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Rugby : comment éviter que les jeunes coqs du XV de France comme Dupont ou Ntamack se brûlent les ailes

Romain Ntamack, 2 petites sélections, fait ses grands débuts au poste stratégique d'ouvreur en équipe de France samedi au Stade de France face à l'Ecosse. Pas facile pour un joueur de 19 ans.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Le demi de mêlée des Bleus Antoine Dupont gît au sol après s'être blessé, lors de la rencontre France-Irlande, au Stade de France, le 3 février 2018. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Jean-Marc Doussain (qui a eu sa chance en 2014), Jules Plisson (toujours en 2014), Baptiste Serin (par intermittence depuis 2016), Sébastien Bézy (2016), Anthony Belleau (2017-2018) Matthieu Jalibert (2018)... Autant de jeunes pousses tricolores lancées dans un contexte compliqué au sein d'un XV de France qui se cherche un sauveur toutes les deux semaines. Ils n'ont pas brillé, ou alors par intermittence, et ont vite laissé leur place à d'autres futurs ex-héros. 

>> DIRECT. Une nouvelle déculottée pour les Bleus ? Regardez le troisième match du Tournoi des six nations entre la France et l'Ecosse 

Pour le match du Tournoi des six nations face à l'Ecosse, samedi 23 février au Stade de France, le sélectionneur Jacques Brunel a choisi de confier les clés de l'équipe à la charnière Antoine Dupont, 22 ans, 10 sélections, et Romain Ntamack, 19 ans et 2 capes, qui a enfilé le maillot bleu pour la première fois au début du mois. Trop souvent, lancer ce type de coquelets, en attendant d'eux des miracles, s'est terminé par un douloureux passage à la casserole. Franceinfo donne cinq conseils au staff des Bleus pour éviter un massacre de jeunes gallinacés.

1Leur faire confiance sur la durée

C'est le mal récurrent du XV de France. Il y a dix jours, le sélectionneur Jacques Brunel sous-entendait que la charnière titulaire face à l'Angleterre, l'attelage Morgan Parra-Camille Lopez, allait cornaquer l'équipe jusqu'à la Coupe du monde au Japon en septembre. Une déroute 44-8 en terre anglaise plus tard et il n'en est plus question. Les deux Clermontois regarderont le match face à l'Ecosse en tribune.

Depuis la nomination de Jacques Brunel, il y a un an à peine, le sélectionneur a déjà consommé sept ouvreurs – Matthieu Jalibert, Lionel Beauxis, François Trinh-Duc, Jules Plisson, Anthony Belleau, Camille Lopez et Romain Ntamack – à un poste qui demande stabilité et automatismes. L'espérance de vie d'un n°10 en équipe de France s'élève donc à moins de deux matchs. Un peu court pour faire ses preuves ?

La charnière du XV de France sous le mandat de Marc Lièvremont, Morgan Parra (à gauche) et François Trinh-Duc (à droite), lors d'un match face à l'Angleterre le 20 mars 2010. (FRANCK FIFE / AFP)

Le dernier sélectionneur à avoir maintenu une charnière contre vents et marées, c'est Marc Lièvremont à partir de 2008. Deux jeunots, Morgan Parra et François Trinh-Duc, 40 ans et quatre sélections à eux deux avant de défier l'Angleterre. Le sélectionneur avait tenu bon... jusque dans les grandes échéances, sacrifiant Trinh-Duc au moment d'aborder la phase finale du Mondial. A la grande incompréhension des observateurs, comme Guy Accoceberry dans Sud-Ouest : "On a fait confiance pendant quatre ans à François Trinh-Duc, donc on ne va pas le remettre en cause à 15 jours des phases finales : il faut qu’il soit titulaire en quarts et qu’il le sache."

Tout faux. Humiliation suprême, Trinh-Duc sera chassé du XV de départ par un demi de mêlée, un n°9, qui manque de repères en n°10. Avant que Morgan Parra subisse le même sort lors du mandat du sélectionneur suivant. Olivier Magne, grand ancien qui n'a pas sa langue dans sa poche, soupire aujourd'hui dans Midi olympique : "Pour moi, Parra était le meilleur demi de mêlée il y a dix ans. Il aurait dû être le plus grand capitaine de l’histoire de l’équipe de France." Caramba, encore raté !

2Ne pas s'arrêter à une défaite, même cuisante

Devinette : quel est le joueur qui a encaissé une rouste 76-0 pour sa première titularisation en équipe nationale et qui est quand même devenu un des plus grands joueurs de tous les temps ? Indice chez vous, il n'est pas français, forcément, puisque dans l'Hexagone, on ne se remet pas d'une humiliation pareille. Une petite citation pour vous aider ? "Regardez les photos, j'avais les mains vraiment disjointes à l'époque quand je tapais les pénalités. Au fil des années, elles se sont rapprochées." Toujours pas trouvé ?

C'est Jonny Wilkinson qui se décrit ainsi dans sa biographie Mémoire d'un perfectionniste. Plutôt que de regarder ses coéquipiers tirer une tronche de dix pieds de long après s'être fait marcher dessus en 1998 par l'Australie lors de ce que la presse anglaise appellera "la tournée de l'enfer", il s'isole pour passer un coup de fil à son père. Et pleurer toutes les larmes de son corps. "Il a attendu que j'arrête de renifler au bout du fil, puis m'a encouragé à ne pas me laisser envahir par le découragement, et à revenir plus fort demain". Le paternel avait utilisé exactement les mêmes mots quelques années plus tôt, quand "Wilko" avait été laissé en tribune dans l'équipe des moins de 14 ans du Surrey. "Cette défaite a changé ma vie. Toute ma préparation, tout mon travail, c'est une protection pour ne plus me sentir démuni comme je l'ai été sur le terrain ce jour-là."

Le rugbyman anglais Jonny Wilkinson (en blanc, à droite) se fait balayer par le centre australien Matt Burke (à gauche, en jaune) lors d'un test-match entre l'Australie et l'Angleterre, le 6 juin 1998 à Brisbane (Australie). (MARK BAKER / X00017)

Wilkinson jouera encore un match de cette tournée maudite (encore une rouste) et s'emparera de la place de titulaire dès le Tournoi de l'année suivante. Il sera curieusement laissé sur le banc lors du quart de finale de Coupe du monde 1999 perdu face à l'Australie, jugé encore un peu fragile physiquement par le sélectionneur Clive Woodward. Les supporters et les médias anglais lui en veulent toujours. "J'en fais encore des cauchemars", soupire le coach.

3Leur donner une deuxième chance
(voire une troisième)

Demandez à Serge Betsen, le rugueux "flanker" du XV de France. Si Jonny Wilkinson devait mettre un visage sur ses cauchemars, ce serait sans doute lui. Et pourtant, les débuts en Bleu de celui qui jouait à Biarritz à l'époque n'ont rien eu d'un chemin pavé de roses. Première sélection, un bout de match contre l'Italie... qui inflige au XV de France sa toute première défaite en 1997. "C'est le match qui a permis à l'Italie d'intégrer le Tournoi des cinq nations. La décision est intervenue juste après, sourit jaune Betsen dans le Rugby journal. Ça m'a pris trois ans pour réintégrer l'équipe."

Le troisième ligne des Bleus Serge Betsen lors d'un match du Tournoi des six nations 2002 face à l'Ecosse, à Murrayfield (Ecosse). (EMPICS SPORTS/SIPA)

Pour son retour, il rentre à un quart d'heure de la fin dans une partie compliquée face à l'Angleterre. "Je n'avais pas encore touché la balle que j'avais déjà écopé d'un carton jaune, raconte au Daily Mail celui qu'on surnomme à juste titre "la Faucheuse". J'étais gonflé à bloc. Je voulais montrer que j'étais le meilleur." Ce carton jaune reçu d'emblée lui offre une suspension de dix minutes, qui l'aide à méditer sur ce qui cloche dans son approche des matchs. "J'ai compris qu'il fallait que je change quelque chose." 

Pas au courant de cette soudaine prise de conscience et furibard d'avoir essuyé sa première défaite comme sélectionneur, Bernard Laporte tonne : "Serge ne portera plus jamais le maillot bleu." La punition ne durera en fait que neuf mois et une poignée de matchs. Le Biarrot reviendra encore une soixantaine de fois et sera un des hommes de base de la sélection pendant les deux mandats de "Bernie le dingue". 

4Ne pas les envoyer au casse-pipe

Il est trop tard pour prévenir Romain Ntamack. Mais vu l'évolution des gabarits dans le rugby moderne, ils sont nombreux à considérer qu'on ne peut plus débuter comme demi d'ouverture au niveau international à 19 ans, a fortiori avec moins d'un an de championnat professionnel dans les pattes, comme Frédéric Michalak ou Jonny Wilkinson en leur temps. Alors qu'en France, on continue de lancer des joueurs toujours plus jeunes au niveau international (19 ans pour Ntamack, 20 ans pour Jalibert), en Nouvelle-Zélande, on attend qu'ils aient pris un peu de bouteille. Au XXIe siècle, aucun demi de mêlée ni aucun demi d'ouverture n'a reçu le célèbre maillot noir avant ses 21 ans révolus, comme on peut le voir sur le site ESPN Scrum (la France ici, la Nouvelle-Zélande là).

Le joueur All Black Dan Carter échappe au plaquage de deux adversaires lors du match de son équipe face aux Lions Britanniques, le 2 juillet 2005 à Christchurch (Nouvelle-Zélande). (ANTHONY PHELPS / REUTERS)

Prenez Dan Carter, meilleur joueur du monde pendant une décennie. S'il a été formé comme demi d'ouverture, c'est au poste moins exposé de centre qu'il évolue en club et c'est d'abord à ce poste qu'il est retenu chez les All Blacks. "Il y a bien moins de pression, et en plus, on marque beaucoup plus d'essais. Du gagnant-gagnant, quoi !, écrit-il dans son autobiographie. J'étais bien content de rester loin des avants [qui bataillent dans les 'rucks', au près]."

Tout est fait pour lancer le petit prodige dans les meilleures conditions. L'adversaire : un pays de Galles qui a connu des jours meilleurs. Le cadre : un test-match bonus à quelques mois du Mondial. Le seul moment où Dan Carter a perdu son sourire Ultra Brite... c'est lors du haka. "Je me suis planqué, dans le fond. Je m'étais entraîné un nombre incalculable de fois, mais devant les caméras, ce n'est pas la même chose", s'amuse-t-il dans une interview au journal japonais  Metropolis. Le jeunot marquera un essai et 20 points au total pour sa première sélection. La première d'une longue série, qu'il poursuivra au poste-clé de n°10 à partir de 2004, à 23 ans. L'âge de raison ?

5Ne pas croire qu'ils peuvent tout changer

En foot, on a longtemps cherché des nouveaux Zidane, de Camel Meriem à Marvin Martin, avant qu'Antoine Griezmann et Kylian Mbappé mettent tout le monde d'accord. C'est pareil au rugby, où la quête du sauveur de la patrie (ou plus précisément du "grand 10", car en France, le sauveur ne peut être qu'ouvreur) tourne au sport national. Serge Betsen se lamentait à juste titre dans son livre Les Sept Plaies du rugby français : "Chez nous, la constante recherche de la solution miracle ou de l’homme providentiel qui va porter l’équipe à bout de bras, ne permet pas de trouver cette continuité salvatrice." 

Le demi d'ouverture des Bleus Anthony Belleau face à la Nouvelle-Zélande d'Aaron Smith, à Auckland (Nouvelle-Zélande), le 9 juin 2018. (ROSS SETFORD / REUTERS)

Croire qu'un seul joueur peut transformer un collectif moribond est illusoire. Prenez Antoine Belleau, l'ouvreur toulonnais, qui soulignait que si on met le meilleur 10 du monde derrière un pack de bras cassés, il ne pourrait pas faire grand-chose : "C'est sans doute plus facile quand on a quatorze All Blacks autour de soi, souligne celui qui a attendu sa neuvième sélection pour enfin gagner un match en Bleu. Je ne dis pas que si je jouais avec eux je serais le meilleur joueur du monde, mais ça aide quand même."

Même chose pour Dimitri Yachvili, demi de mêlée de l'équipe de France quand elle allait à chaque fois en demi-finale de Coupe du monde : "Les choix du demi de mêlée sont plus fluides quand le pack avance, explique l'ex-n°9 des Bleus au Parisien. Les possibilités sont multiples et la confiance est à son comble. J'ai commencé ma carrière internationale avec les Crenca, De Villiers, Pelous, Betsen, Magne et consorts. Je jouais quasiment dans un fauteuil. Les prises de décision sont anticipées, le jeu est constamment dans l'avancée, les libérations de balles sont propres. Je me sentais en sécurité. J'ai eu un baptême privilégié." Tous les bizuths lancés par le XV de France ces huit dernières années ne peuvent pas en dire autant.

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