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Footing nocturne, tofu et éclats de voix... Les secrets de la méthode Noah en Coupe Davis

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Yannick Noah, capitaine de l'équipe de France de Fed Cup, lors du match de Pauline Parmentier contre Sara Sorribes à Roanne (Loire), le 22 avril 2017. (CHRISTOPHE SAIDI/SIPA / SIPA)

Troisième passage sur le banc des Bleus pour "Captain Noah" et troisième finale de Coupe Davis, cette fois contre la Belgique. Quelle est la recette de sa potion magique ?

A entendre l'ancien joueur autrichien Thomas Muster, un capitaine de Coupe Davis ne sert à rien, si ce n'est à "porter les bouteilles d’eau, porter les serviettes, fermer sa gueule. " Pourtant, ce n'est probablement pas pour son toucher de goulot, sa science du séchage ou son art du silence que la Fédération française de tennis a rappelé pour la troisième fois Yannick Noah au chevet de l'équipe nationale. 

Après deux victoires lors de ses deux premiers passages (1991 et 1996), "Captain Yann" a hissé les Bleus en finale : la France affronte la Belgique, du vendredi 24 au dimanche 26 novembre. Mais quelles sont ses recettes ?

1Jouer de son aura extraordinaire

Gilles Simon a un jour persiflé en disant qu'il connaissait Yannick Noah "surtout comme chanteur", façon de se moquer de l'âge du capitaine et du fait qu'il demeure le dernier joueur à avoir gagné un Grand Chelem avec une raquette en bois. N'empêche. Noah jouit d'une aura incontestable dans la discipline. Tous les joueurs ne vont pas jusqu'à le surnommer "Jésus" dans les vestiaires comme le faisait Lionel Roux, mais aucun ne peut nier son immense palmarès.

Yannick était à la fois notre grand frère, notre psy, notre confident, notre meneur d’hommes et notre sergent-chef.

Guy Forget

dans "Le Monde"

Au New York Times, le même Forget énumérait, au moment de la nomination de son pote Noah, les trois qualités indispensables pour réussir comme capitaine : "La totale confiance des joueurs, l'expérience et la capacité d'être un leader. Yannick a les trois." 

Notez que son statut d'icône dans le tennis fonctionne moins bien dans le football. En 1996, il est invité par Michel Denisot à remobiliser le PSG, en conflit avec son entraîneur Luis Fernandez, à quelques semaines de la première finale de Coupe d'Europe du club. De son propre aveu, Noah a "beaucoup écouté" et invité les joueurs à décompresser dans un resto de fruits de mers de la côte basque jusqu'aux petites heures du matin, pour leur permettre de "se rendre compte de leur potentiel". Les avis divergent entre le défenseur José Cobos, qui estime que Noah a "apporté de la tranquillité" et Bernard Lama, qui pense qu'il n'a "rien fait d'extraordinaire"

Les joueurs du PSG, dont Francis Llacer, chantent avec Yannick Noah pour fêter la victoire du PSG en Coupe des Coupes, le 8 mai 1996. (THIERRY ORBAN / SYGMA)

2 Savoir faire preuve d'autorité

Sous des abords décontractés, pour ne pas dire nonchalants, Yannick Noah n'hésite pas à adopter une méthode quasi-militaire. En chaussant par exemple les baskets dès l'aube pour un footing collectif, une de ses marottes instaurées dès la campagne de 1991. "On partait dans la forêt la nuit, raconte-t-il à Psychologies Magazine. On faisait un jogging pendant une heure en regardant le jour se lever, parce que je suis persuadé que les énergies sont meilleures au lever du jour, on y va le ventre vide, on se parle beaucoup. Ç'a été des moments uniques." Vingt-cinq ans après ses débuts sur le banc, le footing matinal est toujours au programme.

Les amendes qu'il inflige aux joueurs aussi. Dans son livre, Cédric Pioline donne le barème de la campagne victorieuse de 1996, de 100 francs la minute de retard à l'entraînement à 500 francs le geste d'énervement. Au tableau des cancres, il arrive second, avec 1 400 francs d'arriérés, derrière le capitaine... qui a cumulé une ardoise de 2 000 balles. Les réclamer aurait fait mauvais genre après la victoire en Suède en 1996. C'est finalement Pioline qui se décide à faire appliquer la sanction lors du premier tour de l'édition 1997, en Australie. "D'un seul coup, il y a une belle queue de Français devant le distributeur de billets de l'aéroport. Au total, en quelques minutes, Yannick se retrouve avec 10 000 francs dans les poches. Il les a gardés précieusement, et on s'est fait une bonne table quelques semaines après." Aujourd'hui, rien n'a changé, si ce n'est la monnaie : la minute de retard est désormais facturée 100 euros.

3Etre (très) présent sur le banc

"Tu veux que je me casse ou quoi ? Tu veux que je me taise ? Tu veux quoi exactement ? Parce que ça fait deux jeux que je te parle et que tu ne m'écoutes plus !" Cette harangue est signée Yannick Noah à l'adresse de Guy Forget, lors de la fameuse finale de 1991 contre les Etats-Unis d'Agassi et Sampras. Si Yannick Noah n'a jamais souhaité tenir le rôle de l'entraîneur classique, cantonné à ruminer en silence dans les tribunes, celui du capitaine qui peut influer sur le cours d'un match lui va comme un gant, abonde Dorian Martinez, psychologue du sport et coach sur le circuit ATP.

Sur une heure de match, un joueur de tennis ne va batailler que pendant dix minutes de temps de jeu effectif. Le reste du temps, il cogite, parfois contre lui-même. D'où le rôle d'un Noah, qui saura quand parler ou se taire, quand piquer son joueur ou l'encourager.

Dorian Martinez, psychologue du sport

à franceinfo

Au début des années 1990, son attitude d'"acteur du match" a surpris, à commencer par Tennis Magazine, qui saluait "un spectacle jamais vu auparavant". Aujourd'hui, elle a fait école.

Le capitaine de l'équipe de France de Coupe Davis Yannick Noah lors de la finale de l'édition 1996, à Malmö (Suède). (PHILIPPE MILLEREAU / DPPI MEDIA / AFP)

4Ne jamais lâcher ses troupes. Jamais.

A quoi reconnaît-on un grand leader ? A sa capacité à avoir le geste ou le mot juste dans toutes les situations. Prenez Fabrice Santoro, qui raconte cette scène dans son livre. En 1991, ce n'est qu'un bizuth que Noah envoie au front dans le cinquième match décisif contre l'Australie, dans les arènes de Nîmes. Dans les vestiaires, le jeunot gamberge. Il a perdu son premier match deux jours plus tôt et voit le poids des espoirs d'une nation s'échouer sur ses épaules. Quelques secondes avant l'entrée sur le court, Noah débarque dans les vestiaires et lui lance, cash : "Ça va ? Tu n'as besoin de rien ? Tu veux que je te suce ?" La proposition est tellement incongrue que Santoro éclate de rire et aborde décontracté cette rencontre couperet. Match qu'il gagnera sans encombre.

Yannick Noah, capitaine de l'équipe de France, porte en triomphe Fabrice Santoro après sa victoire sur l'Australien Willy Masur en quart de finale de la Coupe Davis, le 5 mai 1991 à Nîmes (Gard). (JEAN-LOUP GAUTREAU / AFP)

Quelques mois plus tard, il doit sa non-sélection pour la finale de la Coupe Davis à une défaite au premier tour de Bercy contre... un Yannick Noah qui n'a pas encore totalement raccroché la raquette. Noah l'allume en conférence de presse : "Il n'a pas les épaules". Selon la légende, dans les vestaires, après le match, Santoro en a vomi de dépit. Quelques semaines plus tard, Yannick Noah laissera son trophée de vainqueur de la Coupe Davis – il n'y en avait que cinq, un par joueur – à Santoro, qui avait participé à l'aventure, souligne le livre Carnets de balles. Classe.

5Catalyser la confiance balbutiante des joueurs

C'est lors d'une demi-finale de Coupe Davis de 1982 mal engagée face aux Etats-Unis que Noah a mis le doigt sur l'un des maux du tennis français : l'absence de toute préparation mentale. "Nous, les joueurs, on faisait ce qu'on voulait et on a fait n'importe quoi."  Deux ans après son sacre Porte d'Auteuil, il retombe à la 23e place, à cause de la trouille. 

Dans un match serré, le résultat bascule sur deux ou trois occasions. Quand tu es en confiance, tu sais y aller. Là c'est l'inverse.

Yannick Noah

en 1985

C'est toujours son leitmotiv. Le réalisateur Pierre Gabas, directeur de FayaProd et proche de Noah, se rappelle l'avoir vu échanger avec Yannick Agnel peu avant les Jeux de Londres, en 2012, où le petit prodige de la natation tricolore allait rafler trois médailles. "Ils ont échangé sur la préparation mentale, le conditionnement avant un grand événement", explique-t-il à franceinfo. Techniquement, Yannick Noah "vaut deux balles", sourit Henri Leconte dans GQ. Mais il dispose d'une telle force de persuasion qu'en 1991, il convainc ce même Leconte, alors 159e mondial et brisé en deux par une opération du dos, qu'il pouvait danser sur le ventre de Pete Sampras, petite merveille du tennis américain, et 4e à l'ATP lors d'une finale de Coupe Davis. 

Pour y arriver, Noah met les moyens. Rééducation à Douarnenez "pour réapprendre à courir", stage commando en Suisse avec "des footings où il fallait plonger dans des flaques d'eau pour passer sous des barres" et des matchs d'entraînement à n'en plus finir, puis un galop d'essai à Bercy en double, toujours avec Noah. Et un soir, l'annonce qu'il sera titulaire en simple. Leconte se précipite dans sa chambre pour pleurer "Tu te dis que tu as ta deuxième chance et que tu vas montrer que tu es capable de faire quelque chose de grand". "Riton" est assoiffé de reconnaissance. "Je n'avais qu'une envie, c'était de battre tout le monde", confie un Leconte possédé, qui s'égosillera d'injures pendant les trois jours de la finale.

C’est ça, la Coupe Davis, c’est être capable de faire abstraction de beaucoup de choses pour essayer de vaincre, unis.

Henri Leconte

sur sports.fr

6Expérimenter

N'allez pas croire que Yannick Noah se contente de répéter les mêmes recettes élaborées il y a deux décennies. "Captain Yann" est à l'affût de la moindre opportunité pour améliorer sa méthode. Comme cette campagne 1996, quand, devenu végétarien, il décide d'imposer tofu et brocolis à toute l'équipe en plein stage commando. "Le docteur a eu beau l'avertir qu'on ne mange pas assez, il ne veut pas en démordre, écrit Cédric Pioline. Le soir, même après le dîner, on a une dalle terrible, à tel point que durant les séances de massage on se fait livrer des hamburgers en douce via le room service. Et nous voilà à planquer les plateaux sous les lits, comme des gosses, quand Yannick se pointe. 'Ça sent bizarre ici les mecs !' 'Ah, tu trouves ? répond-on en chœur. Ça sent l'homme, Yannick, ça sent l'homme."

Lors de son retour sur le banc, en 2015, Noah tente les vidéos de coaching pour former ses joueurs au rapport avec le public, chauvin ou hostile en Coupe Davis. Il charge le réalisateur Pierre Gabas de produire des films en ce sens : "Le but était de montrer aux joueurs comment transmettre des émotions au public, comment canaliser l'énergie que peuvent donner les spectateurs." Repensez-y lors d'un éventuel cinquième match décisif entre Jo-Wilfried Tsonga et David Goffin, que le Manceau gagnerait au bout de l'épuisement, porté par le public lillois...

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