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"Tout est prêt mais on sent que les gens sont frileux" : Le secteur des vacances sportives craint un été compliqué

Malgré une saison touristique qui s'annonce particulièrement franco-française, les centres de vacances sportives craignent pour leur modèle. Certains tentent malgré tout de préparer au mieux cette période.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
  (COLIN MATTHIEU / HEMIS.FR)

Le sport se déconfine progressivement, mais les vacances sportives vont-elles y parvenir ? A quelques semaines d’un été très particulier, le tourisme sportif rumine. Dans le sillage de la révolution Club Med des années 70-80, de nombreuses structures sont nées, alliant pratique sportive, hébergement, et animations collectives. Mais les Français seront-ils suffisamment rassurés pour choisir de passer leurs vacances dans de tels établissements ? D’après les professionnels du secteur interrogés par France tv sport, si l’espoir et la confiance sont de mise, le taux de remplissage et les réservations sont encore à un niveau largement moindre par rapport aux années précédentes. Et ce, malgré des dispositions sanitaires  "complètes" et "mises en avant". 

Un public frileux 

Les frontières fermées dans certains pays, et l’atmosphère générale qui n’incite pas aux longs voyages, devraient accentuer le tourisme franco-français cette année. Mais les grands acteurs du tourisme sportif n’en ressentent pour l’instant pas les effets. "On aimerait déjà avoir les mêmes volumes que les années précédentes, dit Laure Dubos, directrice de la stratégie sportive et éducative de l’UCPA (Union nationale des centres sportifs de plein air). Mais ce ne sera probablement pas le cas. Les réservations ont commencé à frémir fin mai, elles ont augmenté à chaque nouvelle phase de déconfinement, mais ça risque de ne pas être suffisant". 

A Ternelia, une fédération qui regroupe une soixantaine de villages sportifs, la fuite des habitués s’est précisée au coeur de la crise. "C’est surtout pendant le confinement que les gens se sont mis à annuler ou à reporter, avance Véronique Lorenzelli, membre du comité de direction de Ternelia. Certains clubs de randonnée pédestre ont préféré reporter leur séjour car ils craignaient de devoir trop se contraindre au niveau des masques par exemple. On avait beau les rassurer, et leur dire qu’en plein air le masque ne serait pas obligatoire, certains campaient sur leur position". 

Franck et Mélanie sont tous les deux professeurs d’EPS. Depuis sept ans, ils n’envisagent plus l’été sans leur passion commune : le kite-surf. Cette année pourtant, ils passent leur tour. "On va en Ardèche dans un gîte de campagne, indique Mélanie. C’est pas vraiment qu’on a peur, mais on s’est dit qu’on allait en profiter pour tenter des vacances plus sages. Un été sans kite, on va survivre, et si ça peut permettre de réduire les regroupements..." Eviter les regroupements, c’est pourtant le principal souci des équipes de centres de vacances sportives à l’heure actuelle. 

Mesures barrières et individualisation des pratiques 

Peut-être plus encore que dans les infrastructures strictement sportives, les flux de personnes peuvent très vite devenir conséquents dans les centres de vacances. Ce sont des lieux de rassemblement par excellence : leur « esprit » même repose sur la pratique collective du sport, en groupe, en communauté. "Les ateliers, les cours, sont limités à neuf personnes et un animateur. Il faudra vraiment être vigilant, surtout sur la circulation des personnes. Ce n’est pas comme un hôtel où chacun vient se prélasser, c’est de la pratique sportive en groupe", explique Laure Dubos de l’UCPA.

Comme précisé dans une charte sanitaire éditée par les syndicats du secteur, les mesures sanitaires doivent être mises en place comme dans toutes les infrastructures recevant du public.  Signalétique, désinfection du matériel partagé après utilisation, gels hydroalcooliques à disposition pour tous... Mais c'est particulièrement la gestion des flux qui focalise l'attention des acteurs interrogés. Des parcours seront aménagés pour les pratiquants au sein des villages. Le libre-service, de rigueur en temps normal dans les villages sportifs, devrait être évité grâce à un système de distribution et une rotation spécifique des équipes. "Nous sommes plutôt sereins dans la mise en place de ces protocoles, car en parallèle de nos structures de villages sportifs, nous gérons de grandes infrastructures de sport, assure Laure Dubos. Nos équipes sont donc déjà rompues à la gestion des flux et autres gestes barrières".

50% des clubs sportifs se sont désistés en mai-juin

Il n’en reste pas moins que les villages sportifs impliquent, par définition, une pratique en groupe, avec d’autres vacanciers qu’on ne connaît pas. A Ternelia par exemple, le volet sportif de la stratégie est basée sur une offre "100 % club" : les clients sont donc principalement des clubs, des associations sportives ou des fédérations, "des groupes de 15 à 60 personnes". Or la politique de Ternelia pour cet été est de limiter les groupes à 10 personnes. "Les groupes de 30 personnes qui avaient réservé, s’ils avaient prévu deux moniteurs par exemple, on a dû leur demander d’en rajouter un troisième, pour qu’il y ait un moniteur pour dix personnes". Il y a environ "50 % des clubs sportifs qui se sont désistés pour mai-juin".

  (NICOLAS ASFOURI / AFP)

C’est pourquoi la stratégie est aussi de développer l’axe des pratiques individuelles, un peu à contre-courant de l’identité première de ces structures.  A l’UCPA, on met en avant les qualifications des moniteurs, capables d’offrir un suivi personnalisé. "Les compétences des moniteurs sont une de nos forces, assure Laure Dubos, directrice de la stratégie éducative et sportive. Les passionnés savent que s’ils veulent profiter des vacances pour faire de la pratique individuelle, progresser auprès d’un personnel compétent, ils peuvent compter sur nous".

L’heure est en effet au séjour sportif individuel, ou familial. C’est le terreau sur lequel mise TripAdékua, une plateforme ou agence de voyage numérique, qui entend connecter les passionnés de sports estivaux à des "experts locaux". TripAdékua a beaucoup souffert des derniers mois de confinement (« en termes de demandes de devis, on est repartis cinq ans en arrière »). Mais la start-up compte bien exploiter le désir d’entre-soi des Français. "Notre modèle est particulièrement adapté à la situation, explique Antoine Bulot, co-fondateur de la start-up. Les passionnés de sport préfèreront réserver pour des cours particuliers adaptés, plutôt que pour des cours collectifs ou semi-collectifs prédéterminés".  Les dits « experts locaux » sont en réalité de petits hôtels, agences de voyage, ou clubs sportifs spécialisés dans tel ou tel sport. Aucun guide de bonne pratiques n’est prévu ici : TripAdékua mise sur la relation personnalisée entre l’ "expert" et le client. "Chaque expert détaille au client comment les choses vont se dérouler en matière de mesures barrières, dans une conversation directe."

Esprit menacé ? 

De leur côté, les centres sportifs ne s’y trompent pas : ils devront considérablement limiter l’aspect communautaire de leur offre, afin de satisfaire les préoccupations sanitaires de leurs clients. Là où, sur un été normal, la perspective de ponctuer une séance de kite-surf par un apéro en groupe était le coeur-même de leur stratégie marketing, cette fois, la prudence et la discipline seront de mise.

  (COLIN MATTHIEU / HEMIS.FR)

"On est contraints de supprimer les buffets, de limiter les tables à dix personnes maximum, explique Véronique Lorenzelli, membre du comité de direction de Ternelia.  Distancier les fauteuils dans l’espace salon détente, limiter l’accès au bar, ne pas rester au comptoir pour discuter avec le personnel, l’ambiance risque d’être très particulière". La crainte est surtout que le village ne se transforme en hôtel, où "chacun s’isole dans sa chambre après son activité sportive". Les animations du soir seront maintenues et adaptées au contexte, mais les questions demeurent, comme le formule Véronique Lorenzelli : "Les gens viendront-ils ? Faut-il même les inviter ? "
 
A l’UCPA, on appréhende également les effets de cet été post-confinement sur l’ "esprit" du groupe. "Les moniteurs vivent sur nos centres, et les temps d’échange avec les clients sont caractéristiques de l’UCPA, expose Laure Dubos. On espère qu’ils vont continuer à se croiser à l’espace bar par exemple. Pour les soirées dansantes, ça risque d’être compliqué, nous allons essayer de trouver d’autres modalités d’animation. L’essentiel étant de ne pas avoir d’afflux de personnes, ni de promiscuité". 

Chez les acteurs interrogés, le mot d’ordre est en tout cas de rassurer les Français, de les inciter à "ne pas renoncer à des vacances sportives et ludiques". Mais le jeu d’équilibriste qui consiste à maintenir la convivialité originelle des vacances sportives, tout en multipliant les mesures sanitaires pour rassurer les clients, risque d’être un immense défi. 

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