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Lucas Pouille, dans les secrets d'une progression

Pour la première fois tête de série dans un tournoi du Grand Chelem, Lucas Pouille a été éliminé hier au 2e tour par le lucky-loser Martin. "Beaucoup de tension, beaucoup de nervosité, cela donne un match plus que moyen", analysait-il après sa rencontre. Pourtant, depuis le début de la saison, il avait énormement progressé dans ce secteur, mais pas seulement. Emmanuel Planque, son entraîneur, détaille les moments forts de l'évolution de son joueur.
Article rédigé par franceinfo
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"Il sort de nulle part". Cette phrase est souvent entendue au bord des terrains. Ce commentaire est sans doute le plus faux du monde sportif. Personne ne se lève un matin et parvient à dominer un adversaire qui s'entraîne continuellement depuis plusieurs années. Non, personne n'arrive à haut niveau par hasard. "C'est du travail, du travail", scande Emmanuel Planque, l'entraîneur de Lucas Pouille. A 45 ans, il fait partie des entraîneurs qui comptent. Après avoir entraîné Michael Llodra, Fabrice Santoro, Guillaume Ruffin, ou notamment Mathias Bourgue, il s'occupe de Lucas Pouille, le seul Français avec Gaël Monfils et Jo-Wilfried Tsonga à avoir joué une demi-finale en Masters 1000 cette saison. Et c'est un long chemin qui l'a mené jusqu'au dernier carré de Rome. "Le fait d’être au quotidien discipliné, respectueux de son tennis, de sa santé et de son corps, c’est essentiel. C’est un processus multi-factoriel. Il y a beaucoup de choses. Déterminer quelle est la pièce essentielle, c’est très difficile. Aujourd’hui, la performance est le fruit de beaucoup de choses", résume son entraîneur, qui nous détaille néanmoins quelques points clés.

Bercy 2014

Lucas Pouille explose aux yeux du grand public lors du Masters 1000 de Bercy en 2014. 176e mondial à 20 ans, il sort des qualifications en battant deux joueurs beaucoup mieux classés (Johnson, 41e, Nieminen 69e), avant de faire tomber Karlovic (27e), Fognini (20e), pour finalement tomber en 8e de finale contre Roger Federer. "La grande difficulté, c’était de réussir à être constant, d’avoir un niveau de performance quasiment équivalent chaque semaine", souligne Emmanuel Planque. "Il n’arrivait pas du tout à le faire pour différentes raisons. On a beaucoup travaillé là-dessus." Des blessures en cours de saison ralentissent son ascension. Cela accélère sa prise de conscience. "Il a réfléchi sur sa carrière, sur sa façon de fonctionner, son projet, son attitude, son impatience..." Il finit par entrer dans le Top 100, un premier cap.

2015, les prises de décision

Désormais conscient des efforts à réaliser pour atteindre le très haut niveau, Lucas Pouille décide de débuter sa préparation à Dubaï. Il s'associe également à Yannick Noah, ce qui crée le buzz à Roland-Garros l'an dernier. "C’est logique pour un jeune joueur français qu’il y ait une transmission, une filiation", nous expliquait alors l'entraîneur. "Pourquoi couperait-on cette espèce de lien, de fil conducteur ? C’est une ressource incroyable. Ce serait idiot de ne pas chercher ses compétences. Il n’y a pas d’ego. C’est une compétence d’un type qui en connaît beaucoup sur la culture de la gagne, sur la dimension mentale, émotionnelle." Cette collaboration basée sur de simples discussions, malgré le retour de l'ancien N.1 français sur la chaise du capitaine en Coupe Davis, se poursuit encore aujourd'hui.

2016, la préparation

Comme en 2015, Lucas Pouille se prépare au soleil. "J'ai eu l'occasion de m'entraîner avec Roger, avec Andy, et il y avait aussi Dolgopolov là-bas, pendant un mois", se réjouissait-il. "J'ai pu m'entraîner, faire beaucoup de qualité et de quantité. Il faisait hyper beau, c’était agréable de se lever le matin à l'entraînement pas comme quand il fait 7 ou 5 degrés où sortir du lit n'est pas facile. C’est agréable de travailler au soleil, dans la chaleur." Pour Emmanuel Planque, "c’est une prise de conscience que c’est un bon joueur. Il n’est pas à des années lumières en terme de niveau de jeu de ces joueurs, même si en terme de palmarès il l’est. On veut faire en sorte que ça se restreigne un peu. Cette opposition l’a sans doute fait grandir. Le fait de l’éloigner du contexte franco-français, ça l’a aidé à grandir, ça nous a fait grandir."

Le physique

"J'ai physiquement plus confiance en moi ; maintenant, je sais que je peux tenir de longs matches", résume-t-il. "Cette année, j'ai fait pas mal de matches en trois set où cela a duré et physiquement je suis sorti vainqueur de ces matches. Cela me donne confiance mentalement. Quand on aborde un match et qu'on sait que physiquement on ne va pas tomber, on est beaucoup plus confiant." Pour parvenir à cette confiance, il s'est adjoint un préparateur physique: "Le fait d’avoir pris un préparateur physique à plein temps, ça lui a fait le plus grand bien. Pascal Valentini est une pièce maîtresse de notre dispositif", assure Planque.

Le ​mental

Ses progrès physiques ont amené à Lucas Pouille une confiance mentale. "Il y a beaucoup de travail. Pour pouvoir profiter de ce travail et de ses progrès, le catalyseur, c’est la dimension mentale, l’état d’esprit", souligne Emmanuel Planque. "Il tapait très bien la balle en début d’année. "En terme de niveau, c’était plutôt bien, mais dans les moments clés, il était très nerveux, l’attitude n’était pas tout le temps très bonne. Sur le sport de haut niveau, cela se joue à très peu de choses. Aujourd’hui, ça bascule de son côté, et on sait pourquoi."

La décontrac​tion par le double

Après son quart de finale à Brisbane, et malgré une défaite au 1er tour à l'Open d''Australie, Lucas Pouille vit une quinzaine structurante à Melbourne. Car il y joue le double avec Adrian Mannarino, où les deux hommes atteignent les demi-finales. "La demie en double, c’est incontestablement une clé. Battre les N.1 mondiaux, gagner des matches accrochés, jouer dans un état d’esprit très différent en étant plus relax, en voyant qu’il est meilleur quand il est plus relax. Ca compte. C’est un truc important", acquiesce son entraîneur. Mais ce dernier sait que l'édifice est fragile, comme l'a prouvé son élimination au 2e tour de Roland-Garros face à Martin, le lucky-loser: "J'étais très nerveux sur mon premier tour mais personne ne l'a vu", disait le 31e mondial après son match. "Alors qu'aujourd'hui, oui. Cela fait une grande différence chez moi. Quand je ne montre aucune émotion et que j'arrive à tout canaliser en moi, je suis bien meilleur et bien plus performant, surtout dans les moments importants. Aujourd'hui, je n'ai pas réussi à le faire."

Les victoires fondatrices

Depuis le début de la saison, Lucas Pouille a accumulé des succès arrachés de justesse. Et face à des joueurs de premier plan comme Goffin à deux reprises (16e mondial), Ferrer à deux reprises (8e), Gasquet (10e). "Il a battu Goffin deux fois cette année et a sauvé trois balles de match de suite à Madrid. Il a sauvé des balles de set contre Richard Gasquet à Monte Carlo. On sait que c’est très fragile, que les résultats peuvent basculer d’un côté et de l’autre. Mais l’important, c’est la trame et qu’il la respecte. La victoire à Miami contre Ferrer est fondatrice car il sauve deux balles de match, qu’il va loin dans l’effort physique et mental. La victoire contre Richard lance la saison sur terre, incontestablement. Elle lui permet de l’aborder dans le même état d’esprit qu’il a fini la saison de dur. Derrière ça s’enchaîne avec une finale à Bucarest où il bat des bons joueurs. A Madrid, il enchaîne avec un très bon match contre Gulbis pour se qualifier. Et un match qui reste le plus violent que j’ai vu ces dernières années contre Goffin, où il sauve des balles de match et ça se termine au tie break du 3e avec une intensité incroyable. Ca lui a permis d’arriver avec de la confiance. C’est la somme d’efforts qu’il faut regarder, pas le classement, le fait qu’il soit tête de série, qui ne sont que des détails."

L'avenir

Juste après son élimination, Lucas Pouille assurait: "La confiance est toujours là. C’est juste la tension que je n'ai pas réussi à gérer aujourd'hui. On me connaît, je me connais. Quand on parle avec Manu et Pascal, il faut que je sois plus égoïste, que je ne pense qu’à moi et pas aux autres." Après avoir vécu sa première aventure comme tête de série dans un Grand Chelem, ce qui a forcément généré de la tension chez lui même si Emmanuel Planque estime que "c'est anecdotique.La tête de série, c’est la conséquence de son classement, et surtout de beaucoup d’efforts. Le classement, c’est une récompense. La tête de série, c’est un micro-événement." Pour le technicien, une seule chose compte: "Le seul objectif, c’est le progrès. L’idée est de repousser ses limites, et en trouver d’autres pour les repousser encore." Le programme est simple.

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