Mondiaux de ski alpin 2023 : qu'est-ce que la visualisation, l'arme secrète des skieurs pour dompter la piste avant la course ?
Pour nos yeux de spectateurs, cela donne lieu à des scènes étranges, avec des athlètes qui se tortillent, se dandinent et parlent seuls, les yeux fermés. Mais que fait Marco Schwarz, qui parait presque en train de fredonner sa chanson favorite, avant le départ de la première manche du géant vendredi ?
Depuis des décennies, les skieurs ont développé une aptitude à vivre la course avant même de s'élancer : la visualisation. Une capacité essentielle à la performance qu'ils partagent entre autres avec les pilotes de Formule 1, et qu'ils poussent parfois très loin, dans leurs gestes et dans leur tête.
L'Autrichien et les autres mordus de la piste pratiquent cet élément central de la préparation mentale en ski alpin en amont de la course. Certains agitent même leurs bras pour se projeter virtuellement dans la descente, à l'image du Britannique Charlie Raposo avant la seconde manche du géant, vendredi.
Qu'on ne s'y trompe pas, si ces scènes peuvent faire sourire, elles sont capitales pour les athlètes. Et pour cause : avant le départ, aucun d'entre eux n'a couru sur la piste à pleine vitesse. Pour combler ce manque, il faut donc multiplier les reconnaissances minutieuses. Puis les mettre en image.
Une Go Pro intégrée au cerveau
“Sur les skis, le moment le plus important avant de courir, c’est la reconnaissance pour voir la piste et le tracé. Sauf qu'à ce moment-là, tu les vois presque à l'arrêt. Après, tu dois donc visualiser ton passage à 115-120 km/h. Il faut tout mettre bout à bout dans ton esprit, c’est ça la visualisation”, résume Marco Viale, responsable du groupe vitesse de l'équipe de France féminine. Son confrère en charge du groupe technique des Bleus, Jean-Noël Martin, ajoute : "Dans sa tête, il faut s’imaginer avec la vitesse, le mouvement de terrain, les portes aveugles... L’expérience joue beaucoup."
Concrètement, l'athlète se rappelle alors de tout ce qu'il a vu, noté lors de la reconnaissance, aligne les images dans le bon ordre et les répète en boucle. "On se refait tout le tracé de A à Z, comme si on y était, et à plus ou moins grande vitesse", explique le descendeur Adrien Théaux, qui a même développé une fonction magnétoscope. "Par moments, je me dis 'Là, je ne l’ai pas fait comme je voulais', donc je reviens en arrière et je refais mon passage. Je peux le refaire, cinq, six, sept même huit fois s’il le faut. Jusqu'à ce que je considère le faire correctement."
A partir de là, deux écoles cohabitent. Ceux qui se voient skier filmés de haut, comme par un drone, et ceux qui se visualisent en vue à la première personne. "Comme une caméra GoPro", vulgarise notre consultant Luc Alphand, de cette seconde école. "C’est une manière de s’imprégner de ce qu’il faut faire techniquement, de s’imprégner de la vitesse qu’il faudra aller chercher, du rythme. La visualisation met de l’ordre dans tout ça", avance Frédéric Perrin, patron de la technique masculine des Bleus.
"Même si c'est dans la tête, le palpitant monte, ils sont vraiment dedans. Ils sont même capables de vous dire le temps qu'ils vont faire."
Frédéric Perrin, responsable du groupe technique de l'équipe de France masculineà franceinfo: sport
Ce que confirme le descendeur Adrien Théaux, du haut de ses 38 ans : "Cela dépend des pistes car les conditions de neige peuvent changer les choses. Mais si on le fait dans notre tête à vitesse réelle, on va mettre le même temps que le jour de la course. On est comme les pilotes de F1."
Des années d'apprentissage
Et cette faculté ne date pas d'hier. "La visualisation a toujours existé en ski alpin, ça fait partie de la discipline, on la faisait déjà du temps de Jean-Claude Killy", sourit Luc Alphand. "On l'apprend dès le plus jeune âge au club de ski. Mais ce n'est pas facile, parce que les gamins s'en foutent au début, poursuit le vainqueur du gros globe de cristal en 1997. Quand tu as huit manches à l'entraînement, tu peux rater la première. Mais en course, il faut réussir dès le premier coup."
Cela demande donc beaucoup de temps et de patience aux coachs pour inculquer ce savoir-faire atypique à leurs troupes, puisqu'il n'existe toujours pas de "master en visualisation" à ce jour. "Ça ne s’enseigne pas, ça se pratique", confirme Jean-Noël Martin. Jusqu'à ce que cela devienne automatique, et qu'on le fasse sans s'en rendre compte, y compris devant les caméras.
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