Tour de France 2022 : hégémonique puis outsider, l'équipe Ineos Grenadiers fait sa révolution pour contrer Tadej Pogacar
La formation britannique, dominatrice pendant la décennie 2010, est rentrée dans le rang. Elle doit se réinventer pour continuer à lutter pour la victoire sur le Tour de France.
L'image d'un train bleu et noir de coureurs Sky à destination des Champs-Elysées, qui ne se retournait que pour compter les passagers déposés en chemin, a fait long feu. La formation britannique, créée en 2010 et devenue Ineos Grenadiers en 2020, n'a plus grand-chose à voir avec l'ogre qui a fait main basse sur sept des douze derniers Tours de France. Bradley Wiggins, Christopher Froome (quatre fois), Geraint Thomas puis Egan Bernal : la fusée à plusieurs étages dans les cols avait pris l'habitude d'arriver en jaune à Paris. Qu'importait le coureur, pourvu qu'il y eût l'ivresse.
Tout cela semble désormais d'une autre époque, et la raison ne tient à vrai dire qu'à un mot : Slovénie. Depuis l'avènement de Tadej Pogacar en 2020, couplé aux résultats de Primoz Roglic (deux Tours d'Espagne sur la période), Ineos Grenadiers vit ce qu'il a fait subir aux autres pendant huit ans : se contenter des miettes. "Ils n'ont plus le leadership comme ils l'ont eu pendant longtemps, affirme notre consultant Yoann Offredo. C'est simple, sur mes Tours de France, je ne voyais quasiment jamais les coureurs de la Sky car ils couraient toujours à l'avant du peloton. Maintenant, la tendance s'est inversée : la Jumbo-Visma fait office d'épouvantail, avec l'équipe UAE Emirates", pointe l'ancien coureur.
La journée de mercredi en atteste : jouant battu derrière Tadej Pogacar, parti en duo devant la meute de favoris, les Ineos ont subi la course, et ont même cru un moment voir Geraint Thomas et Daniel Felipez Martinez concéder un lourd débours. Il n'en a finalement rien été, mais l'image était là : les Anglais ont laissé la main, et ils n'ont plus la solution pour la reprendre.
La vie sans Bernal
Le palais de la couronne britannique s'effrite et doit donc faire sa révolution pour continuer d'exister. "Tu es obligé de t'adapter. Le passé a montré que souvent lorsqu'un coureur gagne le Tour à 21 puis à 22 ans, il est parti pour une lignée. Donc, comment déstabiliser ça ?", souligne Offredo. En outre, Ineos Grenadiers doit faire sans Egan Bernal, blessé gravement dans un accident en Colombie alors qu'il était désigné comme celui qui devait perpétuer l'opulence de la Perfide Albion.
Pour savoir qui sera l'homme à suivre, la hiérarchie claire esquissée au feutre indélébile sur la feuille de briefing a laissé place à un essai fait de ratures. Ineos a d'ailleurs choisi... de ne pas choisir, en emmenant Adam Yates, Geraint Thomas et Daniel Felipe Martinez sur la Grande Boucle, soit trois coureurs capables d'assumer un rôle de leader.
"On ne va pas forcément compter sur eux mais ils ont beaucoup d'outsiders, des coureurs dont on n'imagine pas qu'ils puissent renverser le Tour. Il y a Geraint Thomas, qui a déjà gagné le Tour et vient de remporter le Tour de Suisse, Martinez qui est un excellent grimpeur, et Yates qui va plus cibler les étapes. Ce sont ceux à qui peut profiter le marquage entre la Jumbo-Visma et UAE", analyse Yoann Offredo.
Great to see our GC trio of Adam, G and Dani all finish safely as stage three comes down to a mass sprint.
— INEOS Grenadiers (@INEOSGrenadiers) July 3, 2022
Our guys missed a big crash with 10km to go, with @GannaFilippo and @jcastroviejo held up by the blockage #TDF2022 pic.twitter.com/kiQckpFvFI
Cet Ineos version Cerbère est-il une adaptation directe au problème slovène ou bien une refondation en profondeur de sa stratégie ? "C'est structurel, nous essayons d'avoir toujours au moins deux leaders. Les gars sont en forme, ils ont un vrai sens du dévouement les uns pour les autres. On a vu ce qu'a fait Dani [Martinez] sur le Tour de Suisse pour 'G' [Geraint]. Nous sommes toujours dans le coup pour la gagne, nous faisons une excellente saison", assure Rod Ellingworth, un des managers de la formation britannique.
"Pogacar sera moins bien un jour"
L'osmose dans le paddock est en tout cas palpable : les accolades sont nombreuses et la bulle Ineos, d'ordinaire si hermétique, s'ouvre au public et aux médias, dans la lignée d'un Thomas disert. "C'est toujours mieux d'avoir plusieurs cartes et plusieurs atouts, même un peu moins forts", juge Yoann Offredo. Mercredi à l'arrivée, Adam Yates était tout sourire sur son home-trainer malgré la boue et la poussière séchés sur son visage, réconfortant un Daniel Martinez en difficulté mais finalement rescapé.
"A la pédale en montagne, Pogacar est imbattable. Il faut utiliser toutes les forces en présence, même un équipier comme Luke Rowe qui peut durcir la course dans un moment difficile. Il faut répartir les rôles, c'est une stratégie qui peut être intéressante"
Yoann Offredo, ancien cycliste professionnelà franceinfo: sport
Car on ne laisse pas si facilement son vassal devenir suzerain quand on a remporté la Grande Boucle sept fois en huit ans (entre 2012 et 2019). "Pogacar est humain. Il sera moins bien un jour, il faudra saisir notre chance. Pour être honnête, c'est un coureur phénoménal, parmi les meilleurs que je n'ai jamais vu", explique Rod Ellingworth. Pogacar n'a montré aucun signe de fléchissement depuis la 20e étape du Tour de France 2020, lorsqu'il avait ravi la tunique jaune à Primoz Roglic, et la tendance est même à l'inverse après sa démonstration mercredi.
"Il nous propose une telle concurrence que ça nous donne encore plus envie de gagner. Nous avons des plans. Nous voulons continuer à gagner, et il n'y a pas moins d'ambition qu'avant", conclut le manager de la formation anglaise. Les occupants du palais Ineos seront prêt à remonter sur le trône au moindre faux pas slovène.
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