c'était mon avant-dernière, je lui ai offert. En remerciement, elle m'a dit : j'aime ce que tu fais et je t'invite dans ma boutique rue Yves Toudic pour deux mois [jusqu'au 26 octobre]. C'était idéal car sa boutique parisienne est située dans un quartier où la clientèle a une conscience éveillée envers une démarche engagée et créative, des gens qui ont ce pas d'avance de vouloir changer le monde.
En septembre dernier vous participiez au pop-up Fashion Green Room au Printemps Haussman à Paris
Oui, je fais partie de Fashion Green Hub [association à but non lucratif fondée en 2015 qui compte 530 entreprises membres]. Ce concept store mutualisé rassemble des créateurs engagés avec des créations écoconçues et fabriquées en petites séries. Tout le mois de septembre, j'ai été vendue au 7e ciel du Printemps dans cet étage entièrement dédié à la mode circulaire. Chaque mois jusqu'à fin décembre, le Fashion Green Room présente des sessions de sept créateurs.
Engagée dans la mode de demain, vous accompagnez aussi la transformation de la marque Lafrançaise qui s’inscrit dans la mouvance du made in France, de l’éthique et de l’écoresponsable.
Oui, c'est une amie commune, Catherine Jacquet - ancienne Directrice Générale du créateur Christophe Lemaire - qui m'a présenté Ludovic Samson, le fondateur de Lafrancaise. Elle a pensé à moi pour un vestiaire cool et contemporain. Je travaille à 360 degrés autant en direction artistique produits qu'images : vous pouvez faire le plus joli produit mais si vous ne communiquez pas avec la bonne fille, la bonne photo, le bon photographe, le bon message, vous n'atteignez pas vos objectifs. Nous sommes dans un monde de l'image : toutes ces marques qui cartonnent (Ami, Jacquemus) l'ont bien compris, elles font un produit bien pensé mais ont aussi une image hyperpertinente
À l'usine - où je travaille avec leur modéliste et leur styliste -, Catherine Jacquet m'a beaucoup accompagnée sur le repositionnement de la marque. Initialement lancée il y a 5 ans, elle offrait beaucoup de produits - du chaîne et trame, des chemises, des jeans, des pulls...- et était distribuée en vente à domicile par la société propriétaire B.Solfin, plus senior. Lafrançaise ne rencontrait alors pas sa cible plus jeune. On l'a donc repositionnée sur son savoir-faire maille, son cœur de métier. La maille, c'est magique, cela s'adapte à la morphologie, au mouvement, cela tient chaud mais c'est une fibre en plus assez climatique qui convient aussi l'été.
Qu'est ce qui vous a séduit dans cette entreprise dotée d’un savoir-faire de tricotage remaillage depuis 1923 ?
Cela a été hypertouchant de me rendre compte que leur unité de production existe depuis 100 ans [créée en 1930 dans le bocage vendéen, B. Solfin reprend en 2010 les tricots Philips implantés à Villers-Bocage] et qu'il y a un territoire de savoir-faire à défendre. Cet axe social m'a paru fondamental en cette période hypermouvementée où beaucoup de marques françaises coulent. C'est un vrai combat d'aller soutenir une unité de production avec des machines qui tricotent et remaillent encore à la main mais aussi de soutenir une activité régionale en Normandie en donnant du travail et un métier à ces femmes. C'est vraiment le sens complet de la mode, ce n'est pas le tout de faire des beaux vêtements !
Que propose ce vestiaire automne hiver 2023-24 ?
En me calquant sur les sujets contemporains et sur certaines marques qui marchent (Sezanne, Ami), j’ai proposé de beaux pulls en maille française bien faits et colorés : des silhouettes 100% maille sont déployées sur 50 références avec des variantes couleurs et des colors blocks sur des pulls, des jupes, des vestes, des robes gilets, des robes pulls, des joggings, des cols amovibles, des bonnets, des écharpes mais aussi des jacquards et des mailles ajourées avec une technologie 3D qui tricote un modèle avec un seul fil et sans couture. On a revisité les essentiels, ainsi ce pull trois couleurs - col gris, manches blanches, corps bleu... - offre une lecture de la coupe sublimée par l'emploi de ces couleurs.
Ma quête c'est la liberté de mouvement et de pensée qui rend libre car tu n'es pas entravé. On a respecté la gamme de prix pour être accessible à moins de 200 euros. La marque est vendue, entre autres, sur leur site et à la boutique de l'Exception à Paris.
Quels sont vos projets ?
Je continue les consultings à l'international, dont récemment en Asie pour des marques.
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