"Nymphette" ou victime ? Comment Véra Nabokov a perçu le malentendu autour de "Lolita"

Le célèbre roman, adapté au cinéma par Stanley Kubrick en 1962, raconte la relation entre un narrateur qui, au départ, a 37 ans et la fille de sa compagne, Dolores, 12 ans.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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Affiche du film "Lolita" de Stanley Kubrick d'après le roman de Vladimir Nabokov. (LEEMAGE VIA AFP)

Le malentendu autour du personnage de Lolita, créé par le romancier Vladimir Nabokov, est apparu très vite, montre un journal tenu par la femme de l'écrivain, Véra, qui paraît mercredi 4 octobre en France. L'Ouragan Lolita (journal 1958-1959) est publié pour la première fois par les éditions de L'Herne, avant même d'être disponible dans la langue dans lequel il a été écrit, l'anglais. Véra s'y livre à une critique de la critique qui a accompagné aux États-Unis le très commenté Lolita. Le célèbre roman, qui sera adapté au cinéma par Stanley Kubrick en 1962, raconte la relation entre un narrateur qui, au départ, a 37 ans et la fille de sa compagne, Dolores, 12 ans.

Le tour de force est d'offrir les justifications de cet homme qui explique que cette Lolita l'a séduit, volontairement, tout en dénonçant la logique d'un pédophile. Mais, trop souvent, la protagoniste a été vue comme une provocatrice, qu'elle n'était en rien. Véra Nabokov le perçoit dès septembre 1958, un mois après la sortie du livre en anglais. "Tout le monde (ou presque) (...) est enthousiaste. J'aimerais pourtant que quelqu'un remarque la tendre description de l'impuissance de cette enfant, sa pathétique dépendance envers le monstrueux Humbert Humbert, et son courage déchirant tout du long", écrit-elle.

Sauvé du feu

Vladimir et Véra Nabokov, émigrés russes à Berlin dans les années 1920, arrivés aux États-Unis en 1940, formaient un couple très étroitement uni. Elle qui a été cruciale dans l'écriture de son oeuvre, en étant dactylographe, secrétaire, agente littéraire, archiviste et même chauffeuse, puisque lui n'apprit jamais à conduire, s'est ingéniée à effacer son rôle. On a ainsi publié les Lettres à Véra de Vladimir Nabokov mais elle a fait en sorte que ses réponses disparaissent. Et une anecdote célèbre veut qu'elle ait sauvé du feu à plusieurs reprises les brouillons de Lolita, que son mari souhaitait brûler, n'étant pas sûr de vouloir achever et publier un roman aussi provocant.

Le journal, qu'ils ont commencé à deux et qu'elle a écrit essentiellement seule, dormait dans les archives de Nabokov déposées à la New York Public Library. Personne ne s'était soucié de son existence, ou n'avait pris le temps de s'y intéresser, jusqu'à ce que les éditions de L'Herne prennent l'auteur comme sujet d'un numéro de leurs Cahiers. Il est également publié le 4 octobre.

"Nous avons été les découvreurs du trésor. Et nous devons remercier Andrew Wylie, qui nous a autorisés à consulter ces archives", affirme l'éditrice Laurence Tâcu. Cet agent littéraire américain, l'exécuteur testamentaire des Nabokov, devrait faire publier le journal en anglais en 2024. "Au début, nous pensions publier des extraits. Mais nous avons trouvé que la vision de Véra Nabokov, très particulière et très intéressante, méritait une publication en volume", ajoute-t-elle. 

"Petite soeur littéraire" 

Après Véra, d'autres ont insisté pour dissiper un malentendu qui doit beaucoup à l'image de l'actrice Sue Lyon avec une sucette dans la bouche. Exactement ce dont Nabokov ne veut pas sur la couverture de son livre, relève son épouse. Dans Triste tigre, l'une des oeuvres phares de la rentrée littéraire en France, en lice pour le prix Goncourt, Neige Sinno, 46 ans, violée par son beau-père pendant de longues années, est remontée contre ceux qui ont mal lu le livre et retenu seulement le film.

Dans Les Cahiers de L'Herne, Vanessa Springora, 51 ans, l'autrice du récit Le Consentement, qui évoque les pratiques pédocriminelles de l'écrivain Gabriel Matzneff, qualifie Lolita de "petite soeur littéraire". Elle étale tous les indices qui montrent une Lolita non consentante face à son violeur. "La forme de leurs dialogues demeure souvent équivoque, mais leur sens est de plus en plus explicite, précis, frontal", juge-elle.

Couverture du livre "L’ouragan Lolita (Journal 1958-1959)". (Editions de L'Herne)

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