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"Les footballeuses françaises sont victimes d'un sexisme ambiant"

Audrey Keysers, auteur d'un livre sur le foot féminin, revient sur les raisons pour lesquelles les Bleues continuent de pâtir d'un manque de médiatisation.

Article rédigé par Pierrick de Morel - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Marie-Laure Delie inscrit le second but des Bleues face aux Etats-Unis, lors du premier match des JO à Hampden Park, à Glasgow (Royaume-Uni), le 25 juillet. (GRAHAM STUART / AFP)

Responsable des relations auprès du Défenseur des droits, Audrey Keysers a co-écrit avec Maguy Nestoret Ontanon un livre intitulé Football féminin, la femme est l'avenir du foot (Ed. Le Bord de l'eau). Elle revient pour FTVi sur la faible médiatisation dont bénéficie le football féminin en France, et sur les conséquences de ce manque d'exposition.

Le football féminin existe depuis de nombreuses années, pourtant on a l’impression que le grand public n’a découvert cette discipline que très récemment. Comment expliquez-vous cette notoriété tardive ?

Audrey Keysers : En France, le football féminin est en manque de reconnaissance et de médiatisation car les footballeuses françaises sont victimes d’un sexisme ambiant. Dans l’imaginaire collectif, le football n’est pas un sport de femme. Il est assimilé à la virilité, à un sport de combat et donc à un sport d’hommes. Pour beaucoup, il est curieux d’imaginer qu’une petite fille puisse avoir envie de jouer au football. Aujourd'hui, ce n'est pas un hasard si la FFF ne compte que 85 000 licenciées, soit dix fois moins qu'en Allemagne. Le football ne fait parfois même pas partie des sports proposés aux petites filles. Spontanément, on les oriente plutôt vers des sports d'intérieur, parce que les filles sont encore assimilées à une forme de fragilité. Si on continue à véhiculer des schémas trop stéréotypés, le football féminin ne verra pas son nombre de licenciées augmenter. Or ce sont les demandes de licences qui créent les clubs.

Vous parlez d'un déficit de médiatisation. Mais les bons résultats des joueuses de l'équipe de France n'ont-ils pas plus attiré l'attention des médias sur le football féminin ?

C'est vrai que les choses tendent à changer depuis la très bonne Coupe du monde de l'équipe de France en 2011 [Les Bleues avaient fini en quatrième position du Mondial en Allemagne]. Le grand public a découvert que le football féminin existait et était pratiqué à très haut niveau. Mais le système fait qu'elle sont condamnées à réaliser des exploits pour être médiatisées, ce qui n'est pas le cas des hommes.

En ce moment, les filles sont partout, elles ont eu droit à deux pages dans L'Equipe, deux pages dans Libération et une pleine page dans Le Parisien. Elles sont enfin prises en considération pour leurs premiers JO : leurs matchs sont retransmis sur France 4, cela leur donne une visibilité qu'elle n'avait pas auparavant. Mais je crains que si ça ne se passe pas bien aux JO, elles retombent encore dans un manque de considération totale.

L'équipe de France de football avant son match des JO 2012 contre les Etats-Unis dans le stade d'Hampden Park à Glasglow (Ecosse), le 25 juillet. (GRAHAM STUART / AFP)

Qu'apporte cette médiatisation nouvelle ?

Le regard sur les filles changent. Pour les JO, quelques anciennes joueuses comme Marinette Pichon ou Candice Prévost vont commenter des matchs, cela va faire évoluer les mentalités. On commence à avoir des commentaires plus techniques qu'esthétiques sur les joueuses. Sans tomber dans les clichés, les commentateurs hommes ont plus tendance à parler du physique des joueuses que de leur qualités sportives. L'entraîneur de l'équipe de France, Bruno Bini, me racontait que cela l'agaçait quand des journalistes l'interrogeaient sur le physique de ses joueuses. Il ne travaille pas pour une émission de télévision : il recrute les joueuses sur leurs qualités de footballeuses, pas sur leur apparence. 

Comment voyez-vous la suite de la compétition pour les femmes ?

La défaite contre les Etats-Unis n'est pas étonnante [4-2 en match d'ouverture, le 25 juillet], mais elle va condamner les joueuses à gagner leurs prochains matchs pour espérer remporter une médaille. Ces Bleues ont les ressources nécessaires pour surmonter la défaite face aux Américains. Quand on regarde les conditions dans lesquelles s’entraînent les Américaines et les moyens qui leurs sont alloués, c’est même une exploit pour nos Bleues d’arriver techniquement au même niveau que les Etats-Unis. Car techniquement, elles n'ont rien à leur envier. Elles ont plus de lacunes au niveau de leur formation, des moyens dont elles disposent, du développement du football et de l’intérêt du public.

En quoi la formation des joueuses de football en France serait-elle lacunaire ?

Il faut savoir qu'il existe deux types de footballeuses en France. Il y a tout d'abord les joueuses lyonnaises, qui  vivent du football : elles ont toutes signé un contrat et touchent entre 1 500 et 10 000 euros par mois, en fonction de leur importance dans l'équipe. Quand elles se lèvent le matin, les joueuses de l’Olympique lyonnais ne pensent qu’au football. Ce n'est pas un hasard si Jean-Michel Aulas, le président de l'OL, fournit aujourd'hui la moitié des filles à l'équipe de France [sur les 18 Bleues sélectionnées pour les JO, 11 jouent à Lyon] : le football, c'est leur vie. 

A côté de cela, toutes les autres footballeuses françaises (à quelques rares exceptions près) doivent avoir un travail à côté, tout en s'entraînant quatre fois par semaine. On est dans un fonctionnement amateur. Les plus chanceuses ont pu passer un concours et sont fonctionnaires, d’autres travaillent dans des conseils généraux ou dans des collectivités locales. La Ville de Paris emploie ainsi plusieurs joueuses du PSG à la Direction de la Jeunesse et des Sports (DJS), à temps plein ou à temps partiel. Mais il y aussi des joueuses qui ont eu moins de chance, qui n’ont pas fait beaucoup d’études pour se consacrer uniquement au foot et qui se retrouvent à devoir chercher un travail. Parfois, elles se tournent vers leur club pour demander de l’aide. A Paris, certaines filles travaillent à la boutique du PSG sur les Champs-Elysées et vendent les maillots des hommes. Comme le dit Candice Prévost dans notre livre, on met parfois les joueuses dans des situations où elles sont obligées de quémander de l’aide auprès de leurs dirigeants. 

Comment faire pour que les clubs investissent d'avantage d'argent dans leurs sections féminines ?

Une médaille des Bleues aux JO ferait prendre conscience aux dirigeants des clubs français qu'ils doivent mettre plus de moyens dans leur équipe féminine. Symboliquement, une récompense olympique serait très importante.

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