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Une F1 à côté de la plaque?

"Heureusement, le sport l'emporte face à des problèmes politiques qui ne sont pas de notre fait". Le président français de la FIA Jean Todt comme tout le monde de la Formule 1, Sebastian Vettel, n'ont montré aucun compassion, encore moins un intérêt, pour les évènements qui se produisent en marge du Grand Prix du Bahrein. Seule la course compte alors que des affrontements violents ont lieu entre force de l'ordre et manifestant.
Article rédigé par franceinfo
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Samedi, le président de la Fédération internationale automobile (FIA), Jean Todt, a tenté de mettre fin à la "controverse". "Je ne suis pas sûr que tout ce qui a été raconté (dans les médias) correspond à la réalité de ce qui se passe dans ce pays", a-t-il déclaré, mettant notamment en cause les estimations variables du nombre de manifestants et relativisant les violences."C'est quelque chose qu'on peut éviter mais ça peut arriver à n'importe quel match de football. C'est déjà arrivé en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, partout dans le monde, mais ça ne veut pas dire qu'il faut arrêter le sport", a-t-il ajouté, qualifiant le Bahreïn de "pays démocratique où les manifestations sont autorisées" et où "une forte majorité de gens souhaite la course".  Voilà, c'est fait: Todt n'a pas honte de comparer les manifestants bahreïnis  à des... hooligans de football. Certainement que les millions du Bahrein versés pour accueillir le Grand Prix de Formules 1 influencent un peu l'opinion du président de la FIA qui a le mérite de ne pas manier la langue de bois. Il dit tout haut ce que le monde de la F1 pense tout bas. 

Sans forcément soutenir ou adhérer à la cause des opposants, les acteurs de la F1 pourrait au moins montrer une forme d'intérêt ce qui se passe autour d'eux. Le mutisme -voire le déni- du monde de la Formule 1, enfermé dans sa bulle du circuit de Sakhir transformé en camp retranché, et son égoïsme à se préoccuper de sa propre sécurité avant de penser à celle des Bahreïnis, a écœuré les opposants et les militants des droits de l'homme. Jeudi, le champion du monde Sebastian Vettel a donné le ton en déclarant peu après son arrivée que tout ce qui se disait sur la situation au Bahreïn n'était que du battage médiatique et qu'il entendait se concentrer "sur ce qui compte vraiment: la température des pneus, les voitures". Classe. L'Allemand a appliqué son programme à la lettre: dimanche, il s'élancera de la première place sur la grille de départ du Grand Prix -sa première pole position de la saison-, pendant que dans les villages voisins et peut-être dans les rues de la capitale Manama, des nuages de fumée noire continueront à s'élever des pneus incendiés en signe de protestation. 

"Analyse collective"

Certains acteurs de la F1 ont reconnu l'importance des évènements et le lien avec la Formule 1. "Je pense que maintenant que nous sommes ici, nous nous sommes engagés à  faire cette course, mais qu'après cette course nous devons nous asseoir et  discuter, en évaluant ce qui s'est passé et ce que nous avons vu, pour arriver  à une conclusion", a reconnu le patron de l'écurie Mercedes  Ross Brawn au magazine Autosport. L'ingénieur britannique, l'une des personnalités les plus respectées en F1, a aussi répondu aux élus britanniques qui avaient demandé à leurs compatriotes  Lewis Hamilton et Jenson Button de boycotter ce GP de Bahreïn. "Il n'est pas correct d'inciter Jenson Button et Lewis Hamilton à influer  sur la politique étrangère d'un pays. On sait que beaucoup de choses se  passent, mais une analyse collective, dans le calme, après l'événement, nous  permettra d'y voir plus clair", a ajouté l'ancien directeur technique de la  Scuderia Ferrari.   

Le patron de McLaren, Martin Whitmarsh, a lui aussi répondu au leader du  Parti travailliste britannique, Ed Milliband, et à Yvette Cooper, sa jeune collègue du "Labour", qui avaient demandé l'annulation du GP de Bahreïn. "Je ne pense pas que ça nous aide beaucoup de nous réveiller le matin en  entendant qu'on ne devrait pas être là, alors qu'on y est déjà, donc je suis  d'accord avec ce que dit Ross", a dit Whitmarsh, dont l'écurie appartient à 50%  à une société... bahreïnie. "Nous sommes un sport international, nous nous déplaçons dans le monde  entier et il est normal que les gens expriment des opinions sur les endroits où  nous courons, comment et pourquoi (...) Il y a beaucoup d'autres choses qui se  déroulent dans le monde et qui sont tragiques, mais nous n'avons aucun contrôle  sur elles", a conclu le patron de McLaren.

Manifestations dimanche

Devant les images des violences diffusées à la télévision, un certain malaise a cependant gagné les écuries de Formule un et les annonceurs, dont Thomson Reuters, qui sponsorise l'équipe Williams, fait partie. Du côté des opposants bahreïnis, la dénonciation la tenue de cette course, qu'ils voient comme une opération de relations publiques de la famille royale sunnite après plus d'un an de répression du mouvement démocratique impulsé par la majorité chiite dans l'élan du "printemps arabe" en Tunisie et en Egypte, sera encore plus forte dimanche. Sur certaines banderoles brandies par la foule samedi, on voyait des caricatures de pilotes de F1 portant un uniforme de police et passant à tabac les manifestants. Les intéressés devraient appréciés ou, plus certainement, peu s'en soucier.  

La mort d'un manifestant de 36 ans, dans la nuit de vendredi à samedi -la 36e victime depuis le début du soulèvement réprimé avec l'aide militaire des pays voisins, dont l'Arabie saoudite- a ajouté aux tensions. Ses funérailles pourraient se dérouler dimanche si son corps est restitué à sa famille, faisant planer le risque de nouvelles émeutes après les affrontements qui ont opposé quotidiennement les protestataires à la police pendant ces "jours de colère", à coups de cocktails Molotov d'un côté, de gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc et grenaille de l'autre. Pendant ce temps, les pilotes de F1 feront leurs petits tours pour gagner le GP.           

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