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Le Haut-Karabakh sous blocus azéri : 200 artistes et personnalités de la culture signent une tribune pour alerter le monde

Le 12 décembre dernier, un groupe d'Azerbaïdjanais a bloqué l'unique route reliant l'Arménie à l'enclave arménienne du Haut-Karabakh (ou Artsakh), empêchant tout approvisionnement en nourriture et médicaments. De nombreuses voix se mobilisent dans le monde des arts, dont celles de Claude Lelouch, Roschdy Zem, Costa-Gavras, Enki Bilal ou Philippe Katerine.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un drapeau géant arménien déployé lors de la grande manifestation organisée à Stepanakert, dans le Haut-Karabakh, pour protester contre le blocage de la seule route reliant la province à l'Arménie (25 décembre 2022) (DAVIT GHAHRAMANYAN / AFP)

"Il faut sauver les 120.000 Arméniens d'Artsakh !", tel est le cri d'alarme en titre de la tribune mise en ligne sur le site du Figaro au soir du 23 décembre, et relayée sur la version papier du quotidien ce lundi 26 décembre. Quelque 200 personnalités, essentiellement issues du monde des arts et des lettres, sonnent l'alarme sur le sort de 90.000 adultes et 30.000 enfants piégés et isolés par le blocage du corridor vital de Latchine, la seule route reliant le Haut-Karabakh à l'Arménie et au monde extérieur. Un blocage imposé le 12 décembre par l'Azerbaïdjan, par le biais d'un groupe d'activistes. La tribune est signée par de nombreux écrivains (Sylvain Tesson, Daniel Pennac, David Foenkinos, Sorj Chalandon, Philippe Jaenada, Marc Dugain...), cinéastes (Claude Lelouch, Costa-Gavras, Pierre Jolivet, Atom Egoyan...), acteurs (Simon Abkarian, Carole Bouquet, Roschdy Zem, Virginie Ledoyen, Pascal Légitimus, Pierre Richard...), musiciens et chanteurs (Alain Altinoglu, André Manoukian, Marc Coppey, Philippe Katerine, Line Renaud, Mathias Malzieu...).

Dimanche 25 décembre, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté à Stepanakert, capitale de l'Artsakh, en signe de protestation contre le blocus, et pour appeler la communauté internationale "à agir maintenant".

Une population "plongée dans la nuit et le froid"

Dans leur tribune collective, les 200 personnalités saluent le "courage admirable" des Arméniens du Haut-Karabakh, "ces gens pleins de dignité qui ne cèdent pas à la panique et s'organisent, car ils résistent et résisteront jusqu'au bout. Mais ils comptent sur nous, et nous ne pouvons nous dérober à leur appel. Étrange Noël 2022. Nous fêtons la naissance d'un roi de la pauvreté et de la paille venu porter aux hommes la chaleur de sa lumière. C'est cette date que choisit à dessein un dictateur du pétrole et des points de croissance pour plonger une population dans la nuit et le froid", assènent les signataires en allusion à l'homme fort de l'Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, lequel a multiplié ces derniers mois - ainsi que d'autres responsables politiques du pays - des menaces à peine voilées à l'encontre de l'Arménie et de la province du Haut-Karabakh.

Le Haut-Karabakh - ou Artsakh, son nom historique -, région autonome peuplée d’Arméniens, a proclamé son indépendance en 1991 pour s'émanciper d'une tutelle des plus hostiles, marquée par des pogroms anti-Arméniens, celle de l'Azerbaïdjan - Staline avait offert cette région ancestrale arménienne à Bakou en 1921. Deux conflits meurtriers ont suivi, le premier dans les années 90, et le second à l'automne 2020, à l'issue duquel l'Azerbaïdjan a récupéré plusieurs territoires, provoquant l'exil de l'essentiel des populations concernées vers l'Arménie. Malgré le cessez-le-feu du 10 novembre 2020, les incidents se multiplient, alors que les autorités azerbaïdjanaises ont élargi le champ de leurs convoitises à l'Arménie souveraine, envahissant et occupant une partie de son territoire depuis la mi-septembre.

Tirant avantage de l'impunité que lui concède de facto l'Union européenne, cliente de son gaz en ces temps de guerre en Ukraine et de sanctions contre Moscou, Ilham Aliev a accentué entre-temps la pression contre les Arméniens du Haut-Karabakh. Le 12 décembre, des dizaines d'Azéris s'autoproclamant militants écologistes ont bloqué le corridor de Latchine, route capitale pour l'Artsakh, contrôlée par Bakou depuis le mois d'août. Ils prétendent s'opposer à l'exploitation illégale de mines. Dans les premiers jours, le gaz a été coupé dans la province en cette rude période hivernale, avant d'être rétabli. Mais la population de l'enclave est isolée du monde, sous la menace d'une grave crise humanitaire. Erevan a incriminé très vite les autorités de Bakou, qui ont démenti l'existence d'un blocage. L'Arménie a aussi déploré l'inaction des soldats de maintien de la paix russes déployés sur place depuis novembre 2020, alors que Moscou est mobilisée par la guerre lancée en Ukraine.

Les "pénuries s'aggravent de jour en jour"

"Après la guerre, après les bombes au phosphore, les tortures, qui ont brisé tant de vies en 2020, voilà en effet la dernière perversion conçue par la dictature azerbaïdjanaise : bloquer le corridor de Latchine, unique voie d'accès des Arméniens d'Artsakh/Haut-Karabakh vers l'extérieur. Conséquence : des familles séparées, des pénuries s'aggravant de jour en jour, l'absence de secours médicaux qui a déjà coûté une vie et menace plusieurs malades en soins critiques, dont des enfants", peut-on lire dans la tribune des artistes et personnalités signataires. Un patient en état critique, qui nécessitait une prise en charge à l'hôpital d'Erevan, n'a pas survécu, ont rapporté plusieurs sources locales. Le 24 décembre, un bébé prématuré en urgence vitale a pu franchir le barrage dans un convoi de la Croix-Rouge, au lendemain d'un appel d'Emmanuel Macron à son homologue azerbaïdjanais.

L'appel de Macron à Aliyev

La veille, le 23 décembre, le président français avait appelé l'homme fort de Bakou à permettre la "libre circulation" entre l'Artsakh et l'Arménie. Lors de cet entretien téléphonique, il avait exprimé "ses vives préoccupations face au regain de tension dans le sud Caucase". Emmanuel Macron a souligné "l'urgence de garantir l'accès sans entraves des organisations humanitaires et des agences des Nations unies aux populations affectées" du Haut-Karabakh. "Le président Aliev a dit son intention de veiller à la libre circulation dans le corridor", a indiqué la présidence française. Trois jours plus tard, rien n'est réglé.

La tribune publiée dans Le Figaro conserve donc toute son actualité. "Que penseront nos enfants, sur quelles valeurs pourront-ils se construire, si nous laissons l'impensable se reproduire ? Oui, se reproduire. L'indifférence, les protestations platoniques autorisent les agresseurs d'aujourd'hui à se réclamer sans vergogne des bourreaux de 1915 [allusion au génocide des Arméniens, ndlr], de leur sinistre héritage, à user des mêmes procédés pour en finir avec ceux qu'ils exècrent, parce qu'ils nous ressemblent", écrivent les signataires qui redoutent que l'Histoire se répète. "Ainsi nos souhaits que jamais les abominations du XXe siècle ne se reproduisent dans le nôtre n'étaient que des vœux pieux et iréniques. Ainsi, dans ce monde triomphent toujours les méchants du moment qu'ils ont des choses à vendre et à fournir à leurs voisins."

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