: Reportage "Vers quel continent vont les skippers ? Pourquoi leur voilier dérive-t-il ?": quand le Vendée Globe s'invite dans les écoles
"Non, c’est pas possible… Je suis dernier maîtresse ! J’y crois pas…", se désole Rafaël, en se prenant la tête dans les mains. Ce vendredi matin, le petit garçon de 7 ans aux lunettes rondes est dépité : la maîtresse vient tout juste d’actualiser "sa" position sur la carte papier du Vendée Globe... enfin, plutôt la position d’Armel Tripon, le skippeur que Rafaël suit durant toute la durée de la course. Sur la carte, figurent également Samantha Davies, Clarisse Crémer, Alexia Barrier, Louis Burton ou encore Jérémie Beyou, "choisis" par les autres élèves de la classe.
Mais ce jeu n’en a uniquement l’apparence. En réalité, le Vendée Globe s’inscrit dans un projet pédagogique de grande envergure, inspiré par les enseignantes de l’école et destiné à faciliter l’apprentissage des élèves.
Donner du sens aux activités
Rafaël et ses camarades sont scolarisés à l’I.T.E.P Les Tilleuls, une structure médico-sociale située à Scharrachbergheim, en Alsace (Bas-Rhin). L’école au sein de l’institut est divisée en quatre classes à effectif réduit et de niveaux différents (allant de fin cycle 1 au cycle 3), dont chacune porte le nom d’un continent : classe Asie, classe Europe, classe Océanie et classe Amérique.
"Ce sont des enfants présentant des troubles psychologiques et comportementaux. Ces troubles se répercutent sur leur processus d’apprentissage et leur socialisation, expliquent le directeur de l’institution, Monsieur Daniel Finck, et son adjoint Patrick Christmann. On s’inscrit dans un processus handicapant, mais pas face à des enfants handicapés, même s’ils dépendent de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). C’est réversible. Notre rôle est de faire en sorte que ces élèves puissent réintégrer le plus rapidement possible la société inclusive, à travers des actions personnalisées pour chacun."
Enseigner en I.T.E.P, c’est "donner du sens aux activités à travers des projets qui ont un impact sur toute la structure, et faire en sorte que les élèves soient dans des situations réelles d’apprentissage", résume Hélène Barillon, coordinatrice pédagogique. "Au-delà de ça, les élèves apprennent en manipulant", poursuit-elle. La course du Vendée Globe offre justement cette possibilité aux enseignantes.
"Fédérer les élèves"
Le projet va plus loin que ça. Une fois l’attention des élèves captée, l’enseignante de la classe Asie, Fatiha S. en profite pour leur donner une petite leçon de maths... ni vu, ni connu. "Depuis combien de jours les skippers sont-ils partis ?", interroge la maîtresse. Les réponses fusent. Pas toujours les bonnes, certes. Mais l’envie d’apprendre, elle, est bel et bien là. Avant de l’étudier en cours, les élèves n’avaient jamais entendu parler de cette course.
Outre les mathématiques, le Vendée Globe est l’outil parfait pour découvrir ou se questionner sur le monde. "Vers quel continent les skippers arrivent-ils ?", "Pourquoi leur voilier dérive-t-il parfois ?", "Quelles sont les conditions météorologiques en Antarctique ?". Encore une fois, les élèves sont intéressés et répondent au quart de tour.
La maîtresse clôt la séance Vendée Globe par un petit tour dans Virtual Regatta, un jeu virtuel qui permet de participer à la course dans des conditions réelles. Chaque classe de l’école possède son propre bateau. "Oh maîtresse, on aperçoit la classe Europe juste derrière nous, plus vite !", s’exalte Cassandra. Les élèves discutent entre eux grâce à la messagerie instantanée du jeu. "Ils aiment s’envoyer des messages entre les différentes classes. Cela permet de fédérer les élèves, se réjouit Fatiha S. Ils n’en ont pas l’impression mais ils travaillent aussi la lecture et l’écriture !"
À l’étage justement, la classe Europe (les plus grands, niveau CE1) vient tout juste de terminer une dictée. L’enseignante Laurence Seguin s’apprête à ouvrir un nouveau chapitre Vendée Globe cette semaine. Les élèves commencent par réviser les océans, puis le lexique de la voile et visionnent quelques vidéos mises en ligne par Initiatives-Coeur, relatives à l’alimentation et l’hygiène du skipper sur un bateau.
À l’écran, la navigatrice Samantha Davies. Pas un bruit. Les élèves sont complètement absorbés et fixent le tableau sans piper mot. "C’est quoi une bouilloire ?", "À votre avis, les skippers ont besoin de combien de calories ?", "Comment se lavent-ils en pleine mer ?", questionne Laurence Seguin à l’issue du visionnage.
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À la fin de la séance, les élèves notent ce qu’ils ont appris dans un petit livret rouge d'ores et déjà bien rempli. On peut y découvrir la constitution d’un voilier, la nourriture à bord, les équipements d'un skippeur ou encore les animaux marins. "J’aime bien travailler dessus, j’apprends des choses", se réjouit Zakari, 11 ans. "Alors vous êtes prêts à devenir navigateur maintenant ?", conclut la maîtresse. "OUI !", s’exclament à l'unisson les élèves.
"Lorsque j’ai eu l’idée de travailler sur le Vendée Globe cet été, je ne m’attendais pas à un tel engouement. Une classe I.T.E.P qui écoute et participe autant, c’est très rare, admet Laurence Seguin. Un bateau, le tour du monde, la mer, le vent, ça fait rêver. Ils ont l’impression de ne pas travailler mais moi j’ai mes exigences. Je vais pouvoir tout mettre en place afin que les compétences du cycle 2 soient acquises."
Le Vendée Globe, c’est aussi de belles leçons de morale pour des élèves ayant très souvent peur de l’échec. "L’exemple de Jérémie Beyou est très instructif pour eux : il est favori, pourtant il a un souci, mais cela ne l’empêche pas de repartir. Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on rencontre des difficultés qu’on doit lâcher l’affaire. Au contraire, il faut persévérer et ce conseil s’applique très bien à nos élèves", explique Laurence Seguin.
Et dans chaque classe, les enfants prennent le projet très au sérieux… au point d’en arriver à se chamailler entre eux lorsque leur skipper réalise une moins bonne performance que celle des autres : "Oh tu m’as dépassée ?", s’agace Cassandra, 7 ans, en s’adressant à Rafaël. "Et oui, tu fais moins la maligne hein maintenant !", lui rétorque le garçon, fier et soulagé de ne plus occuper la dernière position au classement. "Ils sont à fond, c’est tous les jours comme ça, lâche amusée Aline, l’éducatrice de classe. Ils ont développé une sorte d'attachement avec les skippers."
Les enseignantes espèrent entretenir cette flamme autour de la course encore plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Les enfants ne le savent pas encore, mais elles leur réservent une dernière surprise. Prochaine étape : rédiger une lettre à leurs skippers préférés… une énième manière ingénieuse de poursuivre l’apprentissage de la lecture et l’écriture, tout en s’amusant.
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