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César 2020 : comment l'onde de choc du prix décerné à Roman Polanski secoue le cinéma français

Le cinéaste franco-polonais est poursuivi par la justice américaine pour relations sexuelles illégales avec une mineure en 1977 et accusé de viols ou d'agressions sexuelles par onze autres femmes.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Les comédiennes Noémie Merlant et Adèle Haenel, le 28 février 2020 lors de la 45e cérémonie des César, à Paris. (PIROSCHKA VAN DE WOUW / REUTERS)

Le scandale n'a pas fini de faire couler de l'encre. Quatre jours après l'attribution, vendredi 28 février, du César de la meilleure réalisation à Roman Polanski pour le film J'accuse, la crise qui traverse le cinéma français semble plus forte que jamais. 

Franceinfo revient en trois points sur la manière dont la distinction attribuée à ce cinéaste, poursuivi par la justice américaine pour relations sexuelles illégales avec une mineure en 1977 et accusé de viols ou d'agressions sexuelles par onze autres femmes, crée des remous dans le milieu du septième art.

En mettant au jour des fractures au sein du cinéma français

Le départ fracassant de l'actrice Adèle Haenel de la salle Pleyel au moment de l'annonce de la récompense décernée au réalisateur franco-polonais "est venu acter [une] fracture profonde dans le milieu du cinéma français" entre les partisans d'une séparation entre l'homme et l'œuvre et ceux qui voient en Roman Polanski un symbole des violences faites aux femmes, écrit Le Monde.

Le quotidien note qu'à l'exception du comédien Swann Arlaud, qui avait estimé à l'issue de la carémonie qu'Adèle Haenel avait "eu raison de partir" de la salle, les réactions indignées face à l'attribution du César au réalisateur de J'accuse sont majoritairement venues de femmes.

Présente lors de la grand-messe du cinéma français, la réalisatrice du film Atlantique Mati Diop s'est ainsi dite "dépitée" par le choix de l'Académie et a salué le "courage de la prise de parole d'Adèle Haenel, qui a été vitale et essentielle""J'ai vu la réaction d'Adèle Haenel, très forte, et honnêtement, j'ai pensé à toutes ces femmes", a réagi auprès de Mediapart la comédienne Aïssa Maïga. Toutes ces femmes qui voient cet homme plébiscité et je pense, au-delà de ces femmes, à toutes les autres, toutes les personnes victimes de viols, de violences sexuelles. J'imagine quel symbole cela peut revêtir pour elles", a-t-elle ajouté.

J'ai été terrassée, effrayée, dégoûtée, à titre vraiment personnel, dans mes tripes.

Aïssa Maïga

à Mediapart

D'autres ont critiqué, à l'inverse, la virulence à l'égard de Roman Polanski, comme Fanny Ardant ou Isabelle Huppert qui, sur France 2, a cité une phrase de l'écrivain William Faulkner, affirmant que "le lynchage est une forme de pornographie".

L'acteur Lambert Wilson a également pris la défense du cinéaste visé par plusieurs accusations de viol, dénonçant sur franceinfo une "espèce de politiquement correct" qu'il assimile à "du terrorisme". "En plus, c'est bête ! On se dit 'mais où sommes–nous ? Qui sont ces gens ?' Ça m'a choqué, j'ai trouvé qu'on était minables. Il y a cette espèce de tribunal, de lynchage public que je trouve absolument abominable", s'est-il insurgé. Dans un post supprimé depuis, Jean Dujardin, qui incarne le rôle principal dans J'accuse, a publié sur Instagram une photo le montrant dans un aéroport avec un masque chirurgical, accompagnée de la légende "Je me casse, ça pue dans ce pays".

En braquant les regards sur la réforme de l'Académie

Plusieurs professionnels ont également fustigé un règlement de l'Académie interdisant de cumuler le César du meilleur film et celui de la meilleure réalisation, qui a peut-être exclu de ce prix Ladj Ly, César du meilleur film pour Les Misérables"Sans le règlement idiot qui interdit à un film de gagner meilleur metteur en scène et meilleur film, la soirée aurait été différente", a ainsi estimé Jean Labadie, distributeur des Misérables. L'Académie des César, elle, s'est contentée d'indiquer que 81% de ses 4 313 membres avaient voté.

D'autres attendent aussi de la réforme davantage de transparence, de démocratie, de parité et de diversité dans les instances dirigeantes et parmi les votants, qui pourraient avoir un effet sur les votes.

L'Académie des César a en effet été secouée par une grave crise depuis plusieurs semaines, qui a conduit, mi-février, à la démission en bloc de son conseil d'administration, présidé depuis 2003 par Alain Terzian, en réaction à une vaste fronde de personnalités du cinéma.

Une deuxième assemblée générale sera convoquée à l'été, qui élira un nouveau conseil d'administration, chargé de réformer le collège électoral des César, composé de professionnels du cinéma (dont 35% de femmes). Dans la liste, actuellement confidentielle, les votants sont répartis en dix collèges, avec en tête les techniciens (1 420 membres), dont la plupart sont des chefs de poste, soit souvent des hommes, selon des chiffres de novembre 2019.

"On va réformer le fonctionnement des César, tant mieux", estime le critique Jean-Michel Frodon sur Slate.fr. Mais, ajoute-t-il, s'il y a "unanimité contre les vieux César", il y a "division sur le reste". "Unanime, il est clair que le cinéma français ne l'est nullement sur les autres enjeux, et en particulier ceux de diversité", estime-t-il. Pour lui, les César ne font "que réfracter la réalité d'un monde inégalitaire".

En forçant le gouvernement à prendre position

Signe de l'importance prise par le sujet, les membres du gouvernement ont été invités à prendre position sur la récompense attribuée à Roman Polanski. Présent à la soirée de vendredi, le ministre de la Culture Franck Riester a redit samedi sur Europe 1 que "célébrer" le réalisateur franco-polonais était un "mauvais signal", ajoutant qu'il "pouvait comprendre" la réaction "de colère" d'Adèle Haenel, devenue symbole d'un nouvel élan de #MeToo en France depuis qu'elle a accusé le réalisateur Christophe Ruggia d'"attouchements répétés" quand elle était adolescente.

La difficulté avec cette remise de César (...) à Roman Polanski, c'est qu'on ne célèbre pas simplement l'œuvre, on célèbre aussi l'homme.

Franck Riester, ministre de la Culture

sur Europe 1

La secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, a quant à elle réagi au palmarès dans une tribune publiée samedi par Libération. "Vous ne voulez plus de cris, de manifestations, de scandales, de départs de la salle ? Soutenez les femmes, cessez de les empêcher de facto de créer et de prendre pleinement part à cette fête, à cette industrie. Ne couvrez pas ceux qui sont accusés de viols. Pensez aux victimes. Passées et actuelles. Croyez-les. Soutenez-les", a martelé la secrétaire d'Etat.

Invitée de franceinfo, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a pour sa part expliqué lundi que, comme Adèle Haenel, elle aurait quitté la salle lors de l'attribution d'un César à Roman Polanski, "une personnalité qui n'a pas assumé ses responsabilités dans des crimes" et "a fait du mal aux gens".

Elle a jugé qu'"il est toujours difficile de séparer l'œuvre de l'artiste quand on est dans un contexte de société où il y a tout ce qu'on a connu avec la vague #MeToo", et expliqué qu'elle n'était "pas allée voir le film" car elle "considère que Roman Polanski est une personnalité qui aujourd'hui n'a pas assumé ses responsabilités dans des crimes, y compris des crimes avérés, confirmés, puisqu'il y a encore une affaire pendante aux Etats-Unis."

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