France-Uruguay : avec trois qualifiés en Coupe du monde, le rugby sud-américain en pleine progression

L'équipe de France de rugby affronte pour la première fois de son histoire l'Uruguay, jeudi à Lille, pour son deuxième match dans cette Coupe du monde.
Article rédigé par Elio Bono, Julien Faure, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le trois quarts centre uruguayen Nicolas Freitas, qui évolue à Vannes, échappe à la défense chilienne, lors du match de préparation à la Coupe du monde entre l'Uruguay et le Chili, le 29 juillet 2023 à Montevideo (Uruguay). (PABLO PORCIUNCULA / AFP)

Dans un sport élitiste qui ne cesse de cultiver son entre-soi, la curiosité saute aux yeux. Pour la première fois de son histoire, la Coupe du monde de rugby compte cette année trois représentants sud-américains. On connaissait évidemment l'Argentine, mastodonte local systématiquement qualifié depuis 1987 avec pour meilleures performances deux demi-finales (2007 et 2015). Nettement moins l'Uruguay, adversaire de la France, jeudi 14 septembre à Lille (21 heures), pour sa quatrième participation. Et à vrai dire, à peu près rien du Chili, nouveau venu dans cette édition.

Plus qu'un heureux alignement des planètes, ces réussites conjointes sont les effets d'une structuration nouvelle. "En 2018, Sudamérica Rugby [instance en charge du rugby local] a incorporé le rugby de haut niveau, alors qu'on parlait avant surtout de développement", embraie Daniel Hourcade. L'ex-sélectionneur des Pumas – de 2013 à 2018 – a pris du recul et est devenu l'un des instigateurs du Super Rugby Américas, un projet ambitieux de championnat professionnel continental entre franchises, calqué sur le modèle du Super Rugby océanien.

"On a déterminé que six pays pouvaient se mettre au niveau : l'Uruguay, le Chili, le Paraguay, le Brésil et la Colombie en plus de l'Argentine", se souvient Hourcade, qui donne des objectifs bien précis à chacun d'eux. L'idée de cette ligue a d'abord fait grincer des dents – "on m'a pris pour un fou !", relève l'instigateur – dans un continent aux disparités importantes, et aux championnats amateurs. Avec "120 000 joueurs en Argentine contre 1 900 au Paraguay", le défi est risqué mais inauguré en mars 2020. "Et au bout de trois matchs, on a dû tout arrêter à cause de la pandémie", regrette Daniel Hourcade.

L'Argentine comme nation motrice

Trois ans et demi plus tard, la pertinence du Super Rugby Américas n'est pourtant plus un sujet. Le championnat a été ajusté à la marge – la franchise colombienne a disparu et une équipe étatsunienne a été invitée l'an passé – mais est une réussite. Le Covid-19 a même, paradoxalement, servi à son développement. Conséquence directe de la fermeture des frontières, la franchise des Jaguares en Super Rugby, porte-étendard de la réussite argentine jusqu'en finale de cette compétition d'élite en 2019, a disparu. Privée de ses meilleurs joueurs, exilés en Europe faute de haut niveau dans leur pays, et sur le déclin au niveau mondial (sa défaite 10-27 contre l'Angleterre samedi en témoigne), l'Argentine s'est repliée vers son continent.

"L'Afrique du Sud nous a aidés [en intégrant l'Argentine au Rugby Championship puis au Super Rugby]. Désormais c'est à nous d'aider le Chili et l'Uruguay", synthétise Jorge Ciccodicola, journaliste spécialisé pour le média argentin Rugby Champagne. "C'est un peu la troisième ou quatrième équipe d'Argentine, surtout des jeunes, qui dispute le Super Rugby Américas, car tous les autres joueurs sont partis", continue-t-il. La fuite est continue ("81 joueurs sont partis en deux ans", regrette Hourcade), mais cette situation subie permet au moins d'équilibrer le niveau. Et l'influence des Pumas ne s'arrête pas là.

"La majorité des entraîneurs ou formateurs dans les autres pays sont de chez nous", explique Ignacio Saint-Bonnet, ancien préparateur physique des Pumas. Cette expertise permet de structurer les franchises paraguayennes ou brésiliennes, des pays où la pratique reste embryonnaire. De nombreux joueurs argentins apportent aussi leur science du jeu aux locaux et, au passage, glanent un pécule impossible dans leur championnat, entièrement amateur. "Les franchises du Chili et de l'Uruguay y sont plutôt réticentes et alignent des joueurs du cru", nuance Jorge Ciccodicola.

Une croissance chilienne impressionnante

L'équipe chilienne de Selknam fournit ainsi 90% des joueurs de la sélection. Ces automatismes acquis tout au long de l'année "donnent forcément un avantage" aux Condores, admet Inaki Ayarza. Ce trois-quart polyvalent des Condores est pourtant l'un des rares expatriés, à Soyaux-Angoulême (Pro D2).

"Le niveau global a augmenté, et avec le professionnalisme, tout le monde est désormais focus à 100% sur le rugby"

Inaki Ayarza, trois-quart international chilien

à franceinfo: sport

Depuis 2019, la sélection a grimpé de sept places au classement World Rugby et est actuellement 22e. "Ce n'est pas surprenant de voir le Chili à la Coupe du monde, reprend le journaliste. Mais c'est une réelle performance d'éliminer le Canada et les Etats-Unis. C'est un vrai saut pour le rugby de la région." Loin d'être ridicule pour son baptême mondial (défaite 12-42 contre le Japon dimanche), le Chili va affronter les Samoa, l'Angleterre et l'Argentine, dans un duel sud-américain inédit à ce niveau. "Leur croissance a été très rapide, loue Daniel Hourcade. On s'attendait plutôt à une qualification pour 2027."

De la même manière, les Teros uruguayens s'appuient sur une solide ossature formée par la franchise de Penarol, double championne du Super Rugby Américas. "L'Uruguay fait un travail de fond très important, on l'a vu lors du dernier Mondial", poursuit le journaliste Jorge Ciccodicola. Au Japon en 2019, ils avaient en effet accompli un exploit retentissant en battant les Fidji (30-27). Pour leur troisième participation d'affilée à un Mondial, le Castrais Santiago Arata et ses comparses vont se frotter aux Bleus et aux All Blacks. Et espérer que l'expérience acquise ruisselle sur leurs voisins, dans un cycle d'entraide permanente.

Et maintenant, progresser en affrontant les meilleurs

Malgré tout, cette confrontation avec les meilleurs reste exceptionnelle. Eternel problème d'un rugby conservateur opposant toujours les mêmes nations, les autres sélections plafonnent rapidement. Le constat, également applicable à la Géorgie ou aux équipes du Pacifique, est frustrant. Snobées par les tout-puissants, les nations de cette "troisième voie" du rugby international se tirent mutuellement vers le haut.

"Les Blacks Lions géorgiens ont joué cinq matchs chez nous et ont perdu trois fois, explique Daniel Hourcade. Ils avaient quelques internationaux, c'est très formateur de se confronter à un autre rugby." Il s'agit là de "la seule référence" contre une équipe que ce dernier juge, au complet, "au niveau de la Pro D2". Avec cette aide extérieure, les nations sud-américaines poursuivent ainsi leur progression et rêvent, à moyen terme, de placer d'autres représentants en Coupe du monde. Fort d'un potentiel démographique sans équivalent dans la région, le Brésil pourrait être le prochain.

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