Open d'Australie 2023 : le statut de favori, un fardeau trop lourd à porter ?
Être favori n'a pas que du bon. Certes, ce statut vous place parmi les sérieux prétendants au titre, mais il peut aussi être un fardeau. Cette pression, Caroline Garcia l'a ressentie durant son huitième de finale perdu à l'Open d'Australie, lundi 23 janvier, face à la Polonaise Magda Linette. Lors de sa conférence de presse d'après-match, la Française, numéro 4 mondiale, a confirmé que ce statut de favorite au titre l'avait gêné. "C'est un des paramètres avec lesquels je suis moins à l'aise. (...) Il y a la pression que tu te mets toi-même par rapport à ce que tu as envie de faire. Généralement, quand le classement monte, ça monte avec", a-t-elle confié. Un ressenti vécu également par Iga Swiatek, numéro un mondiale, éliminée elle aussi en huitièmes. "Les deux dernières semaines ont été difficiles. J'ai ressenti beaucoup de pression, j'entamais les matches en me disant que je ne voulais pas perdre, au lieu de vouloir gagner. C'est ça que je veux améliorer", a-t-elle confié en conférence de presse.
Une pression qui fait partie du match
Cette pression du favori fait pourtant partie intégrante de la gestion d'un match pour un athlète de haut niveau, tout comme ce qui l'entoure. "Il faut essayer d'avoir du recul par rapport à ce statut évoqué dans les médias ou par ses proches. Il faut arriver à se mettre dans une bulle, et cela passe notamment par un entourage bienveillant", explique Patrice Hagelauer, ancien entraîneur de Yannick Noah, de l'équipe de France de Coupe Davis et ex-DTN au sein de la Fédération française de tennis (FFT).
"C'est comme un boulet que l'on porte. Vous ne pouvez pas jouer, si vous vous dites 'je n'ai pas le droit de perdre'. Il faut toujours que l'envie de gagner soit plus forte que la peur de perdre."
Patrice Hagelauer, ancien entraîneur de Yannick Noah et ex-DTN au sein de la Fédération française de tennis (FFT)à franceinfo: sport
L'attente suscitée par leurs résultats n'est pas anodine pour les athlètes. "Beaucoup me disent qu'ils reçoivent des messages de soutien mais qui leur mettent une pression énorme alors qu'à la base ces personnes sont bienveillantes et veulent les soutenir, explique Meriem Salmi, psychologue du sport, qui suit depuis une vingtaine d'années le judoka Teddy Riner, double champion olympique et décuple champion du monde. C'est même pire pour un athlète car il se sent dans l'obligation de réussir. Il n'a pas le droit à l'erreur car tout le monde considère qu'il doit gagner, comme si c'était une évidence car il en a le potentiel." La peur de décevoir et de ne pas remplir sa mission domine alors.
Dans le tennis tricolore, l'attente d'une relève au sommet est si forte, qu'elle renforce même cette pression sur les favoris désignés à chaque tournoi, comme avec Caroline Garcia, actuelle locomotive des Bleus. "Le tennis français, malheureusement, malgré les talents que l'on a, a du mal à émerger, alors cette attente met encore plus de pression. On compte sur vous pour être le sportif qui va mettre en valeur la France", constate Meriem Salmi.
La maîtrise de la pression, un apprentissage comme un autre
Comme la technique et la stratégie de jeu, la gestion de la posture de favori s'apprend. "Ce travail est essentiel. On analyse souvent la tactique, mais la clé de la victoire, de la gagne, se fait dans la maîtrise de ses émotions. C'est ce qui fait la différence. C'est pourquoi il est important d'être bien entouré, tout spécialement dans les grands tournois où vous savez qu'il y a une pression particulière", précise Patrice Hagelauer. D'ailleurs, se souvient l'ancien DTN de la FFT, "quand Marion Bartoli remporte Wimbledon [en 2013], elle avait pu compter sur Amélie Mauresmo, gagnante de deux tournois du Grand Chelem, lors des mois précédents, qui l'avait conseillée pour l'aider à se renforcer dans ce domaine."
Ce travail est si crucial qu'il doit être fait avant le début d'un grand rendez-vous. Pourquoi ? Car au lendemain de la victoire, la pression s'installe : "Quand on gagne, on est heureux, mais cela représente aussi une charge mentale très importante pour l'athlète, surtout dans une situation où on attend la relève", relève Meriem Salmi. Par conséquent, poursuit la psychologue du sport, "il faut tout de suite travailler sur cette pression et apprendre surtout à gérer la victoire. Et ce travail est rarement fait", regrette-t-elle.
Pression maîtrisée, athlète libéré
Pourtant, une fois maîtrisée, cette pression ne sera plus un fardeau à porter, et l'athlète en sera d'autant plus libéré. "Il arrive un moment, où même si vous avez le meilleur service du monde, si vous n'êtes pas libéré, vous allez faire la double faute, le mauvais service qui va donner l'avantage à l'adversaire, ou manquer la volée facile", explique Patrice Hagelauer. "Si vous n'acceptez pas l'idée de perdre, confirme Meriem Salmi, vous ne pouvez pas gagner parce que vous arrivez avec des freins, des obligations, et la performance ne peut pas émerger."
C'est ce qui fait d'ailleurs la différence entre des champions et des très grands champions, qui ont dépassé ce stade. On pense bien évidemment au Big 3, composé de Novak Djokovic, Rafael Nadal et Roger Federer, tant ils ont appris à être imperturbables dans leur jeu. "Les grands matchs se jouent sur un ou deux points qui font la différence. Et ces joueurs savent trouver en eux les ressources et la confiance nécessaires pour passer outre cette pression. Et même dans ces moments, c'est là où ils sont les plus forts", loue Patrice Hagelauer. Une confiance devenue comme un automatisme au fil des victoires. D'ailleurs, débloquer son compteur à titre est un avantage de taille pour inscrire d'autres victoires à son palmarès. "Soulever le trophée est plus difficile pour quelqu'un qui n'a pas encore gagné", conclut-il. La première marche, certainement la plus haute.
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