Jean-Baptiste Grange, l'homme qui revenait de loin
A Beaver Creek, on attendait surtout Alexis Pinturault côté français. Mais dimanche, lors du dernier jour des Mondiaux, c’est Jean-Baptiste Grange qui a crevé l’écran. En habitué finalement, car la Marseillaise il l’a déjà entendu à Schladming en 2011. Mais cette fois, la saveur est différente. Plus particulière. Plus émouvante. Car en quatre ans, "JiBé" a tout connu. Surtout tout enduré. Beaucoup de galères qui ont meurtri son corps et sa tête. Des blessures qui l'ont freiné. D'abord le genou droit fin 2009 – qui le prive des JO 2010 - , l’année où il termine numéro 1 mondial en slalom mais où il se rate aux Mondiaux à domicile à Val d’Isère. Puis l’épaule gauche lors de la saison 2011/2012. Le dos, enfin, en 2013/2014. Des coups du sort qui l’ont fait douter. "Il y a eu des moments où il a eu envie d’arrêter, affirme Jean-Pierre Vidal, champion olympique de slalom en 2002, mais il y a toujours une petite lueur". Cette petite lumière au bout du tunnel quand il collectionnait les 20e places, un classement indigne du rang qu’il avait occupé.
"Ce qui était lourd, c'était l'enchaînement des blessures. Après ma deuxième blessure au genou, j'étais au fond du trou. La période où j'ai eu mal au dos n'était pas évidente non plus, j'avais mal tout le temps, mais tu t'accroches parce que le ski c'est ta passion. Il y a aussi la passion de la compétition". Cette envie d'en découdre encore et encore l'a relancé et lui a fait oublier sa tournée autrichienne ratée juste avant les Mondiaux, fin janvier (21e à Kitzbühel, 26e à Schladming). Avec cette deuxième breloque dorée autour du cou, il peut savourer ce retour au sommet. Le deuxième après celui de 2011. Même s’il n’en revient pas encore. "J'ai du mal à réaliser. J'étais à dix mille lieues de penser que j'avais la force de faire ça. Il y a eu quatre ans de galère, pas de confiance. Je suis comme dans un rêve. Je me demande quand je vais me réveiller".
Vidéo : La réaction de Jean-Baptiste Grange
Emotion et mental
Ce dimanche 15 février, le skieur de Valloire est sorti bruyamment d’un long sommeil. Quatre ans donc, sans podium et encore moins de victoire. En slalom, avant ces Mondiaux, son dernier podium remontait au 27 février 2011 à Bansko (Bulgarie), une semaine après l’or mondial à Schaldming. Depuis plus rien ou presque. Des places d’honneur (4e à Val d’Isère en décembre 2013, 6e à Adelboden en janvier 2015), mais jamais l’odeur du podium. Alors forcément quand la victoire s’est dessinée ce dimanche, quand il a vu les quatre autres concurrents s’élancer après lui, buter sur son chrono ou sur la piste, l’émotion l’a envahi.
"J'arrive en bas en tête. C'est vrai que les larmes me sont montées quand j'ai vu Mattias Hargin passer derrière. Je sentais que ça pouvait le faire, au moins pour la médaille de bronze. Et je me suis dit: ''Pleure pas tout de suite, la médaille, tu ne l'as pas encore." Derrière Andre me passe aussi derrière. Je sais que j'ai la médaille de bronze et toutes les émotions sont remontées. C'est de l'émotion à l'état pur". "C’est une magnifique histoire pour lui. C’est un gros boulot de toute l’équipe de France. C’est un grand champion: il fallait faire son ski, se lâcher dans ces conditions difficiles. Il a confirmé qu’il avait le mental. Il sait gérer la pression. Il a saisi une occasion en or", a avoué David Chastan, l’entraîneur du groupe technique.
Plus fort que la douleur
Au moment de poser le pied aux Etats-Unis, il n’est pourtant pas bien. Cherche ses sensations. Sort d’une tournée autrichienne calamiteuse. "Après +Kitz+ et Schladming, cela a été dur, je n'étais pas bien, je me souviens avoir eu ma mère au téléphone pour lui dire 'Là, cela commence à me gonfler'. C'est normal de réagir comme cela tout de suite après la course: tu as envie de tout jeter et de dire 'Je ne m'emmerde plus avec cela'. Je me suis reposé, je suis allé me ressourcer dans le Sud et on est venu ici". Sur les neiges du Colorado, il se sent bien. C’est là qu’il avait signé son premier podium en novembre 2007, grâce à une seconde manche supersonique qui l'avait propulsé de la 31e à la 2e place. "Il n'y a pas de soucis, ce n'est pas le contexte le plus stressant que j'ai connu", avoue-t-il avant la compétition. "J'ai bien travaillé et retrouvé mes repères, j'ai retrouvé confiance". A 30 ans, il a l’assurance de celui qui connaît ses capacités.
Mais celui qui le connaît peut-être le mieux, c’est Thibaut Trameau, le préparateur physique des Bleus. L’homme qui l’a manipulé, reconstruit tant de fois. "Il revient de si loin... C’est quelqu’un qui se construit dans la douleur. Il était au top avant de se blesser la première fois au genou (décembre 2009). Cela a entraîné d’autres blessures. Cela a été dur de revenir pour lui. Quand on a été au sommet, c’est dur de connaître des vingtièmes places. Il a souvent été dans le doute mentalement et là il fait une course incroyable. Physiquement, il était revenu au top cette saison et là, il y a eu la confiance en plus. C’est magique". Depuis 1982, la France a remporté deux titres mondiaux par le biais d’un seul homme : Jean-Baptiste Grange. Un homme qui sait attendre son moment. Même très longtemps.
Vidéo : La deuxième manche de Jean-Baptiste Grange
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