ENTRETIEN. Tour de France 2024 : "On ne remplace pas Paris et les Champs-Elysées comme ça", avoue Christian Prudhomme
Son grand oral. A l'heure où les cyclistes professionnels raccrochent leur biclou pour l'hiver, Christian Prudhomme ressort, lui, son micro. Comme le veut la tradition, fin octobre, le directeur du Tour de France monte sur scène pour dévoiler le parcours de l'édition suivante. A quelques heures de ce rendez-vous attendu par le monde du cyclisme, ce dernier a pris le temps, dans ses bureaux de Boulogne-Billancourt, d'en dire plus sur le Tour de France 2024 et ses nouveautés.
franceinfo: sport : Histoire, cols, paysages… Quelle est la recette d’un bon parcours ?
Christian Prudhomme : C’est de toucher un maximum de gens, surtout. Je revendique les grands départs à l’étranger, à condition qu’on aille aussi dans des petites villes en France. C’est ce mélange le Tour. Faire rayonner la France de Florence à la Creuse, c’est capital à mes yeux.
Cette année, le Tour n’arrive pas à Paris à cause des Jeux olympiques. Qu’est-ce que cela change ?
On ne remplace pas Paris et les Champs-Elysées comme ça. Il nous fallait une ville emblématique : ce sera Nice. On réalise le rêve de tout directeur du Tour de France : rapprocher l’arrivée finale des montagnes. On aura un contre-la-montre le dernier jour pour la première fois depuis le duel mythique entre Laurent Fignon et Greg LeMond en 1989, avec 700 mètres de dénivelé, sur la côte d'Azur. Tous les ingrédients sont réunis pour en faire un grand moment.
Les JO auront une autre conséquence sur la Grande Boucle, c’est qu’il n’y aura pas de meilleure préparation à l’or à Paris que de briller sur le Tour, ce qui devrait attirer du monde dans le peloton…
Ce qui est bien, surtout, c’est de voir quatre champions emblématiques dans quatre équipes différentes, alors qu’on a cru à un moment donné que deux de ces équipes allaient fusionner… Avec Jonas Vingegaard (Jumbo-Visma), Tadej Pogacar (UAE Team Emirates), Remco Evenepoel (Soudal-Quick Step) et Primoz Roglic (Bora-Hansgrohe) chacun dans une équipe, ça va être très intéressant.
Sans oublier la légende Mark Cavendish, qui a prolongé d'un an pour être au départ...
On a vu à Bordeaux l’été dernier qu’il ne lui manquait pas grand-chose. Le lendemain, il tombe, malheureusement… On a tous en tête son visage abattu, déconfit. Mais il revient ! Le vieux Mark renaît toujours de ses cendres. Évidemment, son but ultime sera d’aller chercher une 35e victoire d’étape pour devenir le recordman absolu.
"Ce sera la première fois qu’on monte aussi haut, aussi tôt"
D’autant qu’il aura de quoi faire, avec un parcours très varié, non ?
Il y a de la place pour tout le monde, avec un peu moins de montagne que l’année dernière. C'était d'ailleurs exceptionnel. On a de la montagne du début à la fin, mais pas en permanence, avec de la place pour les rouleurs, les baroudeurs et les sprinteurs. Depuis quelques années, on essaye de faire en sorte d’avoir le plus rapidement possible les favoris épaule contre épaule.
Il y aura plusieurs nouveautés, dont le départ en Italie. Et on l’imagine, un hommage à Pantani avec l’arrivée à Rimini ?
En vérité, les trois premières étapes sont plus longues que ce qu’on imaginait. On s’est rendu compte que pour nos amis italiens, qui accueillent un premier Grand départ du Tour, c’était très important de rendre hommage à leurs champions. Ce qui sera le sens de ces trois étapes. Fausto Coppi, Gino Bartali, Marco Pantani, Vincenzo Nibali… On passe par leur ville de naissance et leurs routes d’entraînement.
On peut aussi citer la côte du sanctuaire San Luca à Bologne, mais ce qu’on retient surtout, c’est la 4e étape avec Sestrières, Montgenèvre et le Galibier . On sera très vite dans le vif du sujet.
Et même dès la première étape, puisque ce sera le premier jour avec le plus de dénivelé de l’histoire avec 3 600 mètres ! Ce n’est pas parce qu’on cherche le plus dur, mais parce qu’on n’a pas le choix au vu de la géographie locale. Ensuite, on a le sanctuaire de San Luca à Bologne, c’est comme le Mur de Huy. La montée est très, très raide. Avec la 4e étape, on monte déjà très haut avec le Galibier. D’ailleurs, ce sera la première fois qu’on monte aussi haut aussi tôt dans l’histoire du Tour.
Les chemins blancs, apparus sur le Tour de France femmes 2022, font leur entrée sur le Tour masculin. Pourquoi ?
Notre dogme, c’est qu’il n’y a pas de dogme, en dehors d’une limite : ne pas avoir trois arrivées au sprint consécutives. Loin des massifs, il faut aller chercher des terrains sélectifs. On utilise des côtes, des contre-la-montre, des pavés, et là on mise sur les chemins blancs de la Champagne. On y est allé pour le Tour de France femmes en 2022, et cela avait fonctionné. Ils sont souvent précédés ou suivis d’une côte, parfois très raide. Il y aura 2 000 mètres de dénivelé ce jour-là, et 32 kilomètres de chemins blancs.
Parmi les autres originalités, on note une arrivée à Saint-Amand-Montrond, sur les terres de Julian Alaphilippe. C’est un cadeau pour lui ?
C’est pour Julian, et pour le vent. La dernière fois en 2013, il y avait eu des bordures, parce qu’on roule dans le sens qu’il faut par rapport aux vents dominants. Il y a beaucoup de routes à découvert, beaucoup de changements de direction dans les 25 derniers kilomètres, où il n’est pas impossible que l’élastique craque.
Les Alpes seront traversées deux fois, les Pyrénées et le Massif central aussi, avec des cols mythiques au rendez-vous. En dehors de cela, quelle étape, peut-être moins scintillante, sera à ne pas manquer ?
Celle entre Evaux-les-Bains et Le Lioran (la 11e), sans le moindre doute, qui va de la Creuse au Cantal. C’est une longue étape de 211 kilomètres, sans un mètre de plat, qui tournicote sans arrêt sur des routes sinueuses. Les 40 derniers kilomètres sont très rudes, avec des tremplins, le tout dans un décor magnifique. C’est clairement une étape pour un coup de folie d'un des grands favoris du Tour si une mouche le pique. Ce qu'on observe ces dernières années…
Une nouvelle génération spectaculaire et polyvalente, incarnée par Pogacar ou encore Van Aert, a émergé. Vous sentez que le cyclisme est en plein essor ?
Sans aucun doute. C’est assez logique, grâce au comportement de ces champions. On est passé d’une période de catenaccio comme on dit dans le foot (une tactique très défensive), avec une sélection qui se faisait par l’arrière, à un feu d’artifice d’attaques à l’avant. Sans oublier le duel Pogacar-Vingegaard, en plus des Van Aert, Van der Poel… Il se passe quelque chose de fort grâce à ces attaques à foison. On ne sait jamais ce qu’il va se passer le lendemain. On s’en rend surtout compte avec le nouveau public le long des routes du Tour.
"Le Tour se nourrit des beautés de la France"
Vous parlez de ce nouveau public, plus jeune. C’est aussi un public plus exigeant sur la question environnementale. Le Tour poursuit-il ses efforts ? Peut-on envisager une flotte totalement électrique par exemple, à moyen terme ?
Pour utiliser une voiture électrique sur le Tour, on ne peut pas aller plus vite que la musique, faute de bornes de recharge. On a déjà un système de recharge mobile pour 15 voitures. On avance sur le sujet, le plus rapidement possible. Ensuite, le travail sur la caravane est très important, notamment sur les emballages. Pareil sur les zones de collecte pour les coureurs, créées sur le Tour et désormais règle de l’UCI. D’ailleurs, les coureurs ont été bien moins bons l’été dernier que les fois précédentes et on l’a bien noté…
On a aussi les arrivées qu’on aménage en fonction des lieux. Elles sont parfois dissociées comme l’an dernier avec le Puy-de-Dôme. Le Tour se nourrit des beautés de la France, et n’a pas du tout envie de les abîmer. On a respecté notre parole, ce qui nous valu d’autres critiques, sur l’absence de public, mais le Tour respecte les environnements qu’il traverse.
Ce Tour sera votre vingtième en tant qu'organisateur. Vous avez toujours la même excitation à l’heure de dévoiler le parcours même si les fuites gâchent une partie du plaisir ?
Ça va faire vingt ans oui, je suis arrivé en janvier 2004. Je suis devenu directeur du Tour le 1er février 2007. Il y a une effervescence, une envie qu’on ressent chez les uns et les autres. C’est excitant. Les gens qui dessinent le parcours selon les rumeurs ? Ça a toujours été comme ça. Autrefois, ça m’agaçait un peu, mais de moins en moins. Ça veut dire que le parcours du Tour intéresse les gens. Je suis devenu très philosophe là-dessus.
Après la fin pesante du dernier Tour de France, avec le retour des suspicions de dopage, l’annonce du parcours pour l’édition 2024 permet de revenir au sportif.
Je n’irais pas jusque-là, ce n’est pas ce que j’ai ressenti. Après, on va pouvoir parler de sport, oui, et se projeter vers juillet. C’est toujours un moment très agréable de dévoiler le parcours.
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