Mondial de rugby : huit anecdotes improbables sur le XV de France en Coupe du monde
La France dispute au Japon sa neuvième Coupe du monde. Les huit premières ont toutes accouché d'histoires incroyables. En voici une sélection.
Le chemin vers la Coupe du monde n'a jamais été un long fleuve tranquille pour l'équipe de France. Bien souvent, les deux mois de préparation, puis les deux mois de compétition, accouchent d'histoires aussi incroyables qu'improbables. Du clip vidéo, aux affaires de gros sous, en passant par les règlements de comptes par yaourt interposé, (re)découvrez quelques petites anecdotes qui ont jalonné le parcours du XV de France, qui affronte les Tonga dans un match couperet, dimanche 6 octobre, pour son troisième match de poule du Mondial 2019 au Japon.
1987 : la parodie des All Blacks
En 1987, les All Blacks étaient déjà la tête de gondole du sport néo-zélandais. Et pour la toute première Coupe du monde de l'histoire, organisée au pays du long nuage blanc, les télés passent en boucle un spot pour la bière Steinlager, mettant en vedette les cracks de l'équipe, Michael Jones et Sean Fitzpatrick. Le tout rythmé par la chanson Stand by me – que vous devriez logiquement avoir dans la tête pour la journée.
Pour exorciser leur peur de l'ogre, le centre tricolore Denis Charvet décide d'en tourner un remake à sa façon. Avec l'aide d'un journaliste de France Télévisions, Jean Mamère, il organise une drôle de séance de tournage dans une chambre de l'hôtel où sont confinés les Bleus depuis le début de leur périple. "C'était à pleurer de rire. On a fait tous les plans jusqu'à une heure du matin", raconte l'ex-joueur aux 23 sélections dans Le Point. "On jouait avec la caméra, on lui lançait des regards profonds, on se figeait pour des poses étranges. Qu'est-ce qu'on a pu rigoler !"
Appelé de dernière minute pour pallier le forfait d'Eric Champ, frappé par la peur du ridicule, le deuxième ligne Alain Lorrieux se montre particulièrement convaincant dans l'exercice. "Et deux jours après, il a fait le match de sa vie contre l'Australie, en demi-finale de Coupe du monde."
1991 : la guerre des primes
Pour ce deuxième Mondial, le rugby n'est toujours pas professionnel. Mais après avoir claqué leur maigre défraiement en coups de fils intercontinentaux en Nouvelle-Zélande quatre ans plus tôt, les Bleus aspirent à une solide augmentation pour cette Coupe du monde qui se dispute en France et en Grande-Bretagne. Patrice Lagisquet raconte dans Histoires secrètes des Bleus, du journaliste Marc Duzan (éditions Hugo Sport) : "Le président [de la fédération] Albert Ferrasse nous avait dit : 'Le rugby évolue, et nous aussi'. Vous aurez quelque chose et on assumera.'" Une prime de 7 000 francs (1 100 euros) a bien été négociée, mais à l'approche du quart de finale contre l'Angleterre, les Bleus n'en ont pas vu la couleur.
Des années avant leurs camarades footballeurs dans un bus de sinistre mémoire en Afrique du Sud, les rugbymen français appellent à la grève en menaçant de déclarer forfait contre l'Angleterre. Sur ce point, Eric Champ ne se souvient pas avoir été aussi catégorique : "Des conneries ! On a dit : 'Ils réclament du pognon, ils veulent se mettre en grève', relate-t-il dans L'Equipe. Mais la Coupe du monde, on aurait tous payé pour la jouer. Et je suis sûr que les mecs aujourd'hui seraient prêts à la jouer pour rien."
La Fédération française (FFR) est, à l'époque, une pétaudière ravagée par la guerre des clans entre les ambitieux et le vieux chef, Ferrasse donc, sur le déclin. C'est lui qui finit par rétorquer à Serge Blanco, envoyé au front par ses partenaires : "Il n'y aura rien du tout. Si vous ne voulez pas, vous dégagez. On en prend quinze autres et on n'en parle plus." C'est le grand argentier du rugby français, Serge Kampf, qui ouvrira son portefeuille pour faire cesser la crise. "Je leur ai signé un chèque, personnellement, de 200 000 francs chacun, confie-t-il à L'Express des années plus tard. Soit trente-deux chèques, en comptant l'encadrement. Tous l'ont encaissé. Sauf Blanco. Il est d'un orgueil démesuré."
1995 : la séance de sophrologie sous le déluge
Jour de demi-finale à Durban, ville réputée pour son climat ensoleillé, qui attire chaque année des milliers de touristes. Sauf ce samedi 17 juin 1995. "D'un coup, l'orage a retenti et la pluie s'est abattue sur nous. On aurait dit qu'on nous lançait des seaux d'eau depuis le ciel", raconte l'ouvreur Christophe Deylaud. A l'époque, la technique pour drainer le terrain est franchement rudimentaire et se résume en deux mots : des rateaux et des balais. Et comme l'orage n'a pas l'intention de se calmer, il faut prendre son mal en patience en attendant que le terrain soit praticable.
Olivier Roumat poursuit la plongée dans le vestiaire sur Rugbyrama : "C’était terrible. On venait juste de faire monter la pression avant de rentrer sur le terrain. On se retrouve avec le bandeau, le casque pour certains, d’autres étaient strappés. On attend dans le vestiaire, dans un silence mortuaire." Du café pour maintenir son niveau d'influx, des étirements pour que le corps ne se refroidisse pas. "Vous avez un protocole : vous sortez du vestiaire, il y a les hymnes puis le coup d'envoi. Et là, on se retrouve avec toute une préparation à refaire sur une heure et demie. C'était très compliqué sur le plan nerveux."
Le coup d'envoi du match est reporté une fois, deux fois, de dix minutes, de vingt minutes. Philippe Sella finit par proposer une séance de sophrologie à ses partenaires, qui tournent comme des lions en cage. L'idée consiste à visualiser les actions du match avant qu'elles se déroulent. "On a tous fermé les yeux et le n°10 Christophe Deylaud dit : 'Je tape le coup d'envoi, très haut'. Puis Olivier Roumat enchaîne : 'Je saute, je prends le ballon'. Puis Fabien Galthié poursuit : 'Je récupère, j'écarte'", décrit-il dans le livre Histoires secrètes des Bleus. "Notre début de match, on l'a d'abord joué en rêve."
1999 : l'attaque au yaourt lors du stage commando
Pour souder une équipe divisée en clans et aux piteux résultats sur le terrain, le duo de sélectionneurs, Jean-Claude Skrela et Pierre Villepreux, décide d'entreprendre un stage commando dans l'Aveyron. "J'ai vu des gars pleurer, raconte Eric Tarrusson, l'organisateur du stage, dans Libération. Mais j'ai respecté le cahier des charges : vie collective dans des conditions rustiques, efforts très violents. Le but n'était pas d'écœurer les gars mais qu'ils fassent tous entièrement le parcours, et il fallait les ramener intacts."
Direction les Grandes Causses pour y passer la nuit dans une grotte. Pour la rejoindre, une seule possibilité, un chemin rocailleux, escarpé, et les Bleus doivent y transbahuter le ravitaillement, arrivé par bateau au pied de la falaise. Christophe Dominici raconte dans le livre Histoires secrètes des Bleus la suite de l'histoire : "Nous avons donc construit une longue chaîne humaine pour acheminer toutes les victuailles. Du sommet des rochets, un individu lançait des yaourts sur Jean-Claude Skrela et Max Godemet, son adjoint. Ils en étaient couverts. Nous n'avons jamais su qui c'était."
Les sélectionneurs de tous les pays, peut-être bluffés par la réussite éclatante des Tricolores, tombeurs des All Blacks dans une demi-finale de légende cette année-là, perfectionneront les stages commandos par la suite. En 2003, les Springboks devront escalader des falaises nus tandis que des sergents instructeurs façon Full Metal Jacket leurs versaient des seaux d'eau glacée sur le crâne. Et le soir, le dîner, c'était un poulet que les Boks devaient abattre à main nues avant de les décapiter avec leurs dents. Vous riez, pensant que seuls les Sud-Africains sont capables de tant de cruauté ? En 2007, ce sont des lapins que les Tricolores durent abattre et cuire avec leurs mains et leurs dents pour seuls instruments.
2003 : le 31e homme est un coq
Bernard Diomède, vous connaissez ? Si oui, vous devez vous demander pourquoi ce footballeur, ailier historique de l'AJ Auxerre époque Guy Roux, figure dans un article sur le rugby. Tout est parti d'une phrase du manager Jo Maso à ses ouailles, alors que les Bleus prennent leurs quartiers dans un somptueux hôtel de Bondi Beach, à un jet de pierre de l'Océan Indien. "Dans la vie d'un groupe, chacun a son rôle. Vous êtes trente à vous lancer dans l'aventure. A chaque match, huit joueurs resteront dans les tribunes. Je veux que ceux-là aient un comportement semblable à celui de Bernard Diomède lors de la Coupe du monde de foot en 1998. Il a peu joué, mais il a toujours eu un rayonnement positif."
Jo Maso n'y connaît rien en foot. Bernard Diomède a totalisé trois de ses huit sélections lors de l'épopée de la bande à Jacquet. Mais ses joueurs le prennent au mot, et quand ils héritent d'un coq, prêté par un paysan voisin, ils le baptisent aussitôt "Diomède". Charge à un joueur, désigné chaque soir lors d'un conseil de discipline, de s'en occuper. Les motifs de punition sont assez improbables, raconte Le Parisien à l'époque : Serge Betsen doit jouer les éleveurs pour être arrivé en retard à un rassemblement, ou Tony Marsh pour... "flatulences intempestives en public".
L'hôtel se prête au jeu et fournit une chambre et une cage au coq Diomède. "On ne va pas trop dire comment ça s’est passé, car on va avoir Brigitte Bardot sur le dos", botte en touche Imanol Harinordoquy dans L'Equipe, des années plus tard. La fin de l'histoire est plus floue, les Bleus échouant en demi-finale, noyés par la pluie et par les coups de pied de Jonny Wilkinson. Raphaël Ibanez avait cependant promis : "Tout le monde l’aime et je peux vous assurer qu’il ne finira pas en coq au vin, même si nous ne gagnons pas la Coupe du monde."
2007 : les maillots de la discorde
En guise de punition pour s'être pris les pieds dans le tapis face à l'Argentine lors du match d'ouverture de son Mondial, la France hérite de la Nouvelle-Zélande dès les quarts de finale. Un match qui se disputera à Cardiff, qui plus est. Casse-tête tactique en perspective pour le sélectionneur Bernard Laporte, mais casse-tête aussi en vue du côté des diffuseurs : les Français évoluent dans un maillot bleu nuit qui ne tranche que très peu avec le noir uni des Blacks. Quant aux Néo-Zélandais, leur maillot extérieur gris foncé a déjà causé une épidémie de maux de crâne lors d'un match face aux Ecossais, qui ont à peu près la même tunique.
Les Français gagnent le tirage au sort le mardi, à quatre jours de la rencontre. Pour Jo Maso, le manager de l'équipe, ça ne fait pas un pli : "Nous jouerons en bleu, ce sont nos couleurs. Je me suis levé tôt mardi matin pour aller à un tirage au sort que nous avons gagné". Techniquement, il s'agissait d'un lancer de pièce entre les deux managers. Malgré un entraînement intensif dans l'hôtel des All Blacks – "on y a passé près de deux heures", reconnaîtra, penaud, le sélectionneur Graham Henry – Darren Shand doit s'incliner. Fallait-il envoyer le manager des All Blacks, plus chat noir que All Black, pour ce tirage ? Il avait auparavant perdu tous les tirages au sort organisés pour choisir des hôtels.
Panique chez les diffuseurs. Une opposition entre des figurants vêtus des deux maillots est organisée à la va-vite le jeudi, deux jours avant le match, par la chaîne anglaise ITV. Et là, c'est le drame : la différence ne saute pas aux yeux des téléspectateurs-cobayes. La chaîne suggère donc aux deux équipes de jouer en blanc. Chez Adidas, fournisseur des Kiwis, le temps manque pour fabriquer en urgence des maillots blancs. Et les Français se retranchent dans leur bon droit. Solution de repli : obliger les Bleus à jouer en blanc et les Blacks en gris. Et donc mécontenter tout le monde.
Arrive le samedi matin. A douze heures du coup d'envoi, une solution de compromis est arrachée : pour aider les téléspectateurs à distinguer les deux équipes, les Bleus porteront bien leur maillot bleu nuit, mais des shorts et des bas blancs, quand les Blacks se coltineront bien leur tenue grise, avec short et chaussettes foncées. On connaît la suite : les Français et leur maillot bleu nuit se sont imposés à la surprise générale. Et les All Blacks brûleront la tunique maudite. "Je n'ai jamais pu oublier ce putain de maillot gris, confiera le talonneur kiwi Anton Oliver dans Histoires secrètes des Bleus. Pourquoi Adidas ne nous a-t-il pas donné comme deuxième maillot un maillot blanc ? Avec ce foutu gris, on avait perdu la première bataille."
2011 : le sélectionneur s'appelle Freddie Mercury
C'est peu dire que les relations entre le sélectionneur Marc Lièvremont et ses joueurs se dégradent lors de la compétition. Quand il traite ses joueurs de "sales gosses" devant la presse après une sortie nocturne (et alcoolisée) non autorisée, il s'attire les foudres de nombreux cadres qui ont dépassé la trentaine. Sans aller jusqu'à l'autogestion, les joueurs prennent la main sur l'entraînement et la vie de groupe.
C'est à ce moment-là qu'après un pari perdu avec l'entraîneur chargé de la défense, David Ellis, il se laisse pousser la moustache : "J'avais une gueule de sergent-chef, raconte Lièvremont. Les joueurs, pour se foutre de moi, avaient accroché des photos de Freddie Mercury dans un des salons de l'hôtel." Le show durera jusqu'en finale, perdue d'un cheveu, pardon, d'un poil de moustache, face au pays hôte, la Nouvelle-Zélande.
2015 : le maillot à pois mal vu du peloton
En 1995, la mauvaise Coupe du monde des Bleus s'est peut-être cristallisée sur les pentes de l'Iseran – oui, ce col de 2 764 m d'altitude à 8% de dénivelé moyen où s'est joué le Tour de France 2019. Le sélectionneur, Philippe Saint-André, qui accorde beaucoup d'importance à la préparation physique, a concocté une ascension de 20 km pour ses hommes. S'ils peuvent faire l'impasse sur le cuissard et les jambes rasées, tous n'ont pas l'aisance d'un Richard Virenque dès que la pente s'élève. Sauf le demi de mêlée d'origine sud-africaine Rory Kockott, qui lâche le peloton du XV de France dès les premiers lacets.
Kockott compte rapidement deux minutes d'avance sur ses premiers poursuivants, un groupe où figure notamment Frédéric Michalak. Inutile de préciser que les "gros", Pascal Papé en tête, se baladent devant la voiture balai. "Quel enfer ! On a fait les 21 km avec l'engin sur l'épaule. Croyez-moi, nous étions affûtés après ça", raconte Pascal Papé dans Histoires secrètes des Bleus.
La presse rapporte que Kockott, assez isolé dans le groupe en raison d'un tempérament assez individualiste, l'a emporté au terme de son échappée solitaire. Démenti du demi d'ouverture Rémi Talès : "Non, non, je vous assure qu'il n'est pas arrivé tout seul en tête du col ! Je crois qu'ils ont fini à trois avec Rémi Lamerat et Dimitri Szarzewski. Je ne sais pas d'où est partie la rumeur. Peut-être qu'il s'est échappé à un moment donné mais il s'est fait reprendre par ses poursuivants !" Et pour cause : il avouera à L'Equipe avoir sciemment levé le pied pour ne pas se faire chambrer toute la semaine par le reste du groupe.
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