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Coupe du monde de rugby : comment le ballon ovale tente de sortir de la mêlée au Japon

Les "Brave Blossoms" accueillent la planète ovale pendant six semaines. Un premier test à passer, en attendant la véritable révolution prévue pour 2021.

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des Japonaises discutent dans les rues de Kobe (Japon), le 17 septembre 2019, devant un affiche évoquant la Coupe du monde de rugby. (FILIPPO MONTEFORTE / AFP)

Et soudain, le visage du coach est devenu tout rouge : "Go back to Fraaaaance !"  Planté devant lui, Nicolas Kraska reste "sans voix", "complètement scié" par la soufflante qu'il est en train de se prendre. Il faut dire que le rugbyman français vient d'outrepasser l'une des plus des importantes règles de bienséance japonaises. "J'ai osé faire une petite remarque à mon entraîneur, raconte à franceinfo le trois-quarts centre formé au Racing Métro. Dans un club français, ça serait passé crème parce qu'il n'y avait rien de méchant. Mais ici, c'est considéré comme un manque de respect. Dans la société comme sur un terrain de rugby, tu ne remets pas en cause la décision d'un joueur plus âgé que toi ou d'un supérieur, même si tu as raison..."  

Quatre ans après avoir débarqué au pays du Soleil Levant, qui accueille la Coupe du monde de rugby du 20 septembre au 2 novembre, le Français de 30 ans tente de se plier aux spécificités du rugby nippon. Et à l'écouter, c'est parfois plus compliqué que de trouver une bonne touche. L'ancien joueur d'Albi (Pro D2) et de Cognac (Fédérale 1) a par exemple appris à garder pour lui toute prise d'initiative sur le terrain. "C'est une énorme différence avec la France, dit-il. Chez nous, ça peut être bien vu de tenter des choses, de sortir du plan de jeu. Ici, malheur à celui qui osera dépasser le cadre !"

Le rugby japonais a un côté plus scolaire, plus robotique. Il y a un plan et tu t'y tiens. Point final.

Nicolas Kraska, joueur professionnel 

à franceinfo

Dans son fonctionnement, le championnat japonais n'a également pas grand-chose à voir avec notre Top 14. La Top League, c'est son nom, réunit depuis 2003 seize équipes... qui sont toutes rattachées à des grosses entreprises. Ainsi, le week-end, on tape la balle entre joueurs des Canon Eagles, des Panasonic Wild Knights, des Yamaha Jubilo, des Toyota Verblitz, des Honda Heat ou des Kobelco Steelers (où joue la star néo-zélandaise Dan Carter).

Quand il a atterri à Tokyo en avril 2015, Nicolas Kraska a par exemple commencé par traîner son petit mètre 67 du côté des Toshiba Brave Lupus. "Le stade est situé en plein milieu des usines du géant de l'électronique, décrit-il. Et le matin, tu passes par la même entrée que les employés. Tu montres ton badge comme n'importe quel salarié et tu files te préparer pour l'entraînement pendant qu'eux s'installent à leurs postes de travail." En rejoignant les Shimizu Blue Sharks à l'intersaison, Nicolas Kraska n'a donc pas beaucoup été dépaysé. Si ce n'est que le club appartient cette fois à une entreprise... de BTP. 

Le trois-quarts centre Nicolas Kraska sous les couleurs du club japonais des Toshiba Brave Lupus. (COLLECTION PRIVEE)

Traverser le globe pour essuyer ses crampons de 18 sur des chevilles japonaises ne se fait pas sans quelques semaines d'adaptation. "Il faut s'habituer à leur style de jeu, concède l'ancien pensionnaire de Courbevoie (Hauts-de-Seine). Je dirais que c'est plus rapide que le Top 14, plus endurant aussi. En revanche, en termes d'impacts, c'est du niveau Pro D2. Au mieux, les meilleures rencontres peuvent être du niveau des promus de l'élite en France." Sébastien Marignol, fondateur du site Japonrugby.net et intarissable connaisseur du rugby nippon, confirme pour la vitesse. "Cela ressemble beaucoup à ce qui se fait en Super Rugby, cette compétition internationale de rugby qui oppose quinze franchises argentines, australiennes, sud-africaines, japonaises et néo-zélandaises depuis 2016. C'est vif, ça va vite."

109 000 licenciés en 2018

Pour autant, à moins de traîner du côté d'un pub irlandais à Tokyo, vous avez peu de chance de croiser un Japonais avec un maillot de rugby sur le dos dans la rue. "Les plus gros fans peuvent se retrouver pour regarder les grosses affiches, raconte Nicolas Kraska. Mais à part ça, je n'ai encore jamais entendu quelqu'un parler rugby à table." Et ne lui parlez pas des troisièmes mi-temps : ça n'existe tout simplement pas au Japon. "Au mieux, tu bois une bière lors de la réception d'après-match, rapporte en connaissance de cause le Français. Mais ensuite tout le monde rentre à la maison."

On est trèèèèèès loin des virées que j'ai pu connaître quand je jouais dans le Sud-Ouest.

Nicolas Kraska

à franceinfo

Le rugby est pourtant arrivé au Japon bien avant qu'il ait atteint la France. Le club de Yokohama vient, par exemple, de fêter ses 153 ans, c'est plus que le doyen des clubs tricolores (Le Havre, si, si, créé en 1872). Mais si l'on regarde les chiffres du World Rugby, l'organisme international qui gère le rugby à XV et le rugby à VII, le Japon comptait 109 000 licenciés en 2018. C'est un petit chouïa moins que la Nouvelle-Zélande (156 000) et à peine trois fois moins que la France (258 000).

Le siège du club de rugby japonais des Shimizu Blue Sharks, près de Tokyo. (COLLECTION PRIVEE)

Si l'ovalie à la nippone traîne encore le cuir, c'est d'abord à cause d'un manque de médiatisation. "Les matchs sont retransmis sur le câble et les chaînes à péage, reprend Sébastien Marignol. Il faut vraiment une affiche incroyable pour voir du rugby à la télévision publique." Résultat : les jeunes toquent encore davantage à la porte des clubs de football et de base-ball, les deux sports collectifs les plus populaires au Japon.

Le souvenir de Fukushima

Mais la Coupe du monde, qui se tient pour la première fois en Asie, devrait permettre de sortir un peu de la mêlée. Même si la vraie révolution est prévue pour 2021, avec la mise en place d'un championnat entièrement professionnel, ce qui n'est pas le cas actuellement. Certains joueurs, amateurs ou semi-pros, travaillent la journée dans l'entreprise qui les sponsorise avant de filer s'entraîner le soir au rugby. Un mélange des genres qui se voit dans les tribunes le week-end. "Sur les 5 000 spectateurs qui viennent au stade en moyenne, 90% sont des salariés des entreprises, sourit Sébastien Marignol du site Japonrugby.net. Vu de France, c'est difficilement imaginable mais c'est pourtant ce qu'il se passe !"

Si tout se passe comme prévu, le Japon est clairement une nation d'avenir du rugby.

Sébastien Marignol, fondateur du site Japonrugby.net

à franceinfo

Surtout que les Brave Blossoms (les fleurs vaillantes, en français), le surnom de l'équipe nationale, commencent à collectionner quelques bonnes performances. La pilule 145 à 17 contre les All Blacks de 1995 (plus gros écart de l'histoire de la compétition) est désormais un vieux souvenir. Depuis, il y a notamment eu "le miracle de Brighton", lors du dernier mondial en Angleterre, en 2015, et cette victoire incroyable contre l'Afrique du Sud (34-32). C'est à ce jour le plus grand moment de l'histoire du rugby nippon.

On dit aussi que les sportifs japonais ne sont plus vraiment les mêmes depuis le tsunami et l'accident nucléaire de Fukushima, en mars 2011. "Ils ont un truc en plus en eux au niveau du mental, explique Imanol Harinordoquy, qui a joué contre le Japon cinq mois après la catastrophe, en match de poules de la Coupe du monde en Nouvelle-Zélande. Je ne sais pas s'il y a un lien mais ça m'a marqué." L'ancien numéro 8 du XV de France n'a surtout pas oublié que les Bleus ont également mangé la poussière contre les Nippons, concédant le nul (23-23) lors d'un test match disputé à l'Arena de Nanterre (Hauts-de-Seine) en novembre 2017. "Ils étaient précis dans les passes, dans les sorties de balles. Je me souviens d'un jeu léché, limpide..." se remémore l'ex-international aux 82 sélections.

Si le Japon avait gagné ce jour-là, il n'y aurait rien eu à dire tellement ça allait plus vite. Ils m'avaient impressionné.

Imanol Harinordoquy, ancien international français

à franceinfo

En japonais, on parle de gaman. C'est-à-dire la patience et la persévérance qui voit les efforts et le sacrifice prévaloir sur le résultat. L'ancien Biarrot "voit bien" les Japonais aller en quarts de finale de leur mondial. "OK, mais à condition de ne pas céder à la pression du public", tâtonne Sébastien Marignol. Nicolas Kraska, lui, sait déjà que son téléphone va sonner si les Brave Blossoms brillent. Il pourrait bientôt ne plus être le seul Français à avoir l'idée de continuer sa carrière à l'ombre du mont Fuji. 

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