Golden Globes : "Anatomie d'une chute" de Justine Triet, un succès français dans le monde

Non sélectionné par le comité en charge de choisir le représentant de la France aux Oscars, le film a pourtant remporté deux Golden Globes, le meilleur film en langue étrangère et le meilleur scénario. Succès critique et public, il cumule les distinctions et les nominations à l'international.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La réalisatrice française Justine Triet reçoit le prix du meilleur film européen pour "Anatomie d'une chute" lors des European Film Awards à l'Arena Berlin, le 9 décembre 2023, à Berlin. (ANNETTE RIEDL / DPA / AFP)

Plus de 23 millions d'euros générés au box-office mondial pour une sortie, à ce jour, dans plus d'une trentaine de territoires dont la Mongolie, une première dans ce pays pour un film français, nous indique MK2 Films en charge des ventes à l'international. Anatomie d'une chute est "l'un des meilleurs longs métrages de l'année en termes de box-office pour un film d'auteur", assure à Franceinfo Culture Fionnuala Jamison, la directrice de MK2 films. Au 5 janvier, il a réuni plus de 1,3 million de spectateurs en France et près de 1,6 million à l’étranger. En dehors des blockbusters américains, précise-t-elle, "il est l'un des films qui ont le mieux marché en salles partout dans le monde. Il est vendu partout, même en Mongolie. On ne l'avait jamais fait avant." Le long métrage a été acheté au total pour "155 territoires", dont le Sri Lanka, le Koweït ou le Bélize, considérés comme "rares" chez MK2 Films.

Belle moisson de nominations

Cumulant les superlatifs, Anatomie d'une chute de Justine Triet est le film français qui aura le plus fait parler de lui, à l'étranger, en 2023, et continuera de le faire. Pourtant, il ne représente pas son pays aux Oscars. La commission en charge de la sélection lui a préféré La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung. Le discours de Justine Triet à Cannes, après avoir reçu la Palme d'or où elle dénonçait notamment la réforme des retraites engagée par le gouvernement, a fait polémique. Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur le lien entre l'incident et le fait que son film ne soit pas le candidat de la France aux Oscars. L'œuvre de Triet a néanmoins de sérieuses chances d'être présente à la grand-messe du cinéma mondial si l'on s'en tient aux prédictions qui lui sont de plus en plus favorables dans plusieurs catégories.

Les récentes récompenses américaines, et surtout les deux derniers Golden Globes remportés le 8 janvier ainsi que celle du New York Film Critics Circle Awards, où le thriller judiciaire est reparti avec le prix du meilleur film international, sont de bon augure. Les choix du New York Film Critics Circle, qui réunit les critiques dont les médias sont basés dans la ville, s'avèrent souvent un excellent indicateur pour les Oscars, rappelle Variety. Les Bafta, l'équivalent des César au Royaume-Uni, ont également publié la première liste de leurs nominations et Anatomie d'une chute en totalise sept pour l'heure. Une belle moisson pour un film qui n'est pas éligible dans toutes les catégories.

Un film qui plaît à la critique et au public

En matière de cinéma, les goûts peuvent diverger, mais les cinéphiles se mettent généralement d'accord sur l'essentiel. Les palmarès et les nominations qui saluent les mêmes œuvres d'un pays à l'autre en témoignent depuis des années. Le parcours d'Anatomie d'une chute en est une nouvelle illustration. Aux European Film Awards, le long métrage a raflé six récompenses : meilleur film, réalisation, montage, scénario, meilleure actrice et le European University Film Award décerné par les étudiants européens. L'œuvre de Justine Triet a déjà décroché, en dehors de sa Palme d'or, plus d'une dizaine de distinctions internationales et autant de nominations. En outre, Anatomie d'une chute n'est pas seulement salué par la critique, il est aussi plébiscité par les spectateurs. Constat qui vaut aussi pour la France.

"Exploité sur 22 marchés [zones géographiques], il franchit le seuil symbolique de 1 million de tickets vendus à l’étranger", précisait un communiqué d'Unifrance publié en décembre, qui rappelait qu'Anatomie d'une chute arrivait en tête des films français les plus vus à l'étranger pour la période écoulée. "De nouveaux cinéphiles en Amérique du Nord" et des lancements réussis en Allemagne, au Royaume-Uni ou encore en Espagne, indique Unifrance, avant de conclure : "Sans aucun doute, Anatomie d’une chute gardera son statut d’ambassadeur tricolore dans les mois à venir." La performance est rare pour une Palme d'or. Comment ce film français a-t-il réussi à faire l'unanimité ?

"C'est un film qui parle à tout le monde, entre autres parce qu'il traite des tensions dans le couple. Par ailleurs, l'axe par lequel Justine Triet aborde cette relation est inédit au cinéma. On n'a jamais vu ça. Son approche est hyper moderne : c'est la femme qui a le dernier mot. On ne voit pas souvent ce type de personnage féminin au cinéma, c'est-à-dire celui d'une femme qui n'est pas dans le compromis. Elle va jusqu'au bout de ses convictions et elle ne fait rien pour plaire. C'est une femme qui est sur la sellette, c'est le procès d'une femme, et il y a du suspense et de l'émotion, notamment avec cet enfant qui se retrouve au milieu de tout cela", explique à franceinfo Culture Fionnuala Jamison, la directrice de MK2 Films.

Une analyse que partage Gilles Renouard, le directeur du cinéma à Unifrance, l'institution qui promeut le septième art français à l'étranger. "C'est un film extrêmement complexe, avec un scénario très habile et intelligent, qui parle du couple, du rapport entre les parents et les enfants, des rapports de pouvoir... En plus, c'est un film de procès plein de suspense : il est très bon. Les raisons profondes de son succès à l'étranger sont les mêmes que celles de son succès en France. Ce qui touche à l'étranger, c'est ce qui touche en France". Par ailleurs, "la Palme d'or l'a mis en avant et c'est un long métrage qui a tourné dans beaucoup de festivals internationaux, plus d'une trentaine. C'est un film qui est également porté par la presse qui l'aime beaucoup. On le voit dans les tops de l'année. Il figure, par exemple, dans celui du quotidien britannique The Guardian. Le président Obama l'a mentionné dans ses films préférés de 2023. Il fonctionne sur un bouche-à-oreille très efficace."

Paradoxe français

De plus, souligne le directeur du cinéma à Unifrance, "les distributeurs, qui ont acheté le film principalement à Cannes, y croient beaucoup. Cela compte dans les lancements de films. On le voit notamment pour la carrière américaine d'Anatomie d'une chute. C'est l'un des plus gros succès pour un film de langue française depuis des années. Il est à peu près à 3,5 millions de dollars et il est toujours en salles. Nous sommes à 350 000 spectateurs. Le distributeur l'a installé progressivement pour atteindre 600 salles. Il va le garder jusqu'aux Oscars. Le film n'y est pas le candidat de la France, mais il va se présenter dans d'autres catégories parce qu'il a des chances. Le long métrage est également suivi à l'international par Justine Triet, qui se déplace énormément. Elle a été, par exemple, très longtemps aux États-Unis et elle va y retourner. Elle accompagne le film autant que possible. Tout comme Sandra Hüller quand elle le peut."

Le paradoxe français, qui est celui de ne pas avoir misé sur un film avec autant d'atouts, a été soulevé quand il a été récompensé ces derniers mois. Début décembre, c'était à Berlin, après le sacre aux European Film Awards, que Justine Triet tentait d'expliquer, en cherchant ses mots, cette incongruité pour les observateurs. "C'est une décision de la France..." avait-elle lancé dans une vidéo publiée par Deadline, avant d'être interrompue par Sandra Hüller avec sa permission. "Ce n'est pas la décision de la France. C'est celle de cinq personnes dans ce comité", précisait la comédienne avec l'approbation de la réalisatrice, en soulignant que le public français avait fait bon accueil à la Palme d'or. Dans tous les cas, "nous ne faisons pas des films pour ça [les récompenses et autres distinctions]", avait conclu Justine Triet.

La cinéaste française l'a de nouveau rappelé récemment aux États-Unis, début janvier, lors du gala du New York Film Critics Circle. Elle a ajouté, en répondant à IndieWire, qu'elle avait reçu un beau cadeau de Noël en voyant son film sur la liste de Barack Obama. Pour elle, le chapitre est clos.

Le choix de l'ancien dirigeant américain vient comme refermer une boucle politique. Le discours de Justine Triet et la polémique furent politiques et c'est Barack Obama, devenu un prescripteur culturel de premier plan et producteur de cinéma, qui exprime son admiration pour le film français. CQFD.

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