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"Il faut être enthousiasmé par l'autre et être à son écoute" : deux autrices en binôme explorent "Les Duos dans l'art"

Depuis deux décennies, Laurence Paix-Rusterholtz et Chris Lavaquerie-Klein écrivent ensemble. Dans "Les Duos dans l'art", elles se sont intéressées à ceux qui travaillent ou ont travaillé comme elles, à quatre mains, dans le cinéma, la littérature, la musique ou encore les arts plastiques. Entretien.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Les écrivaines Laurence Paix-Rusterholtz et Chris Lavaquerie-Klein, qui signent "Les Duos dans l'art",  au Café Livres, le 17 avril 2023, à Paris (JULIE CODIS)

L'idée du livre est bien évidemment partie de leur propre duo. Elles se connaissent depuis plus d'une vingtaine d'années. Laurence Paix-Rusterholtz et Chris Lavaquerie-Klein ont créé l'agence d'action culturelle "L'ibis et L'allégorie", il y a 24 ans, mais elles ont commencé à écrire ensemble en duo voilà deux décennies. En se rendant compte qu'elles avaient "toujours autant de plaisir à le faire", elles se sont interrogées sur "le mécanisme" qui faisait fonctionner les duos artistiques. Nous les avons rencontrées pour la sortie de leur dernier livre justement sur Les Duos dans l'art, ouvrage jeunesse publié chez Palette qui est un excellent digest sur les paires artistiques.

Franceinfo Culture : Quels critères ont prévalu au choix des 20 duos que l'on découvre dans votre livre ?  

Laurence Paix-Rusterholtz : L'une des pistes a été celle de la durée parce qu'en musique, par exemple, on peut former un duo pour une chanson. Dans notre livre, le duo qui a le moins duré est celui formé par Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol. Il n'a tenu que  deux ans. 

Chris Lavaquerie-Klein :  Ensuite, il fallait que nous ayons un panel de thématiques artistiques afin de montrer au public le duo dans des états différents, avec les contraintes que cela suppose dans la création. On ne crée pas de la même façon de la musique ou pour le théâtre. 

Laurence Paix-Rusterholtz : Il y a aussi des coups de cœur. Nous nous sommes laissé guider par les duos que nous avons croisés. La variété dans la composition des duos a été aussi un critère : frères et sœurs, couples homosexuels, hétérosexuels, associés comme Le Corbusier et Charlotte Perriand. A chaque fois, c'est une manière différente de travailler. Enfin, comme le livre s'adresse aux adolescents, nous voulions qu'il y ait des personnalités qu'ils connaissent un peu comme Bigflo et Oli ou encore les Daft Punk. Et en même temps, ils découvrent Marcel Carné (réalisateur) et Jacques Prévert (scénariste), un duo qui est incontournable. L'un de nos critères aussi a été d'évoquer des duos dont chacun des membres est assez connu. D'ailleurs, Salvador Dalí et le photographe Philippe Halsmann étaient très connus mais on ne sait pas forcément qu'ils ont formé un duo. 

Franceinfo Culture : Vous parliez d'amour, il semble que c'est l'un des secrets des duos artistiques qui tiennent...

Chris Lavaquerie-Klein : Il y a des champions de la durée comme le réalisateur Alfred Hitchcok et sa compagne Alma Reville, une grande monteuse et une scénariste. C'est un duo et un couple qui s'est aimé comme Gilbert & George qui s'adorent ou encore Vivienne Westwood et Andreas Kronthaler – leur coup de foudre a duré trente ans–, pendant que d'autres se sont désaimés comme les sculpteurs Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely.

Si on prend, par exemple, les artistes britanniques Gilbert et George, ils ont fait couple très jeune, à la fois en matière de sentiment et dans la création. Ils disent d'ailleurs n'être plus qu'un seul gros cerveau qui s'appelle Gilbert & George et non plus deux cerveaux. Ils sont devenus une espèce d'entité tout en ayant chacun son expression artistique. Ils ont réussi à garder leur individualité mais la création n'est qu'en couple. C'est tout à fait fusionnel. 

Laurence Paix-Rusterholtz : Il y a aussi le couple formé par les sculpteurs Claude et François-Xavier Lalanne, les Lalanne qui sont très originaux. Il y a ici un coup de foudre créatif et amoureux. Mais chacun travaille ses œuvres. Ont-ils d'ailleurs leur place dans le livre ? La réponse est oui dans la mesure où leurs œuvres sont celles des Lalanne et non pas de Claude ou de François-Xavier, bien que le Rhinocrétaire II soit la création de François-Xavier et le Choupatte géant, celle de Claude. Leur rencontre a permis à chacun de s'exprimer tout en créant à deux. Les Lalanne disent d'ailleurs : 'Nous faisons chambre commune et atelier à part'. Ils étaient vraiment inséparables et font partie des duos passionnants parce qu'ils ont de l'humour, ils sont pétillants... Ils sont extras. On se rend compte dans le livre qu'il n'y a pas qu'une recette. Chaque duo illustre un exemple de la création à deux. 

Franceinfo Culture : Vous êtes un duo d'écrivaines. Et vous n'avez absolument pas la même manière d'écrire ensemble que les sœurs Groult ou la paire formée par Pierre Bottero, disparu en 2009, et Erik Lhomme...

Laurence Paix-Rusterholtz : Effectivement, Bottero et Lhomme travaillent chacun son texte, en alternance, tout en étant ensemble. Tandis que nous, même si on écrit chacune de notre côté, on met au point nos textes ensemble et nous les lisons ensemble. Les sœurs Groult, Benoîte et Flora, écrivaient chacune un chapitre mais quand on lit leur livre, il est difficile de savoir qui a commencé à écrire quoi. Elles sont géniales, tellement modernes à leur époque.

Et puis, un duo peut se défaire. Pourquoi ?

Chris Lavaquerie-Klein :  Entre Sergio Leone et Ennio Morricone, il y a eu de l'incompréhension à un certain moment. Morricone en a eu assez d'être associé tout le temps aux westerns et à Leone alors qu'il était tellement autre chose et qu'il avait collaboré avec d'autres. Le compositeur ne voulait pas faire que de la musique de film. Il voulait être reconnu pour son métier mais la reconnaissance est essentiellement venue avec les westerns de Sergio Leone. Ce dont il s'est un peu agacé. De son côté, Sergio Leone a eu du mal à imaginer Morricone faire d'autres collaborations. Il va quasiment l'en empêcher parfois. Ce n'est pas très clair, l'histoire d'Orange mécanique (de Stanley Kubrick), parce qu'il y a un sentiment de possession de Leone vis-à-vis de Morricone. 

Chez Warhol et Basquiat, quelque chose a aussi déraillé. Leur grande exposition commune leur a été fatale. La critique, pas le public, a été très sévère, ce que n'a pas supporté Basquiat qui était très jeune, certainement plus égratigné et plus sensible. Wharol avait, lui, la carrure pour la supporter. Pour Basquiat, cette association était devenue une erreur. 

Quels sont les duos qui présentent le plus de singularité ?

Chris Lavaquerie-Klein : Ils sont tous très attachants. Les Daft Punk, qui sont aujourd'hui séparés, ont choisi à deux l'anonymat pour pouvoir être libres dans leur vie personnelle. Ce qu'aucun d'autre des duos que nous avons choisis n'a fait. Lilly et Lana Wachowski forment aussi un duo très intéressant parce qu'il y a aussi un phénomène de société, en dehors de Matrix et de leurs œuvres cinématographiques. Elles défendent le droit à la différence, le droit de choisir son identité sexuelle [nées avec un sexe masculin, elles ont fait leur transition de genre]. Dans leurs productions, elles défendent les différences de toutes sortes. Elles œuvrent beaucoup pour l'ouverture de la société. C'est un sacré duo.

Laurence Paix-Rusterholtz : Ce côté militant, on le retrouve aussi chez les fondateurs de la marque de vêtements Botter, Rushemi Botter et Lisi Herrebrugh, qui sont impliqués dans l'écologie. Leur mode est engagée. 

Vous êtes un duo et vous avez écrit sur une vingtaine d'entre eux. Quel serait le secret d'un duo artistique qui fonctionne ?

Chris Lavaquerie-Klein : Il n'y a pas de recette, encore un fois, mais deux choses sont importantes. D'abord, il faut être enthousiasmé par l'autre. C'est fondamental. Il faut de l'enthousiasme et, ensuite, de l'écoute. 

Laurence Paix-Rusterholtz : Il ne faut pas avoir un égo surdimensionné parce que l'on est alors plus à l'écoute de l'autre. Le dénominateur commun à tous ces duos, c'est vraiment que l'art de l'un enrichit celui de l'autre. Il y a une émulation mutuelle. Dans ce livre qui est destiné aux jeunes que nous côtoyons souvent, l'idée est de leur faire comprendre qu'ils peuvent faire des choses sans être seul. Nous trouvons que le travail à deux est une grande richesse.

Couverture du livre "Les Duos dans l'art" de Laurence Paix-Rusterholtz et Chris Lavaquerie-Klein (PALETTE)

Les Duos dans l'art, de Laurence Paix-Rusterholtz et Chris Lavaquerie-Klein (Palette, 64 p., 17,95).

Extrait

"Notre collaboration s'est nouée grâce à une savant mélange d'écoute, d'échanges souvent vifs, d'ouverture à l'univers de l'autre. Ce cocktail gagnant aurait-il eu la même saveur sans nos fous rires mémorables ? Alors, l'envie nous est venue de sonder chez d'autres ce champ de la création menée à deux." (Les Duos dans l'art, p.4)

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