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Springboks-All Blacks, la rivalité éternelle

Twickenham accueille samedi à 17h la plus belle affiche que l’ovalie puisse offrir : Afrique du Sud - Nouvelle-Zélande. Mais si les Vert et Or ont longtemps fait jeu égal –voire mieux- avec la référence esthétique du rugby international, les Blacks ont nettement repris l’avantage depuis le retour dans le giron mondial des Boks au début des années 90, après la fin de l’apartheid.
Article rédigé par Grégory Jouin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
 

Depuis le début du XXe siècle, l’Afrique du Sud et la Nouvelle-Zélande se vouent autant de respect que de haine (sportive). Le leadership mondial a quasiment exclusivement appartenu à l’un des deux pays phares de l’hémisphère Sud depuis 1905 et 1906, dates des deux premières tournées victorieuses dans les îles britanniques qui ont forgé la réputation des deux cadors mythiques.

Les All Blacks font le Haka, en l'occurence ici le Kapa O Pango

Domination sans partage

Entre les Sud-Africains et les Néo-Zélandais, la rivalité n’a alors plus cessé, conduisant à faire de ces deux équipes les seules légendes du rugby. Trop forts pour leurs rivaux européens et australiens, Springboks et All Blacks ont établi une domination sans partage, réglant entre eux la suprématie pour le trône. Il est d’ailleurs légitime de penser que les deux mastodontes auraient trusté la plupart des titres de champion du monde si l’épreuve avait existé depuis 1930, comme en football.

L’Afrique du Sud s’est montrée légèrement supérieure à sa grande rivale durant la majeure partie du XXe siècle avant que la Nouvelle-Zélande ne la déloge de son piédestal*. Reste que les observateurs ne sont pas d’accord entre eux pour avancer la date de la passation de pouvoir. Les Kiwis pensent qu’il s’agit de 1956 quand les Blacks ont enfin remporté une série de tests matches contre les Verts (3V, 1D). Les Sud-Af’ répliquent qu’ils ont dominé les débats jusque dans les années 80.

Les Boks plus forts que les Blacks

Le bilan des confrontations joue d’ailleurs en leur faveur. Contrairement à l’opinion la plus communément admise, les All Blacks n’ont pas toujours été les maîtres du rugby. De leur premier duel en 1921 jusqu’à leur bannissement pour cause d’apartheid, les Springboks ont malmené le rival des Antipodes, gagnant la moitié des tournées (5/10 pour 3 échecs et 2 tournées sans vainqueur). Ils ont remporté 20 matches sur 36 (pour 14 défaites et 2 nuls) et ont construit leur success story à travers deux rendez-vous mythiques en ces temps où la Coupe du monde n’existait pas.

En 1937, les All Blacks s’inclinent pour la première fois chez eux lors d’une tournée adverse (deux victoires à une pour l’Afsud). Pire, en 1949, ils sont battus lors des quatre tests sur le sol sud-africain contre probablement les plus forts Springboks de tous les temps, entraînés par Danie Craven qui avouera quelques années plus tard que « sans les All Blacks, notre rugby ne sera jamais le même ». Hommage mérité au mythe.

Il faut donc attendre 1956 pour voir les Océaniens régler leur compte aux Verts lors d’une tournée qui marque un premier tournant dans l’histoire. Battus lors du test initial, les Blacks enlèvent les deux autres matches pour ravir (provisoirement) le leadership mondial. Les deux pays alternent alors au sommet, se partageant les succès : tournée victorieuse des Boks à domicile en 1960 (2V, 1N, 1D) avant la revanche noire cinq ans plus tard (3V, 1D).

70'es, 80'es: tension à son comble

L’Afrique du Sud profite de deux tournées consécutives chez elle pour repasser devant dans les seventies : 3 succès à un à l’été 1970 où pour la première fois des joueurs des Maoris font le déplacement, idem en 1976. La tension est montée d’un cran à cause de l’apartheid et cette dernière tournée des Néo-Zed sur le sol sud-africain incitera vingt-deux pays du continent noir à boycotter les JO de Montréal en signe de protestation.

Les années 80 vont être le théâtre de deux évènements mémorables qui en font l’acmé de la concurrence Blacks- Boks. En 1981 a lieu l’ultime tournée officielle des Springboks en Nouvelle-Zélande avant que le pays ne soit mis au banc de l’ovalie. Dans une atmosphère délétère –manifestations houleuses dans les rues, matches violents, jets de farine sur les joueurs pendant un match-, les All Blacks remportent la série de la honte (2-1) mais la société reste profondément divisée sur l’attitude à adopter, le gouvernement néo-zélandais ayant prétexté de ne pas mélanger sport et politique…

Des All Blacks déguisés en Cavaliers

Car plus que toute autre considération, à tort ou à raison, les deux pays veulent s’affronter, se jauger. En 1986, à un an de la première Coupe du monde qui verra la probable plus belle équipe des All Blacks de l’histoire triompher à domicile en l’absence du pariah sud-africain, de nombreux et célèbres joueurs néo-zélandais décident de se rendre en catimini en Afrique du Sud pour y disputer une lucrative tournée afin de régler de nouveau la suprématie planétaire. Ces Cavaliers (le surnom qu’ils se sont donné), véritables All Blacks déguisés**, tiennent la dragée haute à leurs rivaux. Mais les Boks de Naas Botha et Danie Gerber finissent par enlever la série 3-1, confirmant officieusement leur statut de co-leader du rugby mondial.

Dès lors, la Nouvelle-Zélande va s’installer sur le trône pour dominer de la tête et des épaules son adversaire numéro 1 et le rugby mondial. Les Blacks s’adjugent la Coupe du monde à deux reprises (1987 et 2011), et le Tri Nations (ou Four Nations) 13 fois sur 20 depuis 1996 en matant les Springboks les deux tiers du temps. Du retour de l’Afsud en 1992 à aujourd’hui, les (désormais incontestables) maîtres du rugby ont engrangé 37 succès pour seulement 15 échecs et un nul face aux Verts.

Le président sud-africain Nelson Mandela remet le trophée William Webb Ellis à François Pienaar, captaine victorieux des Springboks vainqueurs de la Nouvelle-Zélande (15-12) après prolongation

Toutefois, d’autres pays comme l’Australie (championne du monde en 1991 et 1999) ou l’Angleterre (quasi invincible en 2003) vont ponctuellement s’immiscer tout en haut. L’Afrique du Sud également : en 1995*** (14 victoires consécutives sous la houlette de Kitch Christie, coach qui n’aura jamais connu la défaite avec les Vert et Or avant d’abandonner son poste à cause d’une leucémie). En 1998, sous la férule de Nick Mallet avec au passage un record à la clef (17 victoires de suite). En 2004 et en 2009 aussi, où elle remporte le Tri-Nations. Et bien sûr en 2007, année où Boks regagnent le Mondial sans battre le rival honni.

Les Springboks en retrait

Jusqu’aux années 90, le bilan cumulé des Boks dans les confrontations directes avec chaque nation était positif. Ils sont pourtant rentrés dans le rang tandis que les Blacks trustent les victoires depuis plus de deux décennies (la première tournée victorieuse des Blacks en terre ennemie date de 1996, 2-0, et ils mènent 10-2 depuis 5 ans dans les face à face). Outre les résultats, la Nouvelle-Zélande demeure la référence en termes de jeu tandis que l’Afrique du Sud n’enthousiasme pas vraiment les foules. L’aura de l’une surclasse celle de l’autre.

Le choc de titans de samedi va donc soit confirmer la tendance actuelle en conservant l’église néo-zélandaise au milieu du village rugby, soit raviver les vieux souvenirs d’un temps révolu où l’Afrique du Sud pouvait se targuer d’être à la hauteur voire davantage. L’opposition de style entre la puissance ravageuse des Springboks et le jeu plus complet des All Blacks n’a pas fini de fasciner la planète ovale. Même si la question de la suprématie semble aujourd’hui bien réglée.

*Le bilan comptable des confrontations entre les deux pays est le suivant : 52 victoires pour les All Blacks, 35 pour les Springboks et 3 matches nuls (avant la demi-finale de samedi).

**Une équipe composée entre autres de Grant Fox, Andy Haden, Andy Dalton, les frères Whetton…Il manque juste David Kirk, qui renonce au dernier moment par conviction politique, et sera du coup nommé capitaine en 1987, et John Kirwan, l’un des meilleurs ailiers du monde, qui faisait une pige en Italie à l’époque. Kirk expliquera : "Comme la tournée de 1985 avait été annulée à la dernière minute, tous les rugbymen néo-zélandais voulaient aller jouer l’Afrique du Sud en Afrique du Sud où nous n’avions jamais remporté une série de tests. Mais la réalité, c’est qu’avoir des contacts avec l’Afrique du Sud de l’apartheid n’était pas une bonne chose, surtout que c’était une tournée rebelle. Nous ne représentions rien et il y avait l’odeur de l’argent".

***L’Afrique du Sud remporte la Coupe du monde à sa première participation (15-12 après prolongation en finale contre les All Blacks grâce à un drop de l’ouvreur Joël Stransky. Jonah Lomu, l’ailier star néo-zélandais, auteur de 7 essais dans la compétition mais impuissant en finale contre une Afsud à qui il n’a jamais marqué un essai, parlera d’une "force spirituelle" de la part de Nelson Mandela auprès des Springboks, indiquant par ailleurs que le président sud-africain "avait fait un rêve et (que) ce rêve était trop grand pour nous les All Blacks". Certains évoqueront plutôt l'intoxication alimentaire dont ont été victimes dix All Blacks du squad deux jours avant la finale.

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