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Pourquoi y a-t-il de moins en moins d'abandons sur le Tour de France ?

Le taux de coureurs qui jettent l'éponge est en baisse constante depuis les hécatombes des temps héroïques.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Les coureurs du Tour de France sur la chaussée après une chute dans l'étape Anvers-Huy, le 6 juillet 2015. (BENOIT TESSIER / REUTERS)

"Le Tour de France, le Tour de souffrance", a écrit, un jour, le célèbre journaliste Albert Londres. Sans remettre en cause l'héroïsme de ceux qu'on surnomme encore "les forçats de la route", force est de constater que le taux d'abandons est en baisse constante depuis les sommets des temps héroïques. 80% du peloton devrait voir les Champs-Elysées, dimanche 23. Pourquoi ? 

Des conditions matérielles bien meilleures

L'idée directrice des premiers Tours de France était d'éliminer un maximum de coureurs avant l'arrivée à Paris. Appelez ça du sadisme ou du darwinisme à bicyclette, la presse se plaignait d'un parcours insuffisamment sélectif quand plus de 20 coureurs ralliaient l'arrivée dans les années 1920, raconte Christopher Thompson dans son livre Tour de France : a Cultural History. Ainsi, le dérailleur, inventé en 1890, n'est autorisé sur la course qu'après les années 1930, de peur qu'il ne réduise le caractère épique de l'épreuve. Les coureurs qui cassent leur matériel doivent se débrouiller pour le réparer, sans avoir le droit de le remplacer.

En 1929, Victor Fontan, un grimpeur palois, porte le maillot jaune quand il casse son cadre dans la dernière étape pyrénéenne. Par miracle, il parvient à emprunter un vélo (trop petit) à un paysan qu'il tire de son lit. Il tente d'amener son vélo brisé chez un marchand de cycles, mais les commissaires de course le surprennent et le contraignent à l'abandon. 

Des parcours plus raisonnables

Le Tour de France le plus long a eu lieu en 1926 : 5 745 km. Depuis, la distance parcourue par les coureurs est sur une pente descendante, avec des étapes de plus en plus courtes. La plus longue de l'édition 2015, entre Seraing (Belgique) et Cambrai (Nord), affiche 229 km. Sur le parcours du Tour 1993, on trouve six étapes plus longues, dont l'interminable Fécamp-Dunkerque et ses 261 km. Les organisateurs justifient cette tendance en expliquant vouloir ainsi lutter contre le dopage. Revers de la médaille, le rythme est encore plus soutenu. "Les coureurs sont épuisés parce que la vitesse est constamment élevée et les courses débridées", constate un préparateur dans Libération.

Des routes en meilleur état

Ce n'est pas anodin : 1919 est l'année où le taux d'abandon a battu tous les records. Les coureurs avaient roulé tant bien que mal sur les routes défoncées d'une France encore meurtrie par la première guerre mondiale. Depuis, le Tour de France représente l'opportunité pour les communes et les départements de goudronner à neuf les routes empruntées par le peloton. La Grande Boucle a résisté à la tentation d'emprunter des routes de terre en haute montagne, contrairement au Giro ou à la Vuelta. "Sur le Giro, ils veulent nous faire descendre le Montegrossi [un col avec des chemins de terre]. Ça, c'est dangereux !", témoigne, dans Le Figaro, Johnny Hoogerland, projeté sur les barbelés par une voiture de la course lors du Tour 2011.

Des coureurs mieux préparés

Le coureur italien Fabio Baldato au départ d'une étape du Tour de France, à Fécamp (Seine-Maritime), le visage pansé, le 6 juillet 1995. (JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS)

Les coureurs du peloton du XXIe siècle n'ont plus grand chose à voir avec leurs aînés. La légende du Tour est pleine de participants qui ont abandonné, victimes d'un surdosage d'amphétamines, comme Tom Simpson - qui en est mort - ou Abdelkader Zaaf. Jusque dans les années 1970, de nombreux coureurs buvaient beaucoup, croyant aux vertus euphorisantes de l'alcool. Le remède contre les jambes lourdes dans le peloton, c'était "un mélange de cognac et de jaune d'œuf", raconte le coureur lorrain André Wilhelm dans L'Est Républicain. Aujourd'hui, ça n'est pas forcément plus sain, mais plus efficace.

Des supporters qui se sont (un peu) calmés

Dans la première moitié du XXe siècle, les spectateurs au bord de la route se comportaient comme des hooligans. Ainsi, le vainqueur du Tour 1937, Roger Lapébie, doit sa victoire aux supporters français qui ont jeté du poivre dans les yeux de l'équipe belge, entraînant le retrait du leader du classement général, Sylvère Maes. Désormais, le public pèche par imprudence. "Les spectateurs sont là pour faire la fête, mais les coureurs sont là pour faire une course. La première chose que les coureurs disent en arrivant à l'hôtel, c'est qu'ils ont eu peur. On a peur de renverser un gamin, on roule sur les téléphones portables en permanence. Il y a vraiment un décalage, on n'est pas dans le même trip. Le grand danger du Tour de France, il est là", fustige le directeur sportif de l'équipe FDJ Marc Madiot, sur France 3. L'année dernière, les coureurs avaient critiqué la mode des selfies pris dos au peloton. Attendez que la première perche à selfie se prenne dans les roues d'un coureur...

Le sabotage est passé de mode

Cette anecdote, contée par Léon Scieur au journaliste Pierre Chany dans sa Fabuleuse histoire du Tour de France, résume l'ambiance sur la Grande Boucle en 1923 : "Alors que je grimpais le Tourmalet, on me présenta un bidon de café. Je ne sais pas ce qu'on y avait mis, mais je suis resté une semaine dans une clinique de Lourdes. La veille de l'incident qui me concerne, nous étions au repos avant l'étape des cols. Hector Heusghem se rasait. Tout à coup, prêtant l'oreille, il a entendu ce propos : 'Scieur et Lambot sont dangereux, il faut les éliminer'. Lambot s'est retrouvé le lendemain en plein col avec une manivelle cassée. On l'avait sciée préalablement." Cette tradition se perpétue de nos jours, de manière moins violente : en 2012, des clous ont été déposés sur la chaussée, et en 2013, un spectateur a jeté de l'urine sur le Britannique Mark Cavendish lors d'un contre-la-montre.

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