Tour de France femmes 2023 : mécanicienne, directrice sportive, assistante, entraîneure... Ces métiers qui se féminisent sur la Grande Boucle
Elles sont mécaniciennes, directrices sportives, assistantes, entraîneures ou conductrice de bus. Des métiers qui étaient, il n'y a pas si longtemps, occupés exclusivement par des hommes. Pourtant, depuis la première édition du Tour de France femmes en 2022, de nombreuses équipes ont entamé une féminisation de leur staff.
Charlotte Bravard en fait partie. Depuis l'an dernier, elle est directrice sportive (DS) de l'équipe continentale Saint-Michel-Mavic-Auber 93. Un poste à responsabilités – elle a en charge la stratégie de course pendant les étapes – où il a fallu se créer une place. "Il faut avoir un petit peu de caractère pour s'imposer dans ce milieu qui est encore assez masculin, même si dans le cyclisme féminin, les choses bougent. En revanche, dans le cyclisme masculin, il y a encore peu de femmes à ce poste", admet cette ancienne coureuse professionnelle de 31 ans.
Se faire sa place dans un monde d'hommes
"En tant que femme ce n'est pas toujours facile parce qu'on ne nous attend pas à ces postes-là", confirme Delphine Deschamps, assistante chez Arkea pro cycling dans l'équipe masculine et présente sur le Tour féminin. Chaque jour, elle organise le ravitaillement des coureuses lors de l'étape où elle peut remplir jusqu'à 80 bidons, avant de les masser le soir.
"C'est vrai que nous sommes encore souvent confrontées à cette barrière, de ces hommes qui sont tellement dans leur truc, acquiesce Solène Le Douairon Lahaye, entraîneure au sein de la Cofidis. En fait, ce n'est même pas une question de mentalité ou de machisme. Ce n'est juste pas une question : c'est tellement installé comme cela, des hommes à ces postes, que c'est dur de s'imposer." Depuis deux ans, elle a rejoint la cellule performance de l'équipe, où elle gère notamment les états de forme des athlètes sur les périodes à grosses charges comme sur des événements tels que le Tour. L'équipe Cofidis a enclenché le pas de la féminisation. Malgré cela, "c'est très long" à bouger, regrette Solène Le Douairon Lahaye, également maître de conférence en Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) à Rennes.
Le Tour de France, un accélérateur
Les lignes ont considérablement bougé à la suite de la première édition du Tour de France femmes l'an dernier. "Cela a été permis grâce à la médiatisation du Tour. À mon époque, on voyait cinq minutes de course à la télévision et c'était tout. Aujourd'hui, les étapes sont retransmises et il y a du public, ça change tout. Tout le monde veut qu'il y ait de plus en plus de courses féminines", relève Delphine Deschamps, ancienne coureuse, qui a participé à la Grande boucle en 1999, finie à la 120e place.
"Il y a de plus en plus de femmes qui intègrent les équipes. Et les staffs ont grossi, à tel point qu'aujourd'hui, il n'y a presque plus de différences avec les hommes."
Delphine Deschamps, assistante chez Arkea pro cyclingà franceinfo: sport
"Il y a encore deux ou trois ans, il y avait peu de femmes directrices sportives, même au sein des équipes féminines. Là, on voit que ça se développe. Surtout, la plupart sont d'anciennes coureuses, ce qui est un plus pour pouvoir transmettre notre expérience", remarque Charlotte Bravard. Au sein de la Saint-Michel-Mavic-Auber 93, sur 14 membres de l'équipe, elles sont quatre femmes, aux postes de DS, assistante, conductrice de bus et stagiaire en communication.
Plus de femmes dans les équipes, un atout
Féminiser devient un atout pour les équipes : "Avoir des femmes dans les équipes peut tout changer. Les coureuses peuvent plus facilement s'ouvrir sur certains sujets qui peuvent être tabous, comme par exemple les menstruations, la prise de pilules etc. Elles vont davantage en parler à une femme qu'à un homme, car elles se sentiront plus en confiance et à l'aise", constate Solène Le Douairon Lahaye. Cela s'avère d'autant plus important que les cycles menstruels, par exemple, sont un paramètre qui peut avoir un effet sur la performance des athlètes.
Pourtant, pour la DS de Saint-Michel, trop féminiser n'est pas non plus une bonne solution : "Je suis pour la diversité dans l'équipe, et la mixité entre hommes et femmes. Chacun a son expérience et son vécu, et qu'on soit un homme ou une femme, on a tous des choses à transmettre et à apprendre. C'est ce qui fait la richesse d'une équipe", justifie Charlotte Bravard, dont l'équipe vise un top 15 dans le classement général avec sa leader Coralie Demay.
Recherche désespérément mécanicienne
En revanche, d'autres postes peinent encore à se féminiser. C'est le cas des mécaniciennes. Sur le paddock, il est même difficile d'en trouver une à ce poste. L'Allemande Janine Buschmeyer est la seule sur le Tour à occuper cette fonction, au sein de l'équipe allemande Ceratizit-WNT. "C'est rare pour une femme d'occuper ce poste de mécanicienne. Je n'en ai d'ailleurs pas encore rencontré d'autres. Nous sommes peut-être 5%, pas plus, dans le métier constate-t-elle. Vous savez, souvent, les hommes pensent que vous ne pouvez pas faire ce travail, comme s'ils n'avaient pas confiance, alors que nous en sommes capables autant qu'eux", regrette-t-elle.
Elle a rejoint l'équipe en mars dernier, et participe à son premier Tour. "Il y a quelques années, j'ai décidé de devenir mécanicienne. C'était mon rêve de travailler dans le cyclisme, raconte-t-elle. J'ai d'abord commencé dans un atelier dans ma ville à Hambourg, et j'avais en tête de travailler dans une équipe féminine, pour soutenir l'évolution du cyclisme féminin. J'ai décidé de postuler et un jour, j'ai reçu un appel téléphonique de Ceratizit qui me proposait de rejoindre leur équipe. J'ai sauté sur l'occasion", se remémore Janine Buschmeyer.
La formation, la solution
Chaque jour pendant la Grande boucle, elle doit nettoyer les vélos, les inspecter pour vérifier qu'il n'y a pas de dysfonctionnement, regonfler les pneus, les préparer à l'étape suivante et les adapter à chaque coureuse. "On est toujours en communication avec les coureuses, pour savoir si elles se sentent bien après l'étape, s'il y a quelque chose qu'elles veulent changer. Chaque jour, le vélo doit être parfait", explique la mécanicienne de Ceratizit. Intégrer d'avantage de femmes dans ces métiers de l'ombre devient crucial selon elle : "C'est important que plus de femmes occupent ces postes pour montrer aux autres femmes, et aux jeunes filles, que l'on peut le faire, que l'on peut avoir confiance en soi, que ce soit pour les athlètes, pour l'équipe et pour le cyclisme en général".
Pour féminiser davantage les équipes femmes et hommes, la formation et la médiatisation sont la clé. "Cette année, en spécialité cyclisme, sur une dizaine d'étudiants, il n'y avait aucune fille, relève Solène Le Douairon Lahaye, qui forme les futurs entraîneurs. C'est sûr que s'il n'y en a pas, on ne peut pas aller les recruter. Et s'il n'y a pas de modèles, on ne peut pas se dire 'j'aimerais intégrer une équipe professionnelle'. Il y a un devoir de représentation."
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