« Tous les footballeurs ne sont pas millionnaires »
« Je reviens de mon inscription à Pôle Emploi, ça fait vraiment chier. » Sept ans au club n’ont pas suffi à convaincre les dirigeants du Stade de Reims de le garder. Comme n’importe quel autre salarié français, Johan Liébus, 34 ans, est donc allé pointer pour toucher ses indemnités chômage. A l’image de l’ancien du FC Gueugnon, nommé dans la catégorie « meilleur gardien de Ligue 2 » en 2006, ils sont vingt et un à participer au stage UNFP (Union nationale des footballeurs professionnels) « pour les footballeurs en rupture de contrat. » Non prolongés à l’issue de la saison en juin dernier, ces joueurs sont réunis à Lisses, petite bourgade de l’Essonne à une trentaine de kilomètres de Paris. « Ce stage est un tremplin. Les joueurs y retrouvent confiance et gaieté au sein d’un groupe, explique Pascal Bollini, directeur du stage UNFP depuis dix ans. On les place dans les meilleures conditions pour qu’ils expriment tout leur potentiel. »
Objectif contrat
Les installations de l’hôtel Leonard de Vinci offrent des conditions idéales pour y parvenir. Terrains de football, salle de musculation, balnéothérapie, sauna, jacuzzi, l’établissement justifie les trois étoiles affichées sur sa façade. Perdus au milieu d’une zone pavillonnaire bordée d’un étang, les vingt-deux participants n’ont qu’à se concentrer sur leurs performances, avec un seul objectif : retrouver un contrat. « Les joueurs doivent immédiatement s’impliquer et ne pas être timides sur le terrain comme en dehors pour réussir. Pour se mettre en valeur, il faut jouer pour l’équipe et pas pour sa gueule », insiste Serge Romano, entraîneur de ce « club temporaire », comme il l’appelle.
Réunis dans une salle de l’hôtel transformée en infirmerie, David Martot et Patrick Leugueun assurent l’ambiance. Blessé à la cuisse dès le début du stage, le premier n’échappe pas au feu nourri de son ancien partenaire à Vannes. « On a engagé une femme de ménage, en fait ! » s’esclaffe-t-il en voyant le milieu de terrain ranger les maillots. Assis sur sa table de massage, le kiné Philippe Durpès est hilare.
Cet ancien joueur professionnel fait partie d’un staff de huit personnes copié sur ceux des clubs (Coach, adjoint, entraîneur des gardiens, kiné, osthéo, intendant, responsable vidéo, responsable communication). A l’heure de l’entraînement de l’après-midi, l’implication de Serge Romano est totale. Le technicien finaliste de la coupe de France 2005 pousse ses hommes. « Plus tueur devant le but », « Bien, bel appel », « Allez les gars, on la joue pas facile ». Une fois les crampons rangés, le coach continue de parler tactique avec son adjoint Stéphane Crucet et le responsable vidéo Philippe Rossi.
Plus de la moitié des joueurs retrouveront un club
Afin de mieux mettre en valeur le groupe, le site internet du syndicat de footballeurs, auquel 95% des joueurs de Ligue 1 ont adhéré la saison dernière, a évolué. Désormais, une partie des entraînements est filmée, tout comme les matches amicaux. Des ressources vidéo que les clubs utilisent. « Au moins ici, les clubs savent ce que l’on a fait pendant l’intersaison. Si on est seul dans son coin, ils peuvent avoir des doutes », avance Guillaume Lacour, laissé sur le bord de la route par Evian Thonon-Gaillard avant l’été malgré ses 157 matches en Ligue 1.
Depuis 1990, 60% des centaines de footballeurs passés par ce stage peuvent se targuer d’avoir retrouvé un emploi dans la foulée, avec quelques belles histoires à la clé. Venu se refaire une santé dans la région parisienne avant de signer à Troyes l’été dernier, Jérémie Bréchet vient de s’engager avec Bordeaux, club régulièrement présent en coupes d’Europe. « Avant la fin du championnat, les joueurs en fin de contrat reçoivent un courrier les avertissant de l’existence du stage, explique Bollini, dit « Bobo ». Ensuite, s’ils sont motivés, ils envoient leur candidature et les vingt-deux plus réactifs sont choisis. »
Seules conditions pour participer : les joueurs doivent avoir payé leur cotisation aux syndicats et le groupe doit être équilibré. « On ne va pas prendre quinze milieux de terrains et sept défenseurs », résume « Bobo ». Outre les entraînements quotidiens, les vingt-deux « stagiaires » sont amenés à jouer une dizaine de matches amicaux pour se faire repérer par de potentiels futurs employeurs. Chacun doit donc pouvoir s’exprimer à son poste de prédilection.
Des infrastructures parfaitement adaptées
Si beaucoup se sont croisés ou côtoyés durant leur carrière, les joueurs doivent également apprendre à se connaître. Sur le bord du terrain, les 20-25 ans discutent poker tandis que les trentenaires se découvrent des connaissances communes. « Olivier Sorin, c’était un fou ». Dans le salon rouge cosy du Leonard de Vinci, l’ambiance est différente, mais le ballon rond reste au centre des conversations. Sourire aux lèvres, Habib Jean Baldé parle de son inscription à Pôle Emploi : « La femme de l’accueil a rameuté tout le monde. ‘Venez voir, j’ai un footballeur, j’ai un footballeur’ ». Le chômage ne semble pas effrayer l’ancien Nîmois. D’autres trouvent le mot trop fort : « C’est dommage qu’ils soient seulement vus comme footballeurs chômeurs alors que la plupart d’entre eux vont rester moins d’un mois sans club », s’agace Stéphane Saint-Raymond, directeur de l’information à l’UNFP.
A 12h30, les vingt-deux peuvent profiter d’un repas équilibré à base de crudités, pâtes et viande blanche. Sans que le staff ne les ait briefés, aucun d’eux ne se laisse séduire par les desserts sucrés. Tous sont conscients qu’il leur faut recouvrer la totalité de leurs moyens le plus vite possible. « Je ne pensais pas que ça prendrait autant de temps pour retrouver un club, concède Alexandre Wroblewski, ancien transfuge du FC Nantes. L’idéal serait de signer rapidement, même s’il faut repartir d’une division inférieure. Le tout c’est de rester dans le circuit. » Ses vingt et un partenaires partagent la même ambition que l’ancien Canari de 21 ans dans un foot business où le « zapping » est devenu roi.
Continuer de jouer est une nécessité pour ces footballeurs qui acceptent les règles du jeu d’un milieu précaire. « On sait que ça peut s’arrêter à tout moment», admet l’ancien du FCNA. A l’image de celui de l’ex-Nantais, les stages UNFP voient défiler des visages de plus en plus juvéniles. La moitié des joueurs de cette cuvée 2013 sont nés après 1988. « Quand je suis arrivé, les joueurs qui venaient étaient souvent en fin de carrière. La courbe s’est inversée, analyse Pascal Bollini. Ce n’est pas inquiétant, ça veut juste dire qu’ils n’ont pas encore fini leur développement. Mais je comprends que ça puisse être déroutant pour eux d’être en rupture de contrat à 20, 22 ans. »
Symboles de ce phénomène nouveau, Dominique Agostini et Cyril Hennion forment l’une des nombreuses chambrées du stage estampillées moins de 25 ans. « C’est bien rangé, hein ? » sourit le Corse. Torse nu sur son lit, son compère niçois se raconte, les yeux rivés sur la télé et le bras de fer Murray-Verdasco en quart de finale de Wimbledon : « Je devais signer trois ans à Nice mais je me suis blessé en décembre 2011. J’ai galéré à revenir, du coup ils m’ont donné un an. »
Des joueurs à la merci des clubs
A Bastia, Agostini a vécu le même genre de mésaventure. En mars 2012, le gardien se blesse au genou. Puis voit débarquer Bonnefoi et Landreau au cours de la saison suivante. « J’ai su que c’était mort pour jouer donc j’ai préféré rompre mon contrat à l’amiable. » Malgré l’inconnu qui entoure la suite de leur carrière, aucun des footballeurs n’imagine voir sa route s’éloigner de celle du ballon rond. « Je me rends compte que j’ai fait des mauvais choix dans ma vie personnelle et professionnelle. Cette expérience m’aidera à en faire de meilleurs, positive Christopher Missilou, 20 ans. Makélélé ou Lassana Diarra ont aussi connu des débuts compliqués avant de réussir une grande carrière. »
Sans contrat, les joueurs sont des proies faciles pour les clubs. « L’an dernier, certains ont reçu des propositions indécentes. 2.500 euros par mois en Ligue 2 pour un joueur confirmé… Tous les footballeurs ne sont pas millionnaires…», témoigne Philippe Rossi. Pas de quoi démotiver des footballeurs prêts à certains sacrifices pour revenir sur le rectangle vert avant la fin du marché des transferts le 2 septembre. Jusqu’à début août, les vingt-deux hommes dirigés par Serge Romano pourront profiter du stage financé par l’UNFP grâce aux cotisations. Ils ne sont que la partie visible des 250 joueurs professionnels laissés libres à l’issue de leur contrat en juin.
S’ils trouvent un nouvel emploi, ils cèderont leur place à Lisses à un de leurs collègues placés sur liste d’attente. « Le football n’appartient plus aux footballeurs mais aux patrons. Certains présidents sont venus du monde extérieur avec une mentalité différente, s’indigne le technicien messin. Les clubs sont devenus des entreprises comme les autres ». Au cœur de ce système, les footballeurs sont des chômeurs lambda.
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