Quatre romans étrangers coups de cœur de la rentrée littéraire 2022
L'Américaine d'origine japonaise Julie Otsuka, l'anglaise Anna Hope, la Japonaise Ito Ogawa et l'Irlandaise Sally Rooney… La rédaction de franceinfo Culture vous invite à découvrir quatre romans étrangers publiés dans la rentrée littéraire d'automne.
490 romans sont parus dans la rentrée littéraire de septembre 2022, dont 145 romans étrangers. A côté des poids lourds, comme Toni Morrison, dont une nouvelle inédite a été publiée chez Bourgois, titrée Récitatif, ou encore Jonathan Franzen avec Crossroads aux éditions de L'Olivier, ou encore Russell Banks avec Oh, Canada, chez Actes Sud, découvrez quatre livres de quatre romancières étrangères que la rédaction de franceinfo Culture a dénichés pour vous.
"Le goûter du Lion", de Ito Ogawa
(traduit du japonais par Deborah Pierret Watanabe - Picquier, 272 pages, 19 €)
Ce que ça raconte : ce dernier roman de la Japonaise Ito Ogawa raconte les dernières semaines de vie d'une jeune femme atteinte d'un cancer incurable. Elle a choisi La Maison du Lion, un centre de soins palliatifs situé sur l'Île aux citrons, dans la mer intérieure de Seto pour finir ses jours. Un endroit exceptionnel dirigé par une drôle de petite bonne femme surnommée Madonna, qui déploie toute son énergie à rendre aussi doux que possibles les derniers moments de vie de ceux qu'elle appelle ses "invités", les aidant à dire au revoir à la vie. Dans ce lieu baigné de lumière, une grande partie des plaisirs partagés sont concoctés dans les cuisines de la maison.
Pourquoi on a aimé : un roman lumineux sur un sujet sombre, que la romancière traite avec une infinie délicatesse.
"Où es-tu, monde admirable" de Sally Rooney
(traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux - Éditions de L'Olivier, 384 p., 23,50 €)
Ce que ça raconte : La jeune auteure du best-seller Normal people raconte cette fois l'histoire de deux jeunes trentenaires qui cherchent un sens à leur vie dans un monde en perdition. Après avoir traversé un épisode de dépression, Alice, jeune romancière à succès, a quitté Dublin pour s'installer à la campagne, dans un village au bord de la mer. Elle fait la connaissance de Félix, un gars du coin, avec qui elle entame une relation amoureuse. Eileen, sa meilleure amie, journaliste dans une publication littéraire se remet mal d'une séparation. Elle renoue avec Simon, un ami d'enfance un peu plus âgé qu'elle, avec qui elle a toujours eu une relation ambiguë. Les deux jeunes femmes entretiennent une relation épistolaire, par mails, dans lesquels elles se racontent les péripéties de leurs vie, petits riens de leur quotidien, abordant sans tabou toutes sortes de sujets comme l'amour, le sexe, Dieu, l'argent, l'amitié, l'horloge biologique, la beauté, la politique…
Pourquoi on a aimé : à travers les tous petits riens qui font la vie, la jeune romancière pose un regard aigu et interrogateur sur un monde en plein chamboulement, en pleine crise, avec des modèles -qu'ils soient amoureux, sexuels, économiques, politiques, esthétique, ou sociaux- en plein remodelage. L'écriture de Sally Rooney, méticuleuse, opère à la manière d'un objectif photographique qui capterait dans ses moindres détails la géographie du monde contemporain (un monde en état de "dégénérescence accélérée"), puis traverserait comme une sonde les corps pour scruter les esprits, les sentiments, les angoisses, ou les plaisirs qui animent ses personnages.
"Le Rocher blanc", d'Anna Hope
(traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Elodie Leplat - Éditions Le bruit du monde, 320 pages, 22€)
Ce que ça raconte : Un lieutenant en expédition sur un navire espagnol (1775), deux sœurs yoemes déportées (1907), une star de rock en perdition (1969) et une écrivaine en quête de sens et d'un sujet pour son prochain roman (2020). Quatre époques quatre personnages, tous convergeant vers le même point, le Rocher blanc, une petite île rocheuse située au large de San Blas, sur la côte ouest du Mexique dans la région de Narayit. Le Rocher blanc un lieu sacré pour les Wixaricas, qui le considèrent comme l'origine du monde, et aussi point de départ d'un grand nombre d'expéditions dans le Pacifique…
Pourquoi on a aimé : ce roman d'Anna Hope fait résonner les destins tragiques de ses quatre personnages autour de ce Rocher blanc, métaphore d'une force immuable, témoin muet de l'agitation des hommes, de leur volonté effrénée et insatiable d'amour, de puissance, témoin aussi de l'inévitable vanité du monde occidental. La romancière jette un œil tranchant sur la brutalité des conquêtes coloniales du 19e siècle, et sur la société occidentale, matérialiste, à la recherche d'une spiritualité à l'autre bout du monde, chez ces peuples mêmes qu'elle a tenté d'anéantir au nom du progrès deux siècles plus tôt. Elle nous fait traverser le temps et l'espace, autant que l'intériorité de ses personnages, dans un roman qui se lit comme un "page-turner".
"La ligne de nage", de Julie Otsuka
(traduit de l'anglais (États-Unis) par Carine Chichereau - Gallimard, 176 pages, 19 €)
De quoi ça parle : le livre s'ouvre sur une grande partie consacrée à la description détaillée de la vie d'une piscine dans laquelle une vieille dame prénommée Alice accomplit chaque jour ses longueurs. Mais un jour apparaît au fond du bassin une fissure, qui conduit à la décision de fermer définitivement l'établissement. Commence alors la seconde partie du livre, qui nous fait entrer plus avant dans l'intimité d'Alice, atteinte de démence, qui peu à peu oublie presque tout, sauf certains souvenirs anciens, parfois enfouis, qui remontent à la surface. Sa fille essaie de trouver des solutions, cherche une institution pour accueillir sa mère et la place dans l'établissement Bellavista, vendu comme un paradis pour les personnes atteintes de démence, qui se révèle en fait être un univers concentrationnaire privant les pensionnaires de leur humanité…
Pourquoi on a aimé : dans un texte allégorique, Julie Otsuka aborde avec une grande justesse la question de la vieillesse, la perte de la mémoire, et la difficile question de sa prise en charge par la société. Elle montre aussi comment bizarrement, dans ces moments de perte, parfois même quand les mots ont complètement disparu, les liens relâchés avec les proches tout au long de la vie peuvent dans un dernier sursaut se resserrer, et les choses se remettre en place juste avant le grand départ. Que faire de ces moments éphémères, de cette dernière longueur autorisée ? C'est ce que raconte ce très beau roman mélancolique mais heureux, déployé comme une litanie dans une langue métaphorique saturée de vitalité.
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