L'Espagne au pied de sa montagne
Les héros sont fatigués
Depuis 2008, l’Espagne s’appuie sur les mêmes joueurs ou presque. Douze des 23 joueurs présents lors de l’Euro organisé conjointement en Suisse et en Autriche ont été appelés par Vicente Del Bosque pour cette 20e Coupe du monde : Iker Casillas et Xavi, les deux piliers évidemment, mais aussi Andres Iniesta, Cesc Fabregas, Sergio Ramos, Xabi Alonso, David Silva, David Villa, Fernando Torres, Raul Albiol, Pepe Reina et Santi Cazorla. Un socle inamovible qui a construit les succès espagnols. Mais cette continuité à un défaut. L’usure psychologique forcément. A force de (tout) gagner, la motivation – inconsciemment – diminue. L’envie de vaincre s’effiloche. On l’a vu notamment l’an dernier en Coupe des Confédérations où les Espagnols avaient sombré en finale face à des Brésiliens survoltés (3-0). Les joueurs comme le sélectionneur réfutent toutefois cet argument. "Tous les joueurs qui sont là ont une histoire avec la sélection, et c'est vrai que cela fait déjà plusieurs années. Mais ce sont des joueurs qui ont eu un bon rendement et qui jouent toujours en club. Ce n'est pas une raison pour qualifier nos joueurs de vétérans. Je crois que c'est une sélection mûre, dans la plénitude de ses moyens, avec des joueurs très jeunes et seulement quatre ou cinq trentenaires", a argué Vicente Del Bosque.
Pour Casillas, le capitaine, l’Espagne aborde ce Mondial "avec envie et espoir". "C'est motivant, parce que notre objectif, sans faire offense à nos adversaires, est d'obtenir une deuxième étoile pour notre pays. Si nous gardons l'envie et l'humilité qui nous ont permis d'être sacrés champions, l'équipe se montrera forte", a ajouté le gardien du Real Madrid. Autre élément à prendre en compte, la fatigue physique cette fois. Si les Barcelonais ont pu s’économiser notamment en Ligue des Champions, les Madrilènes, Merengue et Colchoneros, eux ont œuvré jusqu’au bout. Et même si Xabi Alonso a été écarté des terrains par une blessure, que Ramos est un roc et que Casillas n’a joué que les Coupes, cela pourrait peser lourd. Et on ne parle pas de Koke, Juanfran ou Diego Costa, les joueurs de l’Atletic, sacrés champions d’Espagne, au terme d’une lutte intense.
Un renouvellement intelligent
Conserver l’ossature gagnante n’est pas forcément la meilleure chose à faire. En ne renouvelant pas son groupe, les Bleus de 1998 et 2000 ont perdu quatre ans (échecs en 2002 et 2004). L’Espagne, elle, s’est prémunie de ça. Par petites touches ça et là et en prenant les meilleurs éléments du moment, Vicente Del Bosque a instauré de la nouveauté dans cette Roja. Aux caresseurs de ballon et rois de la passe, il a ajouté des éléments au jeu plus vertical, plus direct (Mata, Pedro en 2010). Plus physiques aussi (Piqué et Javi Martinez en 2010, Diego Costa en 2014).
Encore cette année, quatre nouveaux visages sont apparus : le bulldozer de l’Atletico Madrid donc, mais aussi son jeune et talentueux coéquipier du milieu, Koke, le latéral droit de Chelsea César Azpilicueta et le gardien de Manchester United, David De Gea. Le onze de départ s’il n’a pas été totalement remanié depuis 2008 – Casillas, Ramos, Xavi, Iniesta, Silva, Fabregas, Torres ont disputé la finale de l’Euro face à l’Allemagne et pourraient être titulaires face aux Pays-Bas – a donc évolué. Jordi Alba s’est imposé en 2012, le double-pivot, Alonso-Busquets, la base du schéma de Vicente Del Bosque, est lui en place depuis le dernier Mondial. La nouveauté de 2014 ? César Azpilicueta qui déboule dans le couloir droit dans la lignée de sa bonne saison à Chelsea et peut-être Diego Costa.
Diego Costa est-il soluble dans le tiki-taka ?
C’est la grande nouveauté de cette Roja. Diego Costa, 25 ans, Brésilien d’origine qui a choisi de jouer pour l’Espagne pour la Coupe du monde au Brésil. Un choix audacieux et risqué pour l’attaquant qui a tout emporté sur son passage en Liga (32 matches, 27 buts). Une solution de plus pour Vicente Del Bosque et bienvenue alors que David Villa et Fernando Torres, les deux attaquants sur lesquels s’est appuyée la Roja pour gagner, n’ont plus un statut de titulaire intouchable. Mais une solution risquée aussi pour le sélectionneur à la moustache car Costa est plutôt adepte d’un jeu direct et physique, un joueur rugueux qui épuise les défenses quand le jeu espagnol est basé sur la passe, l’évitement et la largeur plus que la verticalité. A première vue, deux conceptions du football opposées.
Pourtant Del Bosque ne ferme pas la porte puisqu’il a tout de suite défendu le joueur en disant qu’il "sera un complément utile", mais pas question de tout changer pour le physique de déménageur de Costa (1m86, 80 kg). C’est lui qui devra s’adapter au jeu espagnol, pas l’inverse. On ne touche pas au tiki-taka. Pour preuve, il se pourrait bien que contre les Pays-Bas, comme chaque gros match de la Roja, Cesc Fabregas évolue en pointe, en "« faux-neuf".
Toujours plus de possession
L’Espagne a eu plusieurs visages. Deux pour être précis. Flamboyant en 2008 à l’Euro en Suisse et en Autriche et plus calculateur ensuite. Des buts, des actions à une touche de balle, du mouvement, la Roja de Luis Aragones a dépoussiéré le football. Une symphonie qui a imposé un nouveau modèle de jeu, pérennisé ensuite par le Barca de Guardiola. Puis la Coupe du monde est arrivée et la défaite face à la Suisse (1-0) lors du match inaugural a contraint Vicente Del Bosque à revoir ses plans. Fini le panache, place au calcul. Une évolution qui répond à un constat simple : si votre équipe a le ballon, l’autre ne l’a pas et ne peut donc pas attaquer. L’Espagne va donc développer un football-handball efficace mais plus du tout spectaculaire. Le double-pivot Xabi Alonso-Busquets contrôle le tempo et coupe les offensives adverses, puis Xavi, Iniesta, Silva, Fabregas et consorts confisquent le ballon en attendant la brèche. Une seule suffit. En 2010, l’Espagne gagnera tous ses matches à élimination directe 1-0 (Paraguay, Portugal, Allemagne, Pays-Bas). En 2012, elle n’encaissera qu’un seul but durant toute la compétition. En 19 matches disputés depuis 2008 (Euro et Mondial), la Roja n’a encaissé que 6 buts. Un vrai coffre-fort qui a son lot de détracteurs mais qui gagne.
Toutefois, cette recette magique montre des signes d’essoufflement. Le FC Barcelone a perdu beaucoup de sa superbe cette saison en proposant un jeu caricatural et les équipes adverses savent désormais contrer cette ode à la possession. Le Real Madrid ou l’Atletico Madrid sont autant d’exemples qui viennent le rappeler. En sélection, le Brésil lors de la dernière Coupe des Confédérations avait trouvé la clé. Un pressing de tous les instants et des contres hyper-rapides. Ce match a d’ailleurs agit comme une salvatrice pique de rappel. Mais un autre match peut aussi être cité en exemple pour prouver que l’Espagne est toujours capable du meilleur : la finale de l’Euro 2012 où une Roja, inspirée comme rarement, avait balayée l’Italie (4-0).
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