A Rio, comment la vie dans un ancien village d'athlètes a tourné au cauchemar
Avis à ceux qui veulent acheter un trois pièces dans le village olympique à la fin des Jeux.
Sur le papier, c'était une bonne idée. Les Jeux panaméricains de 2007 à peine finis, un consortium composé de la mairie de Rio, de la banque Caixa et du comité olympique brésilien, met en vente les appartements occupés par les athlètes. Une dizaine de tours, aux tons pastels. Pour faire joli sur les prospectus, le sourire de Ronaldinho et ses dents du bonheur. Une localisation idéale, dans le quartier qui monte de Barra da Tijuca. Un condominium fermé, entre gens de bonne compagnie, de la classe aisée carioca, avec des grilles de trois mètres de haut et des gardes à chaque entrée. Le rêve brésilien sur papier glacé.
De quoi expliquer le fait qu'à l'époque, les 1 500 appartements vendus 20% au-dessus du prix du marché se sont arrachés en quelques jours. Le cas de la Vila Panamericana s'est même imposé au programme des écoles de marketing. Dix ans plus tard, le rêve s'est envolé..
1,5 mètres de chute, au dernier pointage
"Je fais partie des premiers acheteurs", ronchonne Joaquim, en déployant une grande brochure, format A3. Il fait un soleil de plomb, mais sous les petits kiosques "de contemplation" — c'est inscrit sur le panneau juste à côté — l'ombre est rafraîchissante et la vue sur les montagnes à couper le souffle. Il tourne les pages, détaille les plans, montre les terrains de sports promis de l'autre côté de la rivière (mais jamais construits), ou l'ex-futur centre commercial qui est devenu le parking des bus déployés pour les Jeux olympiques cette année. Le quinquagénaire, cheveux blancs coupés en brosse, laisse son regard errer dans le vague : "Si on m'avait dit que tout ça allait s'effondrer en quelques années..."
Dès l'entrée de la Vila do Pan, le petit nom que donnent les habitants à la Vila Panamericana, impossible de rater les grandes barrières blanches, et les panneaux travaux orange vif. Le complexe, bâti sur pilotis dans une zone marécageuse, a donné des signes de faiblesse dès 2010, trois ans après sa mise en service. La rue qui longe la rivière a commencé à s'effondrer, tout comme le parking voisin. Environ 1,50 mètre de dénivelé au dernier pointage.
Claudio, qui habite l'un des immeubles vert pastel du quartier Canada, nous fait visiter le parking en question. A l'intérieur, d'épaisses fissures, sur plusieurs dizaines de mètres. Les murs sont fendus en deux, le sol zébré de crevasses. A l'extérieur, la végétation recouvre peu à peu la grille du parking rapidement condamné, lui donnant des airs de forêt amazonienne. "Les ingénieurs disent que les immeubles d'habitation ne craignent rien", rapporte Claudio. Les croit-il ? Il rit nerveusement.
"Ma femme est terrifiée"
Un peu plus loin, une autre aile du parking est étançonnée à l'aide de rondins de bois. Difficile de ne pas penser aux mines de charbon du 19e siècle. "Ils font des travaux au-dessus pour refaire la rue", justifie Claudio, l'air placide face à l'impression moyennâgeuse que donne l'endroit. De fait, à peine dix ans après la mise en service, tout le système de canalisation et de trottoirs le long de la rive est à refaire.
"La municipalité nous a assuré que crise économique ou pas, elle n'arrêterait pas les travaux, assure Fernando, un des responsables de l'association des habitants de la Vila do Pan. La facture des travaux se monte à 300 millions de reals (83 millions d'euros), à comparer avec les 280 qu'a coûté la construction (77 millions d'euros). Faute de moyens, les riverains ne peuvent pas financer eux-mêmes une réfection du parking. "Ma femme est terrifiée" de voir les fissures continuer à croître jour après jour, raconte Fernando.
Une action en justice a été lancée contre le consortium qui a fait bâtir et commercialisé le quartier. L'entreprise de BTP, Agenco, a déjà fait faillite. Vu la lenteur de la justice brésilienne, l'aile endommagée du parking sera peut-être au fond de la rivière quand le verdict sera rendu. "Ne parlez pas de malheur !", coupe Claudio, qui a acheté en 2011 en ne sachant rien du problème. Son appartement a perdu au bas mot 50% de sa valeur. "Même si je vendais, je ne pourrais pas trouver aussi bien dans le quartier. Je suis en quelque sorte prisonnier ici." Une cage dorée, avec piscines, jardins, et salle de fitness, services que Claudio paie 1200 reals brésiliens par mois (environ 330 euros).
Rebelote au village olympique ?
"Et vous savez le pire ? C'est que le comité olympique, qui nous a tournés le dos dès que les choses ont commencé à se gâter, a choisi un site marécageux pour le village olympique des athlètes ! La même configuration qu'ici. Les gens le savent, et les promoteurs n'ont vendu qu'une fraction des appartements proposés", poursuit Fernando. L'entreprise de BTP Odebrecht a beau insister à longueur de communiqués que les erreurs de la Vila do Pan ne seraient pas répétées, le doute subsiste. "D'ailleurs, on a vu la télévision australienne débarquer ici dès que leurs athlètes ont eu des problèmes dans leur immeuble du village", ajoute Claudio.
L'infirmier est l'un des rares à avoir profité de la proximité de son domicile pour se rendre aux Jeux, et à noyer ses timelines sur les réseaux sociaux de photos prises dans la Future Arena de handball ou la Carioca Arena de judo. Fernando résume le sentiment général : "Beaucoup de gens autour de moi ont refusé de ne donner ne serait-ce qu'un centime au comité olympique brésilien."
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