Rugby : les cinq piliers du mariage entre le Stade français et le Racing
Les fusions entre deux clubs – réussies ou ratées – sont riches d'enseignements.
Le rugby français est en fusion depuis deux jours, et c'est un peu la faute du Stade français et du Racing 92, qui ont annoncé leur union à la surprise générale. Aux bans publiés à 11 heures, lundi 13 mars, ont répondu les boucliers, levés quelques heures après par les joueurs, les supporters, les juristes, les grincheux, les contribuables et certains élus. Le temps presse : les deux présidents n'ont pas fait mystère de leur envie de démarrer la prochaine saison sous les mêmes couleurs. Comment réalise-t-on une fusion express ? Réponse en regardant le rétroviseur.
1Ne pas s'asseoir sur la géographie
Fusionner deux clubs franciliens distants d'une dizaine de kilomètres paraît quand même plus sensé que la tentative de mariage, en foot, entre le RC Lens et le Racing Paris au début des années 1990 (retoquée par les autorités) voire l'improbable fusion entre le Toulouse FC et le Red Star en 1967, caprice du "milliardaire rouge" du Sud-Ouest, Jean-François Doumeng. Ce roi de l'agroalimentaire, farouche défenseur de l'URSS, avait sabordé son club toulousain pour livrer sur un plateau l'intégralité de son effectif et sa place en première division au Red Star, club de Saint-Ouen, ville... communiste, évidemment. L'expérience n'a tenu que quelques années, le Red Star rejoignant un TFC reparti de zéro dans les profondeurs du foot hexagonal, et a poussé la Fédération française de football à changer son règlement pour éviter ces tours de passe-passe à l'avenir.
Et dans le cas des deux clubs d'Ile-de-France ? La fusion Racing-Stade français semble tenir la route. Même si les vieux routiers des transports en commun franciliens vous diront qu'entre le stade Jean-Bouin, antre du Stade français dans le XVIe arrondissement de Paris, et l'Arena 92, le joujou de Jacky Lorenzetti, président du Racing, à Nanterre (qui ne figure pas encore sur Google Maps), il y a une heure de galère en métro et en RER.
2Ne pas prendre les supporters pour des idiots
Les clubs anglais ont fusionné frénétiquement jusqu'au milieu du XXe siècle, avant que la mode passe. Dernière tentative en date, en 1983, celle du milliardaire Robert Maxwell de fusionner les clubs de foot d'Oxford et de Reading pour les faire jouer à Didcot, petite ville de l'Oxfordshire qui s'épanouit au milieu d'une demi-douzaine de réacteurs nucléaires, sous le nom des Thames Valley Royals. Malgré diverses manifestations des supporters, dont un sit-in de 2 000 fans sur la pelouse d'Oxford, Maxwell affirme qu'il n'y a "que la fin du monde qui le fera renoncer" : "Oxford United a le choix. Soit faire partie d'un projet ambitieux, soit cesser d'exister." Ron Atkinson, capitaine de Reading, balaie l'argumentaire du milliardaire. "Monsieur Maxwell pense évidemment qu'additionner les 6 000 fans d'Oxford et les 6 000 de Reading donnera 12 000 supporters pour la nouvelle équipe. Ça ne marchera pas comme ça." C'est finalement grâce à un putsch des petits actionnaires de Reading que l'affaire capotera.
Et dans le cas des deux clubs d'Ile-de-France ? Les dirigeants du Racing et du Stade français ont réussi à se mettre tout le monde à dos en quelques heures en annonçant une fusion au pas de charge, sans prendre en compte leurs desiderata ou même leurs remarques. Pourtant, nombre d'amoureux du Stade français et du Racing se sentent autrement plus propriétaires du club qu'un Jacky Lorenzetti, arrivé il y a une dizaine d'années, ou d'un Thomas Savare, qui jurait fidélité au club de la capitale il y a quatre ans seulement. Les cartes d'abonnement déchirées fleurissent sur les réseaux sociaux, et Mourad Boudjellal, président du RC Toulon, a beau jeu d'ironiser : "Un stade vide plus un autre stade vide, ça fera peut-être un stade à moitié vide."
3Ne pas surestimer les différences idéologiques
Vu de loin, la fusion des clubs de foot du Véloce Vannetais et de l'UCK Pays de Vannes, en 1998, n'avait pas de quoi passionner les foules. Et pourtant ! Les derbys entre le club des rouges et l'équipe des curés attiraient 5 000 personnes minimum dans le vieux stade de La Rabine. Pas mal pour une affiche de troisième division ! Les supporters des deux clubs allaient jusqu'à compter le nombre de lignes consacrées à chacun dans la presse locale, raconte Le Télégramme. "Quand [un joueur de l'UCK] prenait un petit pont, les gens liés au Véloce chambraient : 'mets ta soutane'", se souvient Yves Le Meur, ancien président de l'UCK dans le livre Dieu Football Club (éd. Hugo Sport). Deux projets de fusion avaient échoué, le troisième, préparé dans le plus grand secret, fut le bon. Les difficultés économiques des deux clubs l'ont emporté sur les idéologies.
C'est le même raisonnement qui a poussé Manchester City à proposer de fusionner avec l'ennemi juré de la Premier League anglaise, Manchester United, en 1964. Dans le plus grand secret, tout de même. En cause : un coup de mou financier qui a poussé les dirigeants de City à se demander si Manchester était assez grande pour héberger deux clubs. L'affluence du stade de Maine Road avait été divisée par deux en quelques années, et les résultats sportifs prenaient le même chemin. L'affaire n'a été ébruitée que 50 ans plus tard par le travail de fourmi d'un historien dans les archives du club. Mais la fusion n'a pas eu lieu, tout simplement parce que City a retrouvé le faste de la première division quelques mois plus tard et les recettes au guichet qui vont avec.
Et dans le cas des deux clubs d'Ile-de-France ? Le Stade français et le Racing touchent grosso modo le même public en terme sociologique, mais ont cultivé leurs différences de positionnement marketing depuis une dizaine d'années. Au Stade français, le côté bling-bling impulsé par l'ancien président Max Guazzini, un ancrage fort dans la capitale et la couleur rose qui fait encore jaser dans le petit monde de l'Ovalie. Au Racing, le côté "nouveau riche" plus discret façon cadre de La Défense et le bleu pastel qui sied aux chemises sous les costumes cravates. Deux mondes loin d'être irréconciliables, mais des antagonismes cultivés avec le temps. C'est surtout parce que Stade français rime avec "gouffre financier" que cette fusion se produit.
Je repense aux période de Derby et Le discours de la direction sur cette rivalité avec le #R92. Tout ça pour en arriver là... #FusionSFPR92
— Adam Roussy (@AdamRoussy) 13 mars 2017
4Ne pas léser une des deux identités
Entre l'Olympique lillois et le Sporting club de Fives (un quartier de la métropole nordiste), ce n'était vraiment pas le grand amour dans les années 1930. Henri Kretzschmar, président de ce qui s'appelait l'OL à l'époque, avait tenté plusieurs avances. Veto de son homologue du SCF, Louis Henno, cité dans La Fabuleuse Histoire du football : "Je ne marche pas. Notre verre est peut-être moins grand que le vôtre, mais je préfère continuer à boire dedans. C’est mieux que de se faire absorber." C'est le régime de Vichy qui va mettre tout le monde d'accord, en obligeant les deux équipes à s'associer pour former une équipe départementale. Au sortir de la guerre, la fusion s'impose. L'Olympique lillois ne dicte pas (entièrement) sa loi dès 1945. Kretzschmar offre le fauteuil de président à Henno : "C’est vous qui serez le président du nouveau club. Moi, je me contenterai d’un poste de vice-président." Le nom du club agrège les deux identités pour devenir le Lille olympique sporting club (Losc). La tenue officielle la joue aussi patchwork, avec le maillot blanc à scapulaire rouge de l'OL, et le short bleu du SCF.
Et dans le cas des deux clubs d'Ile-de-France ? Les présidents du Racing et du Stade français ont laissé entendre que les couleurs historiques des deux clubs (le bleu ciel et le rose) figureraient toujours sur le maillot, que le nom de la nouvelle entité comprendrait "Paris" et "Racing". Ils se sont aussi entendus sur une présidence tournante.
5Ne pas se mettre à dos une des deux villes
Le choix classique dans ces cas-là, c'est d'annoncer qu'on va partager les affiches à part égale entre les enceintes des deux clubs. Le club de Châlons-Reims Basket, issu de l'union (et pas la fusion, les responsables locaux sont très sourcilleux sur le sujet) des deux villes en 2010, joue alternativement dans les deux salles marnaises. Et heureusement, le taux de victoires dans les deux enceintes est sensiblement le même ! Nikola Antic, le coach, le rappelait dans L'Equipe : "Ce qui a aidé la première année, c'est qu'il n'y a pas eu un gros écart de victoires d'une salle à l'autre. Sinon, comment expliquer aux joueurs qu'on ne joue pas tout le temps dans celle qui gagne ?" Les entraînements sont également équitablement divisés entre les deux villes, d'où la consigne "prière de lire vos e-mails quotidiennement" adressée aux joueurs. Même les salariés de ce club bicéphale jusqu'au bout des ongles sont répartis sur deux sites distants de 40 km.
Depuis l'exemple (réussi) de Pau-Orthez en 1991, le basket est le sport où ça fusionne le plus en France. Le poisson d'avril du site de la LNB en 2015, inventant la fusion Paris-Levallois-Nanterre, était tellement crédible vu les forces centrifuges qui animent le basket français, que son rédacteur a dû ajouter le disclaimer "NB : ceci était un poisson d'avril" en gras en début d'article.
Et dans le cas des deux clubs d'Ile-de-France ? C'est assez flou. Jacky Lorenzetti, président du Racing, affirme que les grandes affiches seront réservées à l'Arena 92, et que Jean-Bouin accueillera le tout-venant du Top 14. C'est beaucoup plus flou concernant l'implantation des structures d'entraînement et administratives du futur crack du rugby francilien. La brutalité avec laquelle a été annoncé ce projet de fusion – qui a totalement relégué le Tournoi des six nations au second plan – a enterré tout espoir de transition en douceur. Les joueurs du Stade français se sont mis en grève illimitée pour tenter de sauver leur club, qu'ils croient victime d'un rachat déguisé. Une réaction épidermique qui fait plus penser à l'aventure ratée de Robert Maxwell sur les bords de la Tamise qu'à la fusion en douceur des frères ennemis vannetais.
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