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Vendée Globe : pour François Gabart, il sera difficile pour les skippers de ressentir "l'énergie d'un échange réel avec le public"

Le Vendée Globe démarre ce dimanche sans public et malgré un contexte sanitaire critique en France. Pour François Gabart, le vainqueur de l'édition 2012/2013, l'expérience devrait manquer de certaines saveurs.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
François Gabart, en novembre 2018 (LOIC VENANCE / AFP)

Cette année, les skippers vont prendre le départ du Vendée Globe sans public, en raison des restrictions sanitaires. Pour vous, qui avez déjà connu la ferveur d'un départ du Vendée Globe (en 2012/2013), qu'est-ce qui va manquer aux participants cette année ? 
François Gabart :
"Personnellement, je m'en souviens, j'avais réussi à rester dans ma bulle le jour du départ. En fait je m'en souviens comme s'il y avait un filtre par-dessus les images, j'ai presque l'impression de revoir un film quand j'y repense. Alors que quand je repense à mon arrivée par exemple, c'est différent, tout est encore très clair.

Après, le départ du Vendée Globe, c'est quelque chose de très, très fort émotionnellement. Et même, pendant les trois semaines qui précèdent le départ, il y a une effervescence autour de notre sport à laquelle on n'est pas habitués, nous skippers. On communique avec le public comme on ne le fait jamais le reste de l'année. Il y a une bienveillance générale à notre égard, un respect immense pour ce qu'on fait. Et le départ, oui, c'est une vraie folie que ne vont pas connaître les skippers cette année. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de public : c'est simplement que les gens les suivront derrière leur écran cette fois.

J'ai l'habitude de dire que la voile et la course au large sont un reflet de notre société. Ce sera aussi le cas cette fois : le rapport des marins avec l'autre, avec le public, sera impacté comme tous les rapports sociaux le sont en ce moment. Ils seront conservés, de manière virtuelle, mais l'énergie qu'on peut ressentir dans un échange réel avec le public est totalement différent. Ça va être difficile pour eux de la ressentir, cette énergie."

Justement, cette année, l'organisation incite fortement les skippers à rendre régulièrement compte de leur quotidien sur les réseaux sociaux (si les skippers ne remplissent pas leur engagement à ce niveau, ils peuvent se voir infliger 5000 euros d'amende, ndlr). Que pensez-vous de cette tendance à mettre en scène le quotidien des skippers, là où sur les premiers Vendée Globe, il y avait un certain mystère autour de leur odyssée ? 
FG :
"Je ne parlerais pas de mise en scène, mais de relation plus directe entre le skipper et son public. Parce que rien n'est vraiment organisé, on se filme nous-même, l'image n'est pas forcément belle, c'est spontané, c'est sincère, on commente notre quotidien en direct, rien n'est préparé. Du coup c'est assez éloigné d'une communication traditionnelle.

Encore une fois, j'aimerais faire le parallèle avec ce qui se passe dans la société en ce moment. Avant, quand on partait en vacances, pour donner des nouvelles à nos proches, on envoyait une carte postale ou on attendait d'être de retour pour tout raconter. Aujourd'hui, c'est différent. On a tous une conversation WhatsApp sur laquelle on envoie des photos des lieux qu'on visite, des plats qu'on mange, etc. Chacun veut montrer ce qu'il  vit à ses proches, c'est devenu notre nouvelle manière de maintenir le lien. Pour la voile, c'est pareil, on veut rendre compte de ce qu'on vit. Après, il y a les mêmes désavantages que dans la société : une tendance à être trop sur son téléphone ou son appareil, ne pas être pleinement dans l'instant, et les skippers doivent faire attention ne pas tomber dans des choses débiles aussi." 

On parle souvent de l'héroïsme des marins qui s'apprêtent à faire le tour du monde à bord d'un bateau à voile. Mais, sur la ligne de départ, ressentent-ils de la peur ? Cela leur arrive-t-il de céder à la panique ? 
FG : "Je ne dirais pas que c'est de la peur, en tout cas pas dans mon cas : plutôt une conscience du danger. C'est un petit sentiment subtil de peur si vous voulez. Tu peux être bizuth ou avoir des années d'expérience : tu la ressentiras cette petite peur. En tout cas, il vaut mieux que tu la ressentes comme ça. Parce qu'à mon avis, si tu n'as pas cette conscience du danger, si tu as l'impression de t'embarquer dans une aventure ordinaire, c'est que tu n'es pas prêt. Et à l'inverse, si tu as peur, vraiment peur, au moment de partir, à mon avis c'est qu'il y a un problème aussi.

Ce sentiment d'inconnu c'est quelque chose que tu peux lire dans les yeux de tes proches aussi. Mais, dans mon cas, c'est la même chose : il n'y a pas de peur dans leurs yeux. Seulement la conscience de ce qui m'attend. Et, idéalement, il vaut mieux pour le skipper que les proches soient aussi dans cet état d'esprit.

Pour les skippers cette année je pense que ce sera un peu différent, car tout le monde s'est habitué, dans la société, à ce sentiment de peur, d'inconnu. Dans le monde de la pandémie, quand on fait face à ses proches d'âge avancé, on l'a aussi, ce sentiment d'inconnu sur ce qui adviendra."

Il y aura plus de femmes et plus d’étrangers dans cette édition. Et en même temps, le Vendée Globe reste une course largement masculine et franco-française. Est-on sur la bonne voie sur ces sujets, selon vous ? 
FG :
"J’ai tendance à voir le verre à moitié plein. Je me souviens l’année de ma victoire, les femmes n’étaient que quatre ou cinq, je ne sais plus. En 2016, il n’y en avait pas. Là elles sont un peu plus nombreuses. Certes, ce n’est pas suffisant. Il faut aller plus loin, d’autant que quand on regarde les statistiques, elles font de meilleures performances que les hommes proportionnellement à leur part dans le total des participants. Mais j’ai l’impression que les choses évoluent quand même dans la bonne direction, et j’espère que ça se confirmera lors des prochaines éditions."

Il y aura un nouveau gagnant dans deux mois. Vous-même l’avez remporté il y a huit ans maintenant. Avec ce recul, est-ce que vous diriez que ça change un homme de gagner le Vendée Globe ?
FG :
"Oui ça change un homme de le gagner, mais ça change aussi un homme de ne pas le gagner… J’aime croire qu’on grandit dans la vie, que l’homme est fait pour avancer, progresser, après chaque expérience. Moi je ne suis pas le même homme qu’il y a huit ans, le Vendée Globe y est pour quelque chose, mais aussi plein d’autres expériences. C’est peut-être moins le fait de gagner le Vendée Globe que de le vivre, tout simplement, qui compte. Peut-être que celui qui finira 2e ou 3e en tirera bien plus que le gagnant, par exemple, je ne sais pas."

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