Coupe du monde de football : "Avant l'Allemagne, j'avais tellement peur que je n'arrivais pas à manger"... Ces joueuses racontent le premier Mondial de l'histoire de leur pays

Dernier adversaire des Bleues en phase de groupes, mercredi, le Panama est l'une des huit sélections qui découvrent la compétition durant cette édition 2023. Passées par là, plusieurs joueuses racontent.
Article rédigé par Gabriel Joly, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
La gardienne ivoirienne Dominique Thiamale encaissant un but lors de l'humiliation 10-0 reçue face à l'Allemagne pour le premier match de Coupe du monde de l'histoire de la sélection, le 7 juin 2015. (SIPA)

"J'ai toujours les poils qui se hérissent, et je n'arrive pas à trouver les mots pour décrire ce que j'ai ressenti." Au moment d'évoquer la finale du barrage intercontinental contre le Paraguay, qui a permis à son pays de composter son ticket pour sa première Coupe du monde féminine, la Panaméenne Rosario Vargas est prise par l'émotion. Même si sa sélection s'est inclinée à deux reprises contre le Brésil (0-4) et la Jamaïque (0-1) pour ses débuts dans la compétition, l'exploit est déjà là. Les Canaleras peuvent se targuer de s'être invitées à la table du gratin mondial, avant d'affronter l'équipe de France, mercredi 2 août (à 12h en direct sur France 2 et france.tv). Plusieurs joueuses, d'hier et d'aujourd'hui, racontent leur baptême du feu.

La classe internationale

Qualifiées à la faveur d'une troisième place à la précédente Coupe d'Afrique, les joueuses de la Côte d'Ivoire sont plongées dans un monde jusqu'ici inconnu lorsqu'elles débarquent à Ottowa pour prendre part au tournoi à l'été 2015. "Avant notre génération, aucune équipe ivoirienne n'avait disputé de CAN et là, on se retrouvait à aller défendre les couleurs de notre pays sur la scène mondiale, c'était quelque chose", rembobine Inès Nrehy Tia, qui n'avait jamais mis les pieds au Canada comme la plupart de ses coéquipières. 

A cette période, la plupart des Elephantes évoluent dans le championnat local et ne connaissent pas les standards du haut niveau. "Notre sponsor nous fournissait régulièrement de nouvelles chaussures, des chaussettes, des bas… Tout était changé à chaque fois, c'était nickel. Mes coéquipières se sentaient vraiment professionnelles, heureuses d'être là. On a vite compris que personne ne voudrait rentrer ! C'était le rêve", se remémore l'attaquante, alors l'une des rares à disposer d'un contrat en Europe. 

Les joueuses de l'équipe de France sélectionnées pour la Coupe du monde 2003. Parmi elles, Marinette Pichon, Corinne Diacre, Sonia Bompastor, Sandrine Soubeyrand, Laura Georges mais aussi Bérangère Sapowicz (en haut à gauche). (CHLOE GODEFROY / AFP)

Un sentiment également partagé par Bérangère Sapowicz. En 2003, la gardienne âgée de 20 ans se rend pour la première fois aux Etats-Unis avec les Bleues portées par Marinette Pichon. "Avant mes premières sélections en U16, je n'avais jamais pris l'avion et là je me retrouvais à aller en Amérique, moi la fille de la campagne", retrace la deuxième gardienne d'alors, qui n'avait alors aucune cape chez les A.

"Sur place, c'était une prise en charge qu'on n'avait jamais connue. Des gens étaient là pour ramasser notre linge et faire des machines. Nous, en général, on gardait une paire de chaussettes sans la laver pendant quatre jours."

Bérangère Sapowicz, deuxième gardienne de l'équipe de France au Mondial 2003

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Un contraste d'autant plus saisissant que la portière n'avait pas regardé le Mondial précédent, faute de diffusion TV accessible en France. "Dans la rue, des gens portaient des maillots du monde entier et montraient leurs drapeaux. Je ne comprenais pas vraiment comment ils savaient qu'il y avait la Coupe du monde féminine car on ne parlait de nous nulle part habituellement."

Le premier match, entre stress et volonté de prouver

Le premier match est souvent le plus difficile à appréhender pour les joueuses. "Je débarquais dans des enceintes gigantesques avec une ferveur telle... Tu te dis : 'mais on est sur quelle planète là ?' C'était le jour et la nuit avec la France où on jouait devant 50 personnes dans nos petits stades tout pourris et sans pelouse", résume Bérangère Sapowicz.

Cette année-là, la France défie la Norvège, alors championne olympique en titre, en ouverture. "N'importe quel adversaire m'impressionnait comme j'étais jeune. Mais la Norvège, tu regardais le palmarès et tu serrais les fesses. Cela a donné une défaite 2-0, mais on se disait bien que cela se jouerait aux matchs suivants", expose la Tricolore.

Faire son entrée contre un "gros morceau", la Côte d'Ivoire, alors 65e nation à la Fifa, a également connu cela en 2015 face à l'Allemagne, première nation mondiale. Huit ans après, Inès Nrehy Tia se souvient d'un avant-match compliqué.

"A l'hôtel, on avait toutes le trac. J'avais tellement peur que je n'arrivais même pas à manger. Je n'avais jamais eu ce stress auparavant, et pourtant j'étais professionnelle."

Inès Nrehy Tia, internationale ivoirienne présente au Mondial 2015

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"On avait toutes le même gabarit, on était tellement chétives, petites par rapport aux Allemandes… 'On va leur marcher dessus, ces bébés', voilà ce qu'elles se sont dit quand elles nous ont vues." Finalement, les Eléphantes ont encaissé un violent 10-0. Un score qui s'explique par un manque criant de préparation. "Au pays, personne ne croyait réellement en nous, donc la fédération n'a pas déboursé pour nous mettre dans les meilleures conditions. Il aurait fallu qu'on joue des matchs amicaux contre de grandes équipes mais on n'a pas eu cette chance", rappelle l'actuelle joueuse du club coréen des Red Angels, dont la sélection a finalement été éliminée après deux autres défaites.

Bien aidé par le tirage, le Cameroun n'a pas connu pareille infortune au pays de l'érable. Si les Lionnes Indomptables ont été placées avec le Japon – champion du monde 2011 – elles ont aussi hérité de deux autres formations novices au Mondial : l'Equateur et la Suisse.

Les Camerounaises célébrant leur premier succès dans un Mondial contre l'Equateur à Vancouver, le 9 juin 2015. (SIPA)

"Dès le départ, on avait la rage. C'était nos premiers matchs de Coupe du monde et on voulait prouver que l'on méritait notre place, que le Cameroun était une grande nation du football", se souvient Falone Meffometou. Irrésistibles, les vice-championnes d'Afrique écrasent les Equatoriennes 6-0.

Hôtels particuliers

En 2015, les différentes nations logeaient par ailleurs dans les mêmes hôtels. Une singularité occasionnant des situations cocasses. "Une fois, on est tombé nez à nez avec des Brésiliennes et des Françaises dans le hall. Mes partenaires sont devenues folles. Tu sentais leur joie de croiser Marta, Wendie Renard ou Eugénie Le Sommer. Pour elles, c'était des stars, presque des idoles", sourit l'Ivoirienne Inès Nrehy Tia.

Pour les Lionnes Indomptables, toujours en course pour la qualification en huitièmes de finale avant leur troisième match, malgré une défaite logique contre les Nippones, cette question de logement a justement été une opportunité pour lancer les hostilités.

"Si on prenait l'ascenseur avec une adversaire, le match était lancé. L'idée, c'était de faire peur, de faire comprendre par le regard que tu n'allais pas faire de cadeau sur le terrain. D'ailleurs, c'était mieux d'être avec des coéquipières pour déstabiliser par le nombre."

Falone Meffometou, internationale camerounaise présente au Mondial 2015

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L'histoire ne dit pas si c'est cela qui a payé mais les Camerounaises ont de nouveau rugi sur le terrain, griffant les Suissesses pour atteindre le tour suivant avec six points. Une performance jamais égalée pour une nation débutante au XXIe siècle. "C'était la fête après la qualification, car personne n'imaginait que l'on passe la première phase. Mais on avait le bon état d'esprit", affirme la joueuse de Fleury, qui malgré le statut du Cameroun de l'époque, n'hésite pas à parler de "déception" lorsqu'il s'agit d'aborder la défaite face à la Chine en huitièmes. "Après le 6-0 contre l'Equateur, on se disait que tout restait possible", justifie celle qui a eu une nouvelle chance de disputer la Coupe du monde, en 2019.

Une première pierre posée

Chez les Bleues de 2003 – pourtant sorties après trois matchs – cette première participation au Mondial a aussi été la pierre angulaire pour la suite. Lors de leur deuxième participation en 2011, les Bleues atteignent les demi-finales et se sont toujours qualifiées depuis. "Sur les compétitions d'après, cette expérience m'a énormément servie, retrace Bérangère Sapowicz, devenue titulaire. J'avais eu le temps d'observer beaucoup de choses, je savais comment il fallait accueillir au mieux les nouvelles", détaille-t-elle.

Les Ivoiriennes Ange N'Guessan et Ines Nrehy Tia célébrant un but face à la Thaïlande lors de la Coupe du monde, le 11 juin 2015. (ANDRE RINGUETTE / AFP)

Même pour la Côte d'Ivoire, qui n'a plus fréquenté ce niveau depuis, l'effet Coupe du monde s'est fait sentir, avec plus de dix joueuses passées professionnelles. "C'était l'occasion de se montrer, insiste Inès Nrehy Tia. Il fallait l'utiliser comme un coup de projecteur." Les Panaméennes, déjà éliminées, devront garder cet exemple en tête. Au mondial féminin, la victoire n'est pas toujours sur le terrain.

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