Parkour, street golf, escalade... Changer le rapport à l'environnement urbain, le challenge du sport de demain
Fin janvier dernier à Marseille. Téléphone en main, deux jeunes hommes se filment en train de grimper sur les murs de la cité phocéenne pour une mission commando un peu spéciale. Connue sous le nom de "lights off", elle consiste à éteindre les enseignes des magasins pour lutter contre la pollution lumineuse et la surconsommation d’énergie. Saluée par des mouvements citoyens écologistes comme Youth For Climate, la vidéo se répand sur le web et trouve un écho médiatique national.
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L’initiative de ces deux "traceurs" - du nom des adeptes du parkour - n’est qu’un exemple illustrant l’autre rapport possible entre activité physique et environnement urbain. En s’affranchissant du sport traditionnel pour gagner la rue, la discipline s’est construit sa réputation et parvient depuis quelques années à trouver sa place. Une réalité d’autant plus vraie dans un contexte sanitaire où la plupart des sports nécessitant des infrastructures (stades, gymnases, piscines…) sont à l’arrêt.
"Certains nous regardent encore de travers, nous jugent un peu sévèrement. On nous reproche souvent de salir les murs, de casser etc. alors que c'est complètement faux. La rue, c'est là où on s'entraîne donc on n’a aucun intérêt à détruire ou polluer notre environnement. Ce message écolo, c’est complètement le nôtre." Raphaël Turquet et son frère Esteban ont décidé de monter leur propre association de parkour au Mans en décembre 2019. Malgré les confinements et les règles sanitaires, ils ont pu continuer à pratiquer en petits groupes avec leurs adhérents. Selon eux, la reconnaissance du parkour a changé.
Preuve en est, ils ont même commencé à travailler avec les services jeunesse de la commune d’Allonnes, au sud du Mans, en mettant en place des initiations ou des formations à destination des profs d’EPS dans les écoles. “Au lieu de juste marcher sur le trottoir et prendre les escaliers, on va passer par un mur, grimper sur un banc, au-dessus d’une table… On redécouvre la ville en réinventant l’espace public.”
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Se réapproprier l’espace public par le sport
Cette question du rapport à l’espace public a fait des émules du côté des fédérations omnisports. La Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) a notamment travaillé pendant le premier confinement avec des municipalités afin de rendre "grimpables" des murs d’escalade "hors les murs". Il y a trois ans, son comité de Seine-Saint-Denis a créé la première course en eau libre accessible à tous dans le Département. L’objectif ? Développer la vie associative autour de l'espace urbain avec de nouvelles activités.
"D'un point de vue politique, il y a un enjeu de réappropriation de notre environnement et l'émancipation par le sport passe aussi par cela", explique Emmanuelle Bonnet Ouladj, co-présidente de la FSGT. "C’est un enjeu de développement et de survie. Si nous sommes contraints par une crise sanitaire - et peut-être qu’il y en aura d’autres -, par des équipements sportifs trop onéreux ou peu nombreux, le seul moyen c’est d’être à l’extérieur. Il faut trouver de nouveaux terrains de jeu en plein air."
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Des sports "undergound" plus uniquement marginaux
Comme le parkour, plusieurs sports urbains à la culture "underground" se sont progressivement développés. Aujourd’hui, les skateparks ont gagné leur place dans l’aménagement des villes. Mis en avant il y a plus de 10 ans pour son côté subversif, le street golf se fait plus discret mais existe toujours lui aussi.
"Au départ c’était une génération qui voulait faire du golf sans être sur les greens avec un dress code. Il y avait ce côté 'Venez comme vous êtes', comme au MacDo." David Nguyen a découvert un peu par hasard le "golf dans la rue" en 2009 à Paris, grâce à l’association "19e trou", pionnière de la discipline en France. “Le week-end on allait jouer à La Défense, c’est l’un des meilleurs spots car tu as de grandes étendues, des niveaux différents”, raconte-t-il avec passion.
Quatre ans plus tard, il crée sa propre structure, Nynjas Golf, pour promouvoir son sport un peu partout sur le territoire, notamment grâce au "free golf". L’idée est simple : pouvoir jouer librement et gratuitement partout, que l’on soit dans la neige en montagne, dans le sable au bord de l’eau ou en pleine rue. “Il n’y a pas besoin d’être dans une association, on a un groupe Facebook où l’on échange. Ensuite tu as besoin de quelques clubs, de balles, tu visualises un parcours avec un début et une arrivée. Du moment que la sécurité est assurée tu peux jouer.”
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Si le golf traditionnel a encore tendance à dénigrer cette pratique libre, les mentalités évoluent d’après David. “On doit rencontrer le nouveau président de la Fédération, Pascal Grizot, il a semblé intéressé par notre démarche. J’ai toujours considéré que nous étions une passerelle vers le golf, pas un ennemi.”
Pour d’autres sports urbains en revanche, ce rapprochement du mouvement sportif et fédéral n’est pas forcément vu d’un bon œil. Les tensions dans le monde du skateboard sur son introduction aux Jeux olympiques ne faiblissent pas. Pire, certains pratiquants y voient une attaque frontale contre leur ambition libertaire. L’an dernier, la Fédération de gymnastique a ouvert une section parkour en espérant faire venir de nouveaux licenciés, quand bien même d’autres structures comme la Fédération de parkour (FPK) existaient déjà.
L’emprise du système fédéral
Cette vision fédérale organisée autour des clubs est le point d’ancrage du sport en France. Celle autour de laquelle s'articule toute la pratique sportive, laissant de côté la partie moins visible qui constitue pourtant la première aire de jeu : l'espace public. Roselyne Bienvenu, conseillère régionale des Pays de la Loire, déléguée au sport et coprésidente de la commission sport de France urbaine, a vu des demandes citoyennes émerger "en dehors du radar" ces dernières années. Pouvoir faire plus de sport, de façon sécurisée, sans forcément être rattaché à une structure… "On doit prendre cela en compte mais la réalité est qu’on ne sait pas vraiment comment faire. Il y a encore cette idée que soit l’on fait du sport à travers le club, soit ça n’existe pas ou peu."
L’ex vice-présidente de la Fédération de basket croit aux valeurs éducatives et sociales de la pratique institutionnelle. Cela ne l’empêche pas de porter un regard critique sur celle-ci : "les fédérations n'ont pas toujours fait preuve d'audace et d'imagination pour accompagner l'évolution sociétale." La nouvelle gouvernance du sport qui se dessine avec non seulement l’État et le mouvement sportif mais aussi les collectivités territoriales - principal financeur public du sport en France - doit permettre de faire porter davantage la voix de l’autonomie.
“Il y a un décalage entre les pratiques et l'imaginaire, le sport est partout sauf dans la ville”
Concilier relance du sport amateur et rapport entre l’homme en mouvement et son environnement : voilà la difficile équation dans les mains des pouvoirs publics et des fédérations. Une équation qu’on tend trop à distinguer en deux temporalités pour François Bellanger. Le dirigeant de Transit City, structure spécialisée dans la prospective et l’innovation, estime que "la Covid-19 est venue nous faire comprendre que le sport est partout sauf dans les stades et les gymnases". "Nos maisons, nos appartements sont devenus des stades", ajoute celui qui travaille notamment avec l’Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep).
Selon lui, l’offre sportive est insuffisante et ne tient pas compte des évolutions de nos comportements, "alors qu’elle pourrait refonder une politique urbaine extraordinaire". "Il y a un décalage entre les pratiques et l'imaginaire, le sport est partout sauf dans la ville", explique-t-il avant de pointer la problématique du manque de représentation. "95% du contenu du seul quotidien sportif en France c'est du sport institutionnel et tout ce que l'on raconte là n'est pas incarné. Il y a des initiatives ponctuelles mais pas d'impulsion politique."
"Le sport, il faut le révéler", complète Roselyne Bienvenu. "Il n'est pas question qu'on le conteste surtout en cette période où la sédentarité explose. Tout le monde est à peu près d'accord pour comprendre ce qu'il apporte. Mais il faut le rendre visible, même s'il est présent partout." Elle invite désormais le président de la République à le remettre sur le dessus de la pile et à communiquer, enfin, sur son importance.
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