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Vendée Globe : "On est parti pour un long voyage !", lance Damien Seguin après une semaine de mer

Sur son monocoque Groupe Apicil, Damien Seguin arrive à la latitude du Cap Vert ce lundi. La bascule vers le Sud ne va pas tarder à arriver. Toujours dans le paquet de tête depuis le départ, le skipper handisport mène son bateau de main de maître. Remarquable pour un débutant, et tout ça rappelons-le d’une seule main. Damien Seguin est vraiment un skipper pas comme les autres, démontrant qu’il est finalement comme les autres.
Article rédigé par Eric Cintas
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7 min
Damien Seguin souriant et confiant à bord

On va revenir sur votre départ canon, racontez-nous à nouveau, était-ce prémédité ou pas ? 
Damien Seguin : "C’est dans mes habitudes, en voile olympique j’aime bien prendre les départs devant et taquiner un peu la ligne. Ça m’a surtout fait plaisir qu’au moment du coup de canon je me retourne pour voir tous les autres bateaux derrière moi. Alors oui, j’avais un peu prémédité ça mais je le fais à chaque fois. Au Défi Azimut à Lorient en Septembre (ndlr dernière course préparatoire avant le Vendée Globe) j’avais fait pareil et en général c’est un exercice que j’apprécie et que je sais bien faire."

Sur un Vendée c’est symbolique, mais pourtant 24 h après vous étiez en tête de la course, comment avez-vous vécu cela ?
DS :
"C’était génial, pour mes partenaires, ma famille, mon équipe, mes proches... Mais il faut relativiser, c’était l’option qui voulait ça aussi. Comme j’ai été le premier à la prendre, c’était clair dans ma tête et je voulais aller dans cet endroit-là pour anticiper la suite des événements. Passer le plus près du cap Finisterre m’a mis en tête et mon positionnement vers le sud m’a donné raison.

De manière générale je suis satisfait de ma première semaine de course, j’ai bien navigué, je n’ai pas fait beaucoup d’erreurs, j’ai réussi à aller vite tout en maintenant le bateau dans le groupe de tête, sans prendre trop de risques. Cette nuit j’étais encore dans le top 5, alors ok les foilers vont nous passer un à un, Louis Burton vient de le faire, il est juste sous mon vent, mais jusque-là c’est top."

Un mot sur la course de Jean Le Cam avec qui vous avez préparé votre bateau pendant deux ans au même endroit et qui est devenu un peu votre mentor…
DS :
"Il fait la course plus que parfaite, là où j’ai fait une petite erreur de placement, lui ne l’a pas faite et il s’est envolé. Depuis il maintient une cadence de dingue, et il a l’avantage de s’échapper par l’avant. Les deux premiers touchent plus de vent que nous et ils commencent à faire l’écart. Jean est en pleine maîtrise de son art et ce n’est pas un hasard si Alex (Thomson) et lui sont devant. Ils ont l’expérience et savent mener leur bateau, leur trajectoire, là où nous, parfois, pouvons-nous perdre dans des considérations « tactito-tactiques » et du gagne petit. Eux voient les choses à beaucoup plus grande échelle, c’est ça l’expérience d’un bon marin et j’ai encore à apprendre de ce côté-là."

Vous lui avez demandé des conseils quand vous étiez à Port-la-Forêt ?
DS :
"Surtout pour les mers du sud... Je lui demandais surtout des infos sur la suite et des endroits que je ne connaissais pas. Le début de course peut être variable en fonction des conditions. Le départ d’il y a quatre ans n’a rien voir avec celui-ci, beaucoup plus compliqué. Il faut savoir s’adapter à tout et Jean nous montre que lui savait exactement s’adapter."

Croisement avec Jean Le Cam Mercredi

Vous n’avez pas beaucoup mangé, vous n'avez pas ouvert vos sacs journaliers d’alimentation pendant plus de quatre jours, était-ce dû au stress ? Une autre raison ?
DS :
"Je n’ai pas mangé, je me suis nourri, ça a été sporadique mais c’était surtout quand je pouvais. Des fruits, des bananes, des boissons, des compléments de repas, des trucs qui me nourrissaient plus qu’autre chose car c’était compliqué d’aller se faire chauffer des pâtes. Mais je me connais de plus en plus et c’est comme ça que je fonctionne en transats sur les cinq premiers jours de course. J’ai adapté ça au départ d’un Vendée et ça s’est plutôt bien passé. Depuis je me suis rattrapé."

Qu’y a-t-il donc au menu de Damien Seguin depuis deux jours ? 
DS : "Je me suis préparé un hachis Parmentier lyophilisé, puis un riz au lait  et un morceau de Beaufort car j’ai une petite classe de Savoie qui me suit et qui m’a envoyé du fromage. Ça donne du goût. Ce dimanche, je me suis régalé avec un dessert qu’Arnaud Boissières m’a conseillé pour un rituel dominical, une fondue aux fruits et au chocolat. Alors oui c’est du lyophilisé, mais c’est un dessert amélioré et c’est super bon."

Les conditions ont changé aussi, vous avez quitté la tempête, beaucoup de choses deviennent différentes  à bord ?
DS :
"La nuit de samedi était la nuit la plus paisible depuis le début. Le vent était assez stable en direction et en force, un peu moins pour moi et les petits copains de devant se sont échappés, mais je me suis bien reposé et j’ai dû dormir 7 h en fractionné. Ça permet de récupérer d’une semaine éprouvante. Hier en fin d’après-midi, j’ai pu ranger le bateau, sécher tout ça, je me suis pris du temps pour moi. J’ai pris une douche, je me suis lavé, j’ai mis des fringues propres. Ça fait plaisir de voir le bateau bien rangé et le marin dans une tenue propice aux conditions estivales qu’on a en ce moment."

Quelles sont-elles ?
DS :
"Il fait 28 degrés à l’extérieur, il fait chaud dans le bateau, il n y a pas beaucoup de vent et le bateau est gîté juste comme il faut. Il y a quelques passages de grains de temps en temps mais ça tranche vraiment avec ce qu’on a vécu pendant une semaine. Là je suis sous grand-voile haute avec grand gennaker.
En vitesse je suis presqu’à 17 nœuds. Hier Louis Burton m’a dépassé avec son bateau à foils, il y a deux jours j’avais Maxime Sorel à côté de moi dans la dépression, j’ai vu Jean près de moi les premiers jours, mais Louis hier c’est peut être le dernier bateau que je vois à côté de moi avant pas mal de temps..."

 

Damien Seguin sur le pont

C’est peut-être le Vendée qui commence, vous vivez cela comment dans votre tête, en vous disant que la vraie solitude va arriver ?
DS :
"C’est compliqué de se dire ça aussi, on se dit qu’on est parti pour un long voyage. Avant-hier je parlais d’euphorie quand on se promène tout seul sur le bateau car ça fait longtemps qu’on prépare ce moment. Je suis content d’être là, surtout au regard des conditions sanitaires que l’on a quittées. On est des privilégiés, il faut en avoir conscience. Mais je parlais aussi d’angoisse parce que la transition entre marin et terrien n’est pas si simple que cela. On est rentré dans le vif du sujet avec des conditions météo délicates et naviguer en solitaire est un exercice difficile. J’aime cet effort en solitaire sur les bateaux mais sur un tour du monde, très honnêtement, on prend des risques. J’aimerais bien militer pour un tour du monde en double, pour avoir plus de sécurité et à deux, c’est mieux. Ce que je crains c’est la solitude dans sa longueur mais on en reparlera dans un mois, où là je serai loin de tout le monde."

On parle un peu classement des bateaux à dérive droite, vous avez plus de 150 nautiques d’avance sur Maxime Sorel et près de 280 sur Clarisse Crémer ? Comment voyez-vous la suite ?
DS :
"Le bon passage de la dépression m’a permis d’être bien placé (ndlr Damien Seguin est 8e au pointage de 8 h ce lundi) maintenant il faut que j’arrive à rattraper un petit peu Benjamin Dutreux à 44 nautique devant moi, il fait un début de course remarquable. Ça part un peu par devant à chaque fois, j’espère qu’il va rester à portée de fusil. Après ce sont les circonstances de course qui feront que je reviendrai sur lui, et peut-être sur Jean."

On est à 8 jours de course dans ce Vendée Globe, ça veut dire qu’en temps normal vous commenceriez à sentir les effluves de l’arrivée de la Route du Rhum ?
DS :
"Eh bien non hélas, je ne suis pas sur la route du Rhum ou du Brésil (arrivée de la Transat Jacques-Vabre) pour la première fois dans un mois de novembre. La notion de longueur, j’ai vraiment du mal à l’appréhender. Ça va venir au fur et à mesure mais je savais que ce serait quelque chose de nouveau. J’essaie de prendre les jours comme ils viennent."

Le passage du Pot au Noir arrive (ndlr zone de convergence intertropicale où les navires peuvent rester immobiles plusieurs jours). On se souvient que dans la dernière Jacques-Vabre cela s'était mal passé pour vous. Est-ce que vous redoutez ce passage délicat avec une météo parfois imprévisible et une tactique souvent aléatoire ?
DS :
"J’ai réétudié le lexique de fonctionnement du Pot au Noir mais on apprend toujours de ses échecs, donc on va essayer de ne pas rééditer deux fois les mêmes erreurs. On va l’atteindre d’ici 24 heures, je vais regarder peut-être un peu plus ce que font les copains aussi et être un peu moins centré sur moi-même. On va arriver aujourd’hui à la latitude du Cap-Vert, je vais essayer de faire un beau passage de Pot au Noir pour me venger d’il y a deux ans."

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