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Moyens, public, médiatisation... A quoi ressemble la compétition pour les athlètes des Jeux paralympiques ?

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La skieuse Marie Bochet participe à la première épreuve du slalom, le 16 mars 2014, lors des Jeux paralympiques de Sotchi en Russie. (GRIGORIY SISOEV / RIA NOVOSTI / AFP)

Douze athlètes tricolores, plus trois guides, sont en lice, en ski alpin, snowboard et ski nordique, pour les Jeux paralympiques d'hiver qui se tiennent en Corée du Sud du vendredi 9 au dimanche 18 mars. 

Privés parfois d'un bras ou d'une jambe, ils sont capables de dévaler des pentes à plus de 100 km/h et de passer tout schuss entre les portes d'un slalom. Aussi fous que leurs exploits puissent paraître, ils sont pourtant peu connus du grand public. Les athlètes paralympiques français entrent en piste, vendredi 9 mars, à Pyeongchang, en Corée du Sud. Jusqu'au 18, ils tenteront de faire mieux qu'à Sotchi, en 2014, d'où ils avaient rapporté cinq médailles d'or, se classant au 5e rang sur 45 pays. 

La skieuse savoyarde Marie Bochet, 24 ans, championne paralympique, emmène la délégation française de quinze sportifs – douze athlètes et trois guides – qui s'aligneront en ski alpin, snowboard, ski nordique et biathlon. Pas de Bleus en revanche en hockey ou curling, les deux autres sports représentés dans cette compétition. 

Au total, 670 sportifs de 45 pays vont s'affronter à Pyeongchang. Pour mémoire, ils étaient quatre fois plus nombreux – 2 925 précisément, venus de 93 pays – pour les Jeux olympiques il y a deux semaines. Quel œil ces athlètes paralympiques de haut niveau jettent-ils sur les conditions dans lesquelles ils s'entraînent et concourent, en comparaison avec celles des sportifs participant aux JO d'hiver ? Nous les avons interrogés.  

"On est sur les mêmes infrastructures que les valides"

Participer aux Jeux paralympiques, c'est passer après les athlètes valides qui se sont affrontés lors des JO. Et il ne faut pas y voir que de mauvais côtés. Bien au contraire, explique Cécile Hernandez-Cervellon, 43 ans, médaille d'argent en parasnowboard à Sotchi. Depuis la Corée où elle est arrivée dans la semaine, l'athlète explique les avantages d'entrer en compétition quinze jours après la fin des JO. "A Pyeongchang aujourd'hui, le village est top, le tracé est top, s'enthousiasme-t-elle. En arrivant plus tard, on bénéficie des petits réglages qui se sont faits pendant les JO." 

Les athlètes handisport bénéficient en effet des mêmes infrastructures que les valides, avec des épreuves de plus en plus similaires. "A Sotchi, on était sur la même piste de vitesse que les descendeurs des Jeux olympiques", s'émerveille Cédric Amafroi-Broisat, skieur alpin amputé du tibia qui a participé à cinq sessions de Jeux paralympiques (Nagano en 1998, Salt Lake City en 2002, Turin en 2006, Vancouver en 2010 et Sotchi en 2014). Et d'enfoncer le clou :

C'était vraiment cool d'avoir la même piste, un peu raccourcie, que les valides. Parce que la descente, en ski, c'est quand même l'épreuve reine.

Cédric Amafroi-Broisat, skieur handisport

à franceinfo

Résultat, "des courses qui ont de la gueule", martèle cet ancien champion qui a désormais pris sa retraite de la compétition. "A Sotchi, en descente handisport, on allait jusqu'à 120 km/h pour les meilleurs."

"Nos moyens sont en nette progression"

Des exploits d'autant plus époustouflants que les sportifs paralympiques ne disposent pas, pour s'entraîner, des mêmes ressources que leurs homologues valides. Cédric Amafroi-Broisat est bien placé pour le savoir : avant l'accident qui l'a privé de son tibia à l'âge de 16 ans, il faisait déjà "de la compétition, de 7 à 15 ans".

"Le ski coûte très cher comme sport, souligne-t-il, et les skieurs paralympiques manquent de moyens financiers." Il explique par exemple que les équipes nationales doivent partir à l'étranger pendant l'été pour s'entraîner. Direction l'hémisphère sud, pour trouver de la neige. 

Pour ces entraînements, il faut emmener son équipement, qui comprend non seulement le matériel de ski, mais aussi, dans mon cas, les prothèses. Au début, quand on partait en déplacement à l'étranger, la Fédération ne payait que le billet, l'athlète ou ses sponsors devaient se débrouiller pour le reste.

Cédric Amafroi-Broisat, skieur

à franceinfo

Lui affirme que les choses se sont nettement améliorées ces dernières années. Il évoque notamment le dispositif athlètes de la SNCF, qui permet d'aménager son temps de travail de manière à pouvoir continuer à exercer son sport de haut niveau, puis de se reconvertir au sein de la compagnie publique ferroviaire, et dont il a bénéficé. "Si je n'avais pas été intégré, je n'aurais pas pu concourir" aux différents Jeux paralympiques, estime-t-il. 

Pour la porte-drapeau Marie Bochet, la situation s'améliore également : "Les moyens qui viennent de la Fédération handisports ne sont pas à la hauteur de ceux engagés pour les valides, mais ils sont en nette progression".

Une saison de ski coûte 25 000 euros par athlète. Nous – ou nos sponsors – ne mettons que 2 500 euros de notre poche. Le reste vient de la fédération.

Marie Bochet, skieuse et porte-drapeau des Bleus

à franceinfo

Si les jeunes ou les amateurs sont encore à la peine, les athlètes handisport de haut niveau, eux, dénichent plus aisément des mécènes. Surtout s'ils trustent les premières places du podium. "C'est de plus en plus facile, reconnaît Marie Bochet, car nous sommes de plus en plus médiatisés. Avec mes quatre médailles d'or à Sotchi, je suis favorisée". 

Même satisfaction chez la snowboardeuse Cécile Hernandez-Cervellon : "Des athlètes valides m'ont même dit que j'avais plus de moyens qu'eux ! Je n'ai pas de souci, d'autant plus que je suis la seule femme en snowboard. On est étonné quand on voit tout ce que je peux drainer. J'ai une singularité, mais au-delà, je suis une athlète à part entière."  

"Ça fascine le public de voir un malvoyant aller aussi vite"

Et le public suit : "Les Jeux paralympiques suscitent de plus en plus d'effervescence", assure Cécile Hernandez-Cervellon. La surfeuse dit en avoir déjà fait l'expérience en 2014 à Sotchi, où "les gradins étaient pleins avec plusieurs types de publics : des sportifs, bien sûr, les familles, et enfin des spectateurs un peu curieux, qui vont découvrir et adhérer au handisport".

Qu'est-ce qui aimante ces nouveaux venus ? "Des athlètes avec des super-pouvoirs !", s'exclame avec un rire sonore la native de Perpignan. Des sportifs capables, donc, d'incroyables performances malgré leur handicap, et qui ont souvent accompli un étonnant rebondissement à la suite d'un accident ou d'une maladie. "J'ai connu plein de vies, dont celle de snowboardeuse valide", se remémore Cécile Hernandez-Cervellon. Jusqu'au jour où ... 

A 28 ans, en 2002, ma vie a basculé :  je me suis réveillée paralysée des jambes, sous l'effet de la sclérose en plaques dont je suis atteinte.

Cécile Hernandez-Cervellon, snowboardeuse

à franceinfo

Pendant dix ans, cette grande sportive a dû arrêter le sport, avant de pouvoir reprendre petit à petit. "Puis fin 2013, à Valmorel, je suis remontée par hasard sur un snowboard et j'ai été repérée par un rideur de l'équipe de France de snowboard handisport", confie-t-elle à L'Equipe. Même rebond chez Cédric Amafroi-Broisat, dont la carrière de skieur sportif classique a été brisée à 16 ans par un accident : "Il faut parfois repartir de zéro. Du coup, la moyenne d'âge des sportifs handicapés à cause d'un accident est beaucoup plus élevée que celle des sportifs sans handicap. J'ai 40 ans, ça fait vingt-cinq ans que je suis amputé, mais mon niveau sportif progresse toujours avec la prothèse, même si j'avais déjà toutes les bases du ski alpin". 

Impressionnés par cette énergie, les spectateurs, donc, commencent à se prendre au jeu. Avec des bémols, note Cédric Amafroi-Broisat : "En ski, ça les fascine de voir un mal-voyant aller aussi vite, ou un skieur avec une prothèse, comme moi, descendre aussi rapidement une piste. Mais on n'est pas dans la même dynamique que les valides."

Les skieurs olympiques valides, qui vont à 150 km/h, font rêver les enfants. Moi, je ne vais pas faire rêver les enfants avec mon tibia en moins. Nous, les skieurs handisport, nous suscitons plutôt des 'Whaou ! C'est extraordinaire comment ils skient'.

Cédric Amafroi-Broisat, skieur

à franceinfo

"Il y a cinq ou six ans, vous ne m'auriez pas appelée"

Pour le plus grand bonheur des sponsors, les médias sont de plus en plus friands de ces trajectoires qui racontent, à force de volonté, une résurrection ou une seconde vie. "Pourquoi vous m'appelez ?", interroge, incisive, Cécile Hernandez-Cervellon.

Il y a cinq ou six ans, vous n'auriez appelé personne. Il y a un intérêt social et sociétal grandissant pour le handisport, chez tous les médias, qu'ils soient glamours, sportifs ou généralistes.

Cécile Hernandez-Cervellon, snowboardeuse

à franceinfo

"Ça attire un œil d'abord bienveillant, puis admiratif. Même de ma part, alors que je suis depuis quinze ans dans le milieu", poursuit-elle. Un engouement que les athlètes interrogés datent au début des années 2000. Et la championne de snowboard de rappeler l'athlète handisport sud-africain Oscar Pistorius. Avant d'occuper la une des journaux pour le meurtre de sa compagne (et sa condamnation à 13 ans de prison), le sprinteur, amputé des deux jambes, avait surtout brillé par ses performances, en devenant le premier athlète amputé à se qualifier pour les épreuves d'athlétisme des JO, à Londres en 2012. "Il a prouvé que les athlètes handisport pouvaient être plus forts que les autres et porter la lumière des possibles", estime Cécile Hernandez-Cervellon. 

Vétéran de la compétition handisport , Cédric Amafroi-Broisat retrace l'évolution de deux décennies : "Il y a vingt ans à Nagano, les Jeux paralympiques n'étaient pas médiatisés du tout : il y avait à peine une demi-heure de retransmission par jour. A Sotchi, au moins la moitié des Jeux paralympiques était déjà retransmise en direct. Ça a permis à nos familles, nos proches et les gens qui nous soutiennent toute l'année de nous voir. Pour Pyeongchang, tout sera retransmis. Je pourrai tout voir à la télévision. Une première en France pour des Jeux paralympiques d'hiver !"

En 2014, quelque 200 000 téléspectateurs, en moyenne, avaient suivi les retransmissions en direct et en matinée sur France 4, avec un pic d'audience à 600 000, le dimanche 9 mars, pour le Super-G en ski. En 2018, neuf nuits blanches sont programmées pour ceux qui voudront regarder l'intégralité des compétitions, sur France 2 dès 2 heures du matin, et sur France 3 à partir de 6 heures.

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