Salon du livre jeunesse de Montreuil : pourquoi les ados aiment tant les romans post-apocalyptiques ?
Catastrophes naturelles, cyber-attaques, fin du monde... Pourquoi les ados aiment-ils se faire peur avec des romans post-apocalyptiques ?
Apparus depuis une dizaine d'années, avec notamment la trilogie Hunger Games de Suzanne Collins parue en 2008, les romans de type "dystopiques" ou post-apocalyptiques sont devenus les romans chouchous des ados. Ils les dévorent en séries, et les éditeurs répondent à cet appétit en lançant des collections qui lui sont consacrées.
Mais qu'est-ce qui plaît autant aux ados dans cette littérature à première vue angoissante ?
D'abord, c'est quoi un roman "dystopique" ou post-apocalyptique ?
Une dystopie, c'est un peu l'inverse d'une utopie. Romans d'anticipation, ou de science-fiction, le roman dystopique décrit un monde post-apocalyptique dans lequel des héros sont mis en scène dans une situation dramatique, de guerres, de catastrophes naturelles, ou encore de dérèglements technologiques.
Ce genre littéraire ne date pas d'hier, Le Meilleur des mondes (1932), 1984 de George Orwell (1949) ou encore les romans de l'Américain Ray Bradbury ont depuis longtemps popularisé ce genre littéraire aux couleurs sombres. Depuis une dizaine d'années, les écrivains pour la jeunesse se sont emparés du genre et les "dystopies" ou romans post-apocalyptiques ont envahi les rayons jeunesse des librairies.
"Cette mode des romans post-apocalyptiques a fleuri il y a une dizaine d'années, mais explosé depuis 5 ans, avec des romans comme "U4". U4 (Nathan / Syros), une série de quatre romans publiés en 2015, co-écrits par quatre auteurs, Florence Hinckel, Carole Trébor, Vincent Villeminot et Yves Grevet, chacun racontant cette histoire post-apocalyptique à travers le regard d'un adolescent. Depuis, l'intérêt pour cette littérature n'a fait qu'amplifier. Mais pourquoi les ados sont-ils si friands de ces histoires de fin du monde ?
Parce qu'ils leur permettent d'imaginer un monde meilleur
Ces romans mettent "en scène des jeunes gens auxquels les ados peuvent s'identifier, dans des histoires où ils sont confrontés à un monde détruit, dans lequel il faut trouver la manière de se reconstruire", souligne Nathalie Donikian, directrice éditoriale du salon de Montreuil.
"Comment je me positionne dans un monde qui ne va pas, quel est mon rapport aux autres ? sont les questions abordées dans ces romans qui parlent aussi de la relation au collectif", ajoute-t-elle. "L'adolescence est une période de tensions, et cela leur permet je pense, de se projeter dans une fiction qui fait écho à leurs propres angoisses", souligne Nathalie Donikian.
"C'est une génération qui a intériorisé l'idée que la fin du monde est envisageable, ou en tous cas la fin d'un monde", remarque de son côté Jérôme Leroy, auteur de Lou après tout (Syros), un roman qui met en scène Lou, une jeune fille orpheline, et son protecteur, Guillaume, dans un monde post-apocalyptique, dans un avenir proche. Sélectionné pour les Pépites, le roman a suscité de nombreuses discussions lors des délibérations des ados, même s'il n'a finalement pas recueilli les suffrages.
"C'est un monde tellement horrible, qu'il décrit. Mais si ça se trouve, si on ne fait pas attention, c'est ce qui va arriver", souligne Emilie, 14 ans membre du jury des pépites Fiction ado pendant les délibérations. Pour Jules, 16 ans, également jury, "même si c'est une projection à court terme, c'est plausible, c'est envisageable."
Pour Denis Guiot, directeur de la collection "Soon" chez Syros, la science-fiction a mis "des décennies avant de percer, que ce soit pour le public adulte ou le public jeune, mais aujourd'hui on vit dans un monde de science-fiction, la science-fiction est partout, dans nos gadgets technologiques, dans les percées scientifiques, et aussi en BD ou au cinéma", remarque-t-il. "Aujourd'hui les ados accrochent. C'est une littérature qui les distrait, qui les fait sortir de leur quotidien, et qui en même temps les renvoie à une réflexion, discrètement".
Parce qu'ils font réfléchir sur le monde d'aujourd'hui
Un roman d'anticipation, utopique ou dystopique, "réfléchit aux liens entre l'humanité et la technologie. C'est un moyen de regarder le présent en exagéré", souligne Vincent Villeminot, auteur de Nous sommes l'étincelle (PKJ), un roman qui raconte la sécession d'un groupe d'adolescents dans un monde devenu violent. Ils ont gagné la forêt et tenté de construire un nouveau monde.
"Ce qui nous inspire", remarque Jérôme Leroy, répondant à un adolescent qui lui pose la question lors d'une rencontre au salon du livre jeunesse de Montreuil, "c'est le constat de l'état de la société aujourd'hui. Certes, aujourd'hui, ici, on ne vit pas dans un monde effondré, mais dans certaines zones du globe, des êtres humains vivent déjà dans une situation d'effondrement, dans des sociétés où il n'y a plus de structures étatiques, où les catastrophes naturelles provoquent le chaos, où c'est la guerre, où on meurt de faim."
"Nous ne sommes pas des prophètes, mais des sismographes", remarque Jérôme Leroy. "Et le rôle de l'écrivain n'est pas de répondre à ces questions, mais de les reformuler pour les proposer à leur réflexion".
"Comme le disait Bradbury, un grand auteur de SF, la science-fiction n'invente pas des mondes pour y arriver, mais pour les empêcher, comme un cri d'alarme", ajoute Denis Guiot. "Ces romans nous disent : voilà ce qui se passera si on extrapole notre présent. En fait, ce sont des livres très politiques."
Parce que les ados ne sont pas dupes
Le roman dystopique ou post-apocalyptique répondrait aux attentes de cet âge, l'adolescence étant, rappelle Jérôme Leroy "une période d'inquiétude, et de questionnements". "Oui ces romans sont durs, mais la réalité est dure de toutes façons" poursuit Denis Guiot.
Et c'est justement cet aspect sombre des romans d'anticipation qui attirerait les ados. "Je pense que c'est une littérature qui se distingue de celle qu'ils ont lue plus jeunes, quand ils étaient enfants, et qui est une littérature de l'enchantement du monde". Et il nous rassure, Lou après tout est le premier tome d'une trilogie, "une odyssée qui doit nous conduire vers une utopie, un monde meilleur".
"On ne peut pas faire croire aux ados que le monde n'est que lumière", souligne Hélène Vignal, auteure de Si l'on me tend l'oreille (Editions du Rouergue), un roman sélectionné également pour les Pépites, qui raconte l'histoire d'un petit groupe de nomades qui s'allient pour résister aux nouvelles règles imposées par un prince despotique, dans un monde imaginaire, qui n'est situé ni dans le temps ni dans l'espace. "Je tenais à ça, parce que je veux que les lecteurs puissent se dire que cela peut arriver n'importe où, n'importe quand", explique l'écrivaine.
"Je pense que ce sont des choses qui effraient plus les adultes que les ados. Pour eux, c'est ok de parler de ces sujets", estime Hélène Vignal. "Les ados n'ont pas forcément envie qu'on leur raconte que des trucs sucrés, c'est un âge contrasté, un âge où on a compris qu'on ne vit pas dans Super Mario"
"Et dans mon roman, j'essaie de montrer que malgré les traumatismes, malgré les contraintes, chacun peut prendre son destin en mains, et que l'on peut s'opposer, et trouver une voie même dans les situations les plus dramatiques, en écoutant sa petite voix intérieure", conclut Hélène Vignal.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.