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Roland-Garros : six moments idiots qui peuvent faire perdre (ou pas) une finale du Grand Chelem

Si vous pensiez qu'un match se joue sur un court au fil des échanges, vous passez à côté de l'intérêt du tennis.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Martina Hingis lors de sa finale perdue contre Steffi Graf, le 5 juin 1999. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Quinze jours d'effort. Des années de préparation. Une pression maximale devant des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs. Et parfois, tout déraille. Avant la finale hommes de Roland-Garros qui oppose Stan Wawrinka à Rafael Nadal, dimanche 11 juin, retour sur ces grains de sable qui peuvent changer le cours d'une finale, voire d'une carrière. 

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1Un mois avant, dans un bar

Le tournoi de Monte-Carlo est considéré comme un bon indicateur de l'état de forme du circuit avant Roland-Garros. Pour Andre Agassi et Andreï Medvedev, l'aventure s'arrête dès le premier tour en 1999. Les deux joueurs se croisent dans un bar de la Principauté pour noyer leur chagrin. Autour d'une bière, Medvedev, passé de la 4e place mondiale aux oubliettes du classement ATP, se confie. "Je suis trop vieux, je ne veux plus jouer à ce putain de jeu", lâche le Russe. Agassi, qui a connu lui aussi les affres des tournois Challenger, lui rétorque : "Mais comment tu peux dire ça ? J'ai 29 ans, le genou en vrac, un divorce sur les bras et tu te plains d'être lessivé à 24 piges ? Ton futur est brillant !" Ni Agassi, qui narre la scène dans son autobiographie Open, ni Medvedev, qui lâchera simplement que l'Américain lui a confié de précieux conseils, ne livreront les détails de leur conversation. 

Andre Agassi étreint Andreï Medvedev, son adversaire en finale de Roland-Garros, le 6 juin 1999. (FRANCOIS XAVIER MARIT / AFP)

Un mois plus tard, celui qui "pensait sérieusement arrêter le tennis pour de bon" et son psychologue d'un soir se retrouvent en finale de Roland-Garros. Revigoré par cette thérapie au houblon, Medvedev se promène jusqu'en finale. Son adversaire est terrifié : la veille, Agassi a sifflé plusieurs mignonnettes du mini-bar de son hôtel, au grand dam de son coach, Brad Gilbert, très à cheval sur l'alimentation. Tétanisé, le Kid de Las Vegas perd la première manche en vingt minutes sur le score sans appel de 6-1. Il faudra l'interruption de la pluie et une gueulante de son coach dans le vestiaire pour le remettre d'aplomb et le faire gagner.

2Le matin du match, pour un souci capillaire

Andre Agassi, encore. Sa folle jeunesse, époque tee-shirts rose fluo et shorts en jean. Le "Kid" se fraie un passage jusqu'en finale, porte d'Auteuil, au printemps 1990. Le dimanche matin, au réveil, c'est la panique : ses cheveux sont restés sur son oreiller. "Chaque matin, je découvrais une partie de moi sur l'oreiller, dans l'évier, dans la bonde de la douche", raconte Agassi dans Open. Les vrais, qui tombent prématurément – Pete Sampras souffrait du même mal, mais l'assumait – et ses extensions capillaires, sa moumoute de rock star à coupe mulet. Son frère arrive à la rescousse, rafistole le postiche avec une vingtaine de barrettes. "Bien sûr, j'aurais pu me présenter sur le court sans ma perruque, mais c'est tout ce que les journalistes auraient écrit." Agassi cultive sa réputation de showman du circuit. Avec comme slogan officieux "Image Is Everything", d'une célèbre pub Canon où il secoue sa toison devant un appareil photo. 

"Pendant l'échauffement, je priais. Pas pour gagner, mais pour ne pas que la perruque tombe. A chaque fois que je sautais, je me disais que la perruque allait glisser. J'imaginais les millions de spectateurs écarquiller les yeux, se rapprocher de leur télé, et se demander comment les cheveux d'Andre Agassi avaient chuté de sa tête." Résultat : l'Américain perd la finale face à Andrés Gomez en quatre sets. 

3Cinq minutes avant d'entrer sur le court, dans le tunnel

Le tunnel qui mène au court central n'est pas l'endroit idéal pour commencer une crise de panique. C'est pourtant ce qui est arrivé à Stan Wawrinka, juste avant d'affronter Novak Djokovic en finale de l'US Open 2016. "J'étais nerveux comme jamais, confie le Suisse en conférence de presse, après sa victoire. J'ai commencé à trembler dans les vestiaires. Et à quelques minutes du match, quand je discutais des derniers réglages avec Magnus Norman [son coach], je me suis mis à pleurer." Le Suisse n'est pas un novice à ce niveau. La trentaine passée, il a déjà décroché un titre du Grand Chelem, à Roland-Garros l'année précédente. Et pourtant, il pénètre sur le court les jambes encore flageolantes. "J'essayais de retenir mes larmes, mais je n'y arrivais pas. Peut-être avec la chaleur, tout le monde a cru que je transpirais. Tant mieux. J'étais proche du point de rupture, le moment où on laisse tout tomber, physiquement et nerveusement."

Forcément, la première manche ne se passe pas comme Wawrinka l'avait espéré. "J'ai crié à mon box : 'Je ne vais pas tenir, je n'ai plus de jambes.'" Le joueur suisse se fixe alors de petits objectifs, comme renvoyer une balle difficile, gagner un point après l'autre. "J'ai poussé l'effort jusqu'à manquer de souffle. A ce moment-là, l'esprit n'est plus trop capable de réfléchir. (...) Je me suis tellement achevé que j'ai fini par étouffer les petites voix dans ma tête", raconte "Stan the Man" dans Le Matin. Victoire finale 6-7, 7-5, 6-4, 6-3.

Stan Wawrinka pose devant les photographes après sa victoire sur Novak Djokovic en finale de l'US Open, le 11 septembre 2016. (MICHAEL HEIMAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

4En levant les yeux au ciel, au début du match

Martin Verkerk est un honnête tennisman, qui a fini sa carrière en ayant perdu plus de matchs qu'il n'en a gagnés. Le joueur néerlandais n'a véritablement marché sur l'eau que quinze jours. Coup de chance, c'était pendant Roland-Garros 2003. "Ils appellent ça le fluide, se souvient-il dans le New York Times. Les balles paraissaient être aussi grosses que des pastèques, je ne pouvais pas les rater." L'obscur Batave fait du petit bois de Carlos Moya (ancien vainqueur) ou de Guillermo Coria (grand favori) pour se hisser en finale. Son secret : chaque soir, une table au Toriyama, obscur resto japonais. Chaque soir, le même menu – les tennismen sont superstitieux – crevettes frites, sushis, sashimis, des brochettes de viande.... et quelques bières Asahi. Selon la légende, trois tous les soirs. D'après son ex-coach, une seule. La veille de la finale, le restaurant, qui a battu tous ses records de chiffres d'affaire pendant la quinzaine, offre une tournée générale de champagne, raconte le livre Extreem qui retrace sa carrière

Le Néerlandais Martin Verkerk en demi-finale de Roland-Garros, le 6 juin 2003. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

L'état de grâce de Verkerk se brise brutalement. Car la chaleur étouffante qui régnait sur Paris pendant la quinzaine a laissé place à un temps maussade. "La balle était beaucoup plus lourde", déplore Verkerk, dont l'ambition de départ était de "passer deux ou trois tours". Son plan de jeu simpliste s'effondre. "Je voulais jouer vite, A-B-C et boum. Service, retour canon et finir. Rien ne marchait", raconte-t-il au site Nu.nl (lien en néerlandais) L'addition est salée : 6-1, 6-3, 6-2. "Et en face, Juan-Carlos Ferrero pesait 60 kg, moi 90. C'était le meilleur joueur du monde, il n'allait devenir rien de moins que le n°1 mondial." Pour ne rien arranger, il allait manquer l'autre attraction de l'après-midi parisienne : la présence de la top model néerlandaise Karen Mulder dans les tribunes. "Ça fait beaucoup de poisse pour un seul jour, vous ne trouvez pas ?"

5Sur une décision arbitrale banale

Tout allait si bien pour Martina Hingis lors de la finale de ce Roland-Garros 1999. La petite merveille du tennis mondial, 18 ans à peine, était en train d'envoyer Steffi Graf à la retraite. 6-4, 2-0, la Suissesse carressait déjà en pensée le trophée, le dernier qui manquait à son palmarès. Un point anodin. L'arbitre déclare la balle de Hingis dehors. La favorite pique une colère. Elle pénètre dans la partie de terrain de Graf – ce qui est formellement interdit par le règlement – pour montrer la marque à l'arbitre. Qui ne veut rien savoir. Alors Hingis s'entête. Se rassied en plein jeu. Demande à voir le responsable des arbitres du tournoi. "On peut juste jouer au tennis, OK ?" demande Graf.

La partie reprend, tant bien que mal. Le public siffle si fort que Hingis se plaint de ne plus pouvoir servir. Alors que les deux joueuses peuvent remporter la deuxième manche, elle tente un service à la cuillère sur une deuxième balle. Le dernier à l'avoir tenté porte d'Auteuil, Michael Chang, avait été ovationné pour son audace. L'arrogante Suissesse est conspuée. Perd le set. Se fait breaker d'entrée dans la dernière manche. Part aux toilettes changer de vêtements et reprendre ses esprits, sans attendre l'autorisation de l'arbitre. Normalement, la pause pipi dure trois minutes. Ce sera plus. Graf ne bronche pas, fait la ola avec le public et laisse son adversaire sortir de son match. La troisième manche vite pliée (6-2), Hingis n'aura plus qu'à pleurer sur sa propre arrogance. "C'était trop dur de jouer contre Steffi Graf, 16 000 personnes, l'arbitre et les juges de ligne", persiflera celle qui ne remportera jamais le trophée parisien. "C'est de très loin la victoire la plus inattendue de ma carrière, commentera Steffi Graf. C'était l'un des matchs les plus fous de l'histoire de tennis."

6Au moment de gagner

Roland-Garros 2004. L'arbitre de la finale pensait à son train de retour vers Roanne (Loire). Gaston Gaudio a tendu sa raquette à son entraîneur, l'air de dire : "Vas-y toi, je ne sais plus quoi faire." Guillermo Vilas, ancien vainqueur, a entendu depuis la tribune présidentielle l'Argentin éructer : "Je veux me casser ! J'en ai marre ! Je ne peux pas croire que je joue aussi mal !" Le public s'ennuie et tente de battre le record de la ola la plus longue du monde, faute de suspense, voire de jeu. L'adversaire, argentin lui aussi, jubile. Guillermo Coria mène 6-0, 6-3, 4-4, avec une balle de break, sans forcer. Gaudio tente un amorti, Coria court pour le reprendre. Sa balle heurte la bande du filet. Mais celui qu'on surnomme "le Chinois" ou "le Mage" s'en moque. "Le regard de Coria croise le mien et je sens, dans ses yeux, qu’il se passe quelque chose", se souvient Cédric Mourier, l'arbitre de la rencontre, interviewé par We Love Tennis. Alors qu'il n'a plus que quelques points à marquer pour inscrire son nom au palmarès, il demande l'intervention du kiné. Des crampes. Et pas n'importe lesquelles. Des crampes de stress. On joue à peine depuis une heure et demie, rien d'anormal pour un tennisman.

Coria s'accroche. Il sait qu'il doit remporter cette manche pour gagner. Il parvient à breaker son adversaire en claudiquant. 6-5 dans la troisième manche, il sert pour le match, a la chance de voir son adversaire casser une corde sur une balle de break. Servir tourne au martyr, renvoyer un coup proprement est une souffrance. Il galvaude deux balles de match sur deux fautes directes. Gaudio met du temps à croire à la blessure de son adversaire : il faut dire que Coria lui avait fait le coup de la fausse blessure, à Hambourg (Allemagne), l'année précédente. "Je savais qu'il fallait absolument que je gagne ce troisième set", confie Coria après coup. Il finit par le perdre. Reste à attendre que les médicaments fassent effet, dans la cinquième manche, gagnée par miracle par Gaudio 8-6, face à un Coria diminué qui tentait le coup gagnant dès le début de chaque point... et qui a mené 3-0 au début de la manche décisive.

Lui et sa famille pleurent à chaudes larmes pendant la remise du trophée. "Perdre la finale de Roland-Garros en gâchant deux balles de match, c'est quelque chose. Mais perdre dans ces conditions contre moi, c'était pire", résume Gaudio, anonyme 44e mondial au moment de sa victoire. "On s'est revu quelques fois depuis, on n'a pas reparlé de cette finale. On n'est toujours pas proches", confie en 2016 Gaudio à Sport360 (lien en anglais)Tennis Magazine qualifiera le match de "séance de psychanalyse en mondovision". Comme certaines des plus grandes rencontres de l'histoire.

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