"Ils étaient désespérés qu'on ne parte pas" : bienvenue à la Vila Autodromo, la favela qui a résisté à la pression des Jeux
Nichée entre le terminal de bus et le centre des médias, cette petite favela d'une vingtaine de maisons a résisté pendant deux ans aux autorités brésiliennes, qui souhaitaient faire place nette avant l'arrivée des touristes.
Chaque jour, les milliers de visiteurs des Jeux olympiques de Rio passent devant, mais ne la regardent pas. Depuis la passerelle temporaire d'où ils quittent les transports en commun pour aller vibrer devant les champions, ils aperçoivent quelques maisonnettes blanches, derrière un mince filet d'eau qui sent l'égoût.
Ce petit hameau, c'est la Vila Autodromo. Une favela qui a eu le malheur de se trouver sur l'emplacement choisi pour bâtir la douzaine de stades. Les 700 familles qui y habitent faisaient tache dans le paysage. Seules vingt d'entre elles ont résisté aux pressions et ont fait valoir leur droit à rester chez eux, comme le montre la superposition de ces deux photos aériennes. En bas, la Vila Autodromo a quasiment disparu.
Coupures d'électricité et harcèlement au bulldozer
Nathalia da Silva a vécu deux ans de calvaire. "Vous savez, la Vila Autodromo, c'était un endroit paisible, idéal pour les enfants, avec de grands arbres, des aires de jeux. Ma maison faisait deux étages", commence ce petit bout de femme, cheveux bouclés, petites lunettes, qui refuse obstinément qu'on la prenne en photo. Assise sur le compteur d'eau installé devant sa maisonnette, Nathalia décrit une époque révolue. Tout ce qui reste aujourd'hui, c'est une rue, bordée par dix maisons identiques peintes en blanc, un jardinet chacune, et quelques voitures garées sur le bas côté. La municipalité ne s'est pas embarrassée avec les finitions. Les habitants ont reçu les clés de leur maison le 29 juillet, une semaine à peine avant l'ouverture des Jeux olympiques, cause de tous leurs tracas.
Deux ans plus tôt, les habitants de la Vila Autodromo apprenaient à la télévision qu'ils allaient être expulsés. Selon le complexe droit foncier du Brésil, ceux qui vivent dans une favela depuis cinq ans sont en droit, théoriquement, de recevoir un titre de propriété. Mais les autorités invoquent une autre loi, plus ancienne, pour faire place nette. Porte après porte, les négociateurs passent pour gérer chaque départ.
"Jamais ne leur ai ouvert ma fenêtre", assure Nathalia. Même lorsque, sur la façade de sa maison, des employés municipaux écrivaient au pinceau qu'elle allait bientôt être détruite. Même lors des nombreuses coupures d'eau et d'électricité quotidiennes, pour pousser les locaux à bout. Même lorsque les autorités ont rasé une poignée d'habitations dont les meubles se trouvaient encore à l'intérieur. Même quand sa mère a été prise à partie par des policiers.
A ce moment-là, l'Etat nous a offert une compensation de 2,5 millions de reals brésiliens [environ 800 000 euros]. C'était du jamais-vu. Ils étaient désespérés qu'on ne parte pas.
"Comme des chevaux dans leur box"
Beaucoup d'autres habitants ont fini par accepter de partir, à des tarifs souvent inférieurs. "Je ne leur en veux pas, raconte Nathalia, qui a vu partir ses voisins et ses amis. Chacun a ses raisons, non ? Beaucoup ont vu dans tout cet argent le moyen de commencer une nouvelle vie."
Je sais que les premiers à partir, ceux qui vivent désormais dans la tour Barra Carioca, aimeraient bien revenir... Toute notre communauté a été détruite pour un événement qui dure vingt jours à peine.
Soutenus par des universitaires, les habitants du quartier ont proposé un plan d'urbanisme alternatif, qui permettait de préserver la favela, sans compromettre le parc olympique. Une solution moins chère, qui a même reçu un prix international. Rien à faire. La municipalité a préféré la solution la plus brutale. La plus coûteuse aussi. Jusqu'à ce que le cabinet d'architectes finisse par intégrer ce qui reste de la Vila Autodromo dans le projet de parc olympique.
Just off-screen in #Rio, a community’s homes vanish in shadow of the #Olympics. Learn more: https://t.co/BKDEZx8zLz pic.twitter.com/gS1rwYZTYK
— AmnestyInternational (@amnesty) 8 août 2016
Une "victoire historique qui doit montrer la voie", insiste Nathalia, qui rappelle que le maire actuel, Eduardo Paes, détient le record d'expulsion à ce poste, avec 66 000 déplacés. Un élu qui, à 23 ans, était l'avocat de promoteurs qui poursuivaient la Vila Autodromo pour "dommage touristique". Il a perdu devant les tribunaux, mais les habitants lui en gardent une rancune tenace.
La victoire dont parle Nathalia a toutefois un goût amer. "Encore aujourd'hui, nous sommes déshumanisés, poursuit-elle. On habite tous dans la même maison, comme des chevaux dans leurs box. Nous n'avons pas le droit de la personnaliser, la peindre par exemple, avant la fin des Jeux. Pareil pour construire un second étage."
En attendant, les derniers habitants de la favela cherchent à faire vivre la mémoire de leur quartier. Un musée des souvenirs a été installé dans une des maisons, des sculptures plus imposantes ont été posées dans les jardins et des tee-shirts sont vendus pour financer la cause. Un documentaire est en cours de tournage, avec des scènes dans les tribunes des Jeux, quand les habitants ont reçu quelques tickets gratuits.
Des athlètes passent parfois, des supporters aussi. Attirés par la musique qui s'échappe du quartier tous les week-ends, l'odeur de grillade qui embaume l'atmosphère le soir ou les pancartes qui dénoncent "le nettoyage social" causé par les Jeux. La nuit tombe. Nathalia n'est pas fatiguée de raconter pour la énième fois son combat. Elle insiste : "Ils peuvent expulser tous les gens, ils ne nous enlèveront pas nos souvenirs."
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