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Six expositions du Palais de Tokyo nous embarquent vers les imaginaires africains d'aujourd'hui

Sur les bords de Seine, face à la Tour Eiffel, le Palais de Tokyo accueille une vingtaine d'artistes pour explorer un continent méconnu, celui de la création contemporaine,  principalement africaine. 

Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Images de l'exposition 6 Continents ou plus (AURELIEN MOLE)

Décolonisation, lutte de genre et musique funk sont au programme de ce fourmillant parcours aussi réjouissant que révolté, proposé au Palais de Tokyo. 

C’est avec un néon de l’artiste malgache Joel Andrianomearisoa que le musée accueille le public. "Ici, nous portons tous les rêves du monde" est-il écrit sur le fronton et ce slogan pourrait bien être le programme de cette saison, intitulées : 6 Continents, ou plus. 

Le parcours débute entre deux immenses sculptures aux arrondis gracieux, des cônes en bois géants peints en noir. Elles mesurent de 8 à 10 mètres de haut . Ce sont les oeuvres de Serge Alain Nitegeka, burundais exilé en Afrique du Sud. Elles représenteraient les collines du Burundi, des collines qui ouvrent sur une vallée lumineuse. Cette vallée, c'est l'exposition. Tour d’horizon en 6 étapes et 6 artistes.

Ici, nous portons tous les rêves du monde

Sabelo Mlangeni, A roof top photoshoot with the dancers 2019 (Sabelo Mlangeni)

Les rêves sont parfois des cauchemars. C'est le cas, à Lagos, au Nigeria. Avec ses photographies, Sabelo Mlangeni nous plonge dans la Royale House of Allure, refuge de la communauté queer de la capitale.

La force de ce témoignage, de ces images, réside dans la confrontation entre  l'exhibition joyeuse, glam, et l'inquiétude, la détresse qui se lit dans les regards. Pour la communauté LGBT+, vivre ainsi à Lagos est dangereux, le terme est faible. Mais pour ne pas être invisible, ils, elles, eux, posent provocants et rieurs. Le photographe sud africain, Mlangeni, a passé six semaines dans ce refuge à l'abri des violences. 

Un cinéma oublié et retrouvé 
Projection des films de Sarah Maldoror  (Photo : Aurélien Mole)

Au sous-sol, dans ce labyrinthe aux éternelles allures de friches industrielles, une salle de projection. Dix écrans diffusent des extraits des films de Sarah Maldoror. 

Sarah Maldoror naît en 1929 à Condom dans le Gers d'un pére guadeloupéen qu'elle n'a pas connu. Elle est à la fois une pionnière du 7e Art africain et tient une place primordiale dans le cinéma anticolonial. Elle a réalisé plus de quarante films, des longs, des courts, des documentaires, des portraits d'écrivains comme Aimé Césaire ou Louis Aragon.

La filmographie de Sarah Maldoror ne peut se résumer. Elle est foisonnante, poétique et politique. S'y croise la négritude, le communisme et le surréalisme. En 1971, elle écrivait au sujet de son film : Des fusils pour Banta : "C'est l'histoire d'une paysanne qui, prenant conscience des problèmes politiques posés par la présence des colonialistes portugais, va militer à l'intérieur de son village". Ces histoires, la réalisatrice les filmait. Hélas, son oeuvre a disparu en partie mais les films restaurés sont à découvrir.

Michael Armitage, l'impressionnisme du XXe siècle 

Michael Armitage, #mydressmychoice, 2015 (AURELIEN MOLE)

Michael Armitage est kenyan. Promu parmi les dix artistes de la “Peinture au nouveau millénaire” par la Whitechapel Gallery (2020), il est ce que l'on appelle sur le marché de l'art une valeur montante. Le marché aurait parfois raison, tant ses peintures réalisées sur du Lubugo, un tissu d'écorce ougandais, sont étranges, mystérieuses et inquiétantes. Les codes de la peintures classiques sont  délicatement détournées. 

Sa Venus est inspirée de celle de Velasquez, on songe à Manet mais devant elle ce sont des hommes debout qui guettent leur proie. La violence sexuelle, la terreur, Armitage la peint avec des teintes impressionnistes.   

De l'autre côté de l'océan, le Brésil 

Maxwell Alexandre, exposition New Power, saison "Six continents ou plus", Palais de Tokyo (26.11 – 20.03.2021). Photo : Aurélien Mole (AURELIEN MOLE)

Les toiles de Maxwell Alexandre, brésilien de Rio de Janeiro, semblent être des grands draps étendus au soleil. Le public déambule entre ces lais qui flottent. Sur la toile, la vie quotidienne croise les exactions policières, les symboles du rap ou de la pub bling bling s'incrustent dans les décors délabrés des favelas.

La légèreté du support contraste avec le propos. Il écrit et explique : "Parfois, il faut frapper le racisme en pleine face, mais je n'ai pas le courage de frapper physiquement quelqu'un, alors je le fais en peinture." 

 "La librairie des choses dont nous avons oublié de nous souvenir"

Pochette de The Peace, Black Power  (Now-again records)

Sans archive, une nation n’existe pas. Pour prendre le contre-pied de la mémoire imposée par les colonisateurs, Kudzanai Chiura, né en 1981 au Zimbabwe, a conçu une bibliothèque, un lieu de conservation.  

Dans cet espace, proche du salon littéraire, il rassemble en toute subjectivité, tracts révolutionnaires, affiches de résistances, pochette de vinyles. La créativité plastique de ces mouvements radicaux n'est plus à célébrer, mais rassemblée ainsi par  Kudzanai Vhiura, cela compose une nouvelle mémoire du continent africain. 

Parce que les frontières ont été établies par les colonisateurs en écrasant les cultures des habitants du continent africain, l’artiste veut rendre hommage aux luttes et aux activistes qui ont fait exploser ces limites.

En souvenir d'une expédition française en Australie 

Jonathan Jones, 2021  Courtesy of the artist (Jonathan Jones)

Puisque l'exposition prend la forme d'une exploration, il fallait se souvenir des expéditions coloniales. C'est ce que fait Jonathan Jones, artiste australien issu des nations Wiradjuri et Kamilaroi du sud-est de l'Australie.

En 1800, commandité par Napoléon Bonaparte, le Capitaine Baudin rapporte lors d'une expédition scientifique dans la lointaine Australie, des milliers de spécimens de plantes inconnues, des échantillons de minéraux et des croquis d'Aborigènes.

L'artiste australien reproduit ces plantes, conservées depuis à l'Herbier National à Paris, pour en faire des broderies réalisées par des migrantes et réfugiées australiennes à Sydney. Ce qui fut le butin d'un voyage colonial revient, deux siècles plus tard comme une oeuvre délicate et merveilleuse. 

Le sous-titre de l'exposition du Palais de Tokyo est Ubuntu, un rêve lucide. Ubuntu est un terme Bantous, on pourrait le traduire par "Je suis parce que nous sommes". C'est ainsi que se visite 6 Continents, ou plus.

Exposition "6 Continents, ou plus"
Palais de Tokyo à Paris 
Jusqu' au 20 Mars 2022

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