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Marie-Amélie Le Fur : “on ne veut pas être les oubliés de cette crise sanitaire, surtout au moment le plus important pour nos clubs sportifs”

La présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF) est sur tous les fronts. En pleine crise sanitaire, Marie-Amélie Le Fur tente de défendre la pratique sportive pour les personnes en situation de handicap. Et c’est loin d’être son seul combat : la difficile préparation des athlètes paralympiques en vue des Jeux de Tokyo, les galères de sponsors pour tous les sportifs de haut niveau ou les inquiétudes des fédérations et clubs qui voient leur activité mise à l’arrêt… L’agenda est chargé. La récente championne de France du saut en longueur revient pour France TV Sport sur cette actualité compliquée. Entretien réalisé avant les annonces faites par le président de la République le 14 octobre.
Article rédigé par Clément Mariotti Pons
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 14min
  (DANIEL DERAJINSKI / HANS LUCAS)

Vous avez cosigné il y a huit jours une tribune dans le JDD intitulée “Laissons les Français faire du sport !”, une tribune réclamant la réouverture des établissements qui accueillent la pratique d’activités physiques et sportives. Pourquoi était-ce important pour vous de prendre position sur cette question du sport en intérieur ?
Marie-Amélie Le Fur :
"Oui je l'ai signée en tant que présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF) tout simplement parce que nous sommes inquiets de cette décision qui a été prise. L'idée est de pointer du doigt un éloignement de la pratique sportive pour de nombreuses personnes, qui nous semble être quelque chose de très préjudiciable lorsqu’on prend en compte l’aspect sanitaire de cette crise. On le sait, l'obésité, la lutte contre la sédentarité est un combat qu'on mène depuis de nombreuses années. Le fait d'avoir ces fermetures ne permet plus aux personnes de continuer une activité sportive dans la durée. Nos publics, en situation de handicap, sont très fortement impactés. Là où il y a une incompréhension, c'est que les clubs et les associations sportives sont soumises à des protocoles sanitaires stricts qui ont été validés par les ministères. Cela nous fait dire que nous sommes en capacité de reprendre, même dans les lieux clos, une activité sportive dans le respect des gestes barrière et de la protection de chacun, là où un arrêt de l'activité sportive engendrerait des désagréments au long terme. On peut voir sur certains territoires que l'importance de la pratique du sport a été prise en compte sur certains publics et notamment notre public en situation de handicap. Il ne faut pas oublier que la pratique sportive est essentielle parce que c'est de la réhabilitation, de la rééducation vis-à-vis de son handicap, c'est du lien social notamment pour des personnes qui sont pensionnaires de centres."


Des publics prioritaires ont été déterminés après les annonces du Président de la République et du Premier ministre. Les personnes pratiquant sur prescription médicale et celles en situation de handicap - notamment - en font partie et peuvent accéder aux équipements sportifs couverts, aux piscines et autres salles de sport.

“C'est un axe de communication qui est très important et que l'ensemble des pouvoirs publics doivent bien avoir en tête : la vulnérabilité vis-à-vis du Covid est décrite dans un décret et le fait d'être en situation de handicap n'est pas une situation de vulnérabilité en tant que telle."

Quel est votre message en tant que présidente du CPSF auprès des sportifs, des fédérations ?
M-A Le Fur :
“L'action auprès des fédérations et des clubs se décline de différentes façons. Déjà c'est de défendre l'intérêt de l'ensemble de ces structures et de comprendre comment, quand il y a des actions de fermeture, on peut faire bénéficier à nos associations du droit commun et donc des plans de sauvegarde qui sont mis en place par l'État. Derrière, il y a eu aussi cette réflexion avec comment, via un plan de relance, on vient accompagner de nouvelles activités mises en avant par les clubs, au travers de l'emploi, du numérique... Et nous spécifiquement on essaie de rassurer et de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'amalgames entre la vulnérabilité d'un public et le fait d'être en situation de handicap. C'est un axe de communication qui est très important et que l'ensemble des pouvoirs publics doivent bien avoir en tête : la vulnérabilité vis-à-vis du Covid est décrite dans un décret et le fait d'être en situation de handicap n'est pas une situation de vulnérabilité en tant que telle. Donc c'est bien de ne pas stigmatiser notre public et d'encore plus l'éloigner à un moment où on a besoin de cette activité sportive pour des raisons de santé mais aussi de lien social.”

"Quand vous avez une deuxième vague avec des prises de décision qui sont stigmatisantes pour le sport, ça a un effet considérable et négatif pour les fédérations. Pour certaines, cela constitue une perte de licences à hauteur de 25%"

Entre les Jeux de Tokyo, la préparation de ceux de Paris en 2024 et la crise sanitaire actuelle, comment est-ce que vous jonglez entre vos différentes casquettes auprès du CPSF ?
M-A Le Fur :
"Ce n’est pas simple, on doit avancer avec une actualité et une vision à court terme qui est totalement changeante. Nous essayons d'accompagner la relance des clubs, une relance qui est appuyée sur le fait d'aller chercher de nouveaux pratiquants. On a essayé de développer des outils qui amènent les différents acteurs du parasport à se rencontrer, de permettre à ces acteurs d'aller vers les centres et établissements médico-sociaux pour présenter la pratique sportive au plus près des personnes en situation de handicap. L'idée c'est aussi de travailler sur la présence du sport dans les mesures de droit commun. On ne veut pas être les oubliés de cette crise au moment le plus important pour nos clubs sportifs, parce que bon nombre de fédérations ont un modèle économique adossé à la prise de licences. Quand vous avez une deuxième vague avec des prises de décision qui sont stigmatisantes pour le sport, ça a un effet considérable et négatif pour les fédérations. Pour certaines, cela constitue une perte de licences à hauteur de 25%. Donc c'est énorme. Et malheureusement toute la campagne de communication qui avait été lancée conjointement avec le ministère, le CNOSF, le CPSF et l'Agence nationale du sport n'a pas pu avoir l'écho escompté puisqu'il y a eu ces prises de position contradictoires à l'encontre du sport."

Nous avons pu discuter il y a quelques semaines avec Jean-Baptiste Alaize (champion handisport de saut en longueur, NDLR) qui expliquait toutes ses difficultés pour trouver des sponsors, que beaucoup l’avaient lâché cet été après le report des Jeux. Et il est loin d’être le seul : sur les sites de crowdfunding sportif, un certain nombre d’athlètes, notamment handisport, lancent des appels à financement. Comment est-ce que le CPSF aide celles et ceux qui se retrouvent en grande difficulté ?
M-A Le Fur :
"Tous les acteurs essaient d'oeuvrer pour que nos sportifs se portent au mieux au niveau financier, mais les sportifs eux-mêmes doivent oeuvrer pour cette question. C'est sûr qu'il y a une forme de complexité vis-à-vis des partenaires puisqu'on a certains signaux négatifs qui nous remontent et moi-même je subis cette situation du retrait de partenaires. J'ai la "chance" de ne perdre qu'un seul d'entre eux suite au report des Jeux et d'avoir la confiance de ceux qui m'accompagnent depuis plusieurs années. Mais cette perte de sponsors est présente pour de nombreux sportifs, plus ou moins fortement en fonction aussi du niveau de l'athlète, de sa relation avec ses sponsors, du secteur d'activité de l'entreprise en question etc. Parce qu'on ne peut pas non plus nier qu'il y a aussi une crise économique qui touche la plupart des sociétés. On essaie d'avoir des informations sur les situations alarmantes. Les fédérations via leurs équipes essaient également de les aider et les aiguiller via des dispositifs déjà existants. Là où on a un contre-message à l'inverse plutôt positif, c'est qu'avec Paris 2024, on a de plus en plus d'entreprises qui souhaitent accompagner des sportifs et notamment des sportifs paralympiques. On se retrouve à avoir une crise économique qui amène des partenaires de longue date à se retirer ou modifier leurs engagements là où on a de nouveaux partenaires qui ont envie de s'investir parce que dans trois ans c'est les Jeux en France et qu'il y a une histoire humaine à écrire avec certains sportifs. Des entreprises ont compris qu'avec des sportifs paralympiques, on écrit peut-être une histoire moins visible mais on fait aussi le choix d'un certain parcours de vie, de moments forts, de partage avec les collaborateurs qui sont assez particuliers et uniques."

Marie-Amélie Le Fur, double médaillée d'or lors de ces Jeux Paralympiques (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

"Le modèle para-sportif français est compliqué : on voit beaucoup de campagnes de crowdfunding se créer pour des athlètes qui sont plutôt en devenir et subissent malheureusement un non-remboursement du matériel sportif pour commencer la pratique sportive et en faire de façon pérenne, dans un projet de compétition."

Jean-Baptiste Alaize nous parlait tout de même du prix d'une lame de compétition, à hauteur de 10 000 euros. Le contexte semble très défavorable afin de trouver de nouveaux financements pour construire son projet sportif...
M-A Le Fur :
"C'est vrai que ça coûte très cher et il faut comprendre que c'est un budget qui incombe au sportif de haut niveau, sauf que nous on a "la chance" d'avoir accès à des partenaires pour nous aider. Sauf qu'avant d'avoir des partenaires, de pouvoir justifier d'un palmarès international, il faut avoir fait des compétitions donc il faut s'être payé cette lame à 10 000 euros. Et c'est là où le modèle para-sportif français est compliqué : on voit beaucoup de campagnes de crowdfunding se créer pour des athlètes qui sont plutôt en devenir et subissent malheureusement un non-remboursement du matériel sportif pour commencer la pratique sportive et en faire de façon pérenne, dans un projet de compétition. Nous on estime que le droit à la compétition sportive devrait être reconnu dans l'accompagnement du projet de vie des personnes en situation de handicap. C'est le choix qu'ont fait certaines MDPH (maisons départementales des personnes handicapées, NDLR). Toujours est-il que l'on a une réelle disparité du remboursement des prothèses sportives au bénéfice de la compétition sur notre territoire. Cela coûte très cher et malheureusement derrière il faut faire appel à la solidarité, aux associations, aux personnes qui nous entourent pour acheter ce matériel."

À titre plus personnel, est-ce que les contraintes actuelles en raison du Covid modifient votre préparation en tant qu’athlète ?
M-A Le Fur :
 “On a un avantage, c'est qu'on a le statut de sportif de haut niveau. On bénéficie d'articles dérogatoires sur l'ensemble des structures. Quand bien même je dois m'entraîner sur Paris dans un gymnase où une salle couverte, je peux bénéficier de cette mesure dérogatoire. Ma capacité à m'entraîner n'est pas impactée et elle ne l'est pas depuis la sortie du confinement. Là où c'est plus compliqué, c'est sur la capacité à pouvoir se projeter à long-terme notamment sur le chemin de qualification pour les Jeux Paralympiques. Nous étions en pleine procédure de qualification au moment du confinement, tout a été reporté d'un an et actuellement nous n'avons pas une vision claire des compétitions qui nous attendent à l'orée de début 2021. On se prépare sans connaître les échéances, les temps forts. On a une date très importante qui est celle du 1er avril 2021, où les six premières personnes dans les bilans mondiaux d'une discipline qui est aux Jeux ouvrira un quota pour sa nation. Le seul problème c'est qu'on ne sait pas dans quelle mesure on va pouvoir participer à des compétitions jusqu'à ce moment-là pour rentrer ou rester dans les six. Donc il y a une forme d'incertitude sur la capacité à sortir LA performance pour défendre notre place au bilan."

Ça rajoute de la pression, non ? Il ne faut pas tomber malade ou se louper le jour J dans ces conditions...
M-A Le Fur :
"C'est une forme de réalité. Après, tous les athlètes français ne sont pas en ballottage de la même façon. Moi j'ai la "chance" d'être 3e au bilan mondial là où des sportifs sont 6es. Donc forcément ils aimeraient avoir plus de compétitions pour récupérer une 4e ou 5e place qui leur donnerait un peu plus de confiance sur les semaines à venir. Mais pour l'instant... En plus on rentre dans la phase hivernale donc il ne faudra pas attendre les compétitions avant début 2021 pour améliorer nos places au ranking international."

Les Jeux de Tokyo seront vos derniers. Comment est-ce que vous appréhendez l’événement avec tout ce contexte sanitaire derrière ?
M-A Le Fur :
"Le manque de vision sur le processus de sélection et le calendrier des compétitions est un peu complexe mais on arrive à vivre avec. Là où c'est le plus compliqué pour moi et je ne vais pas m'en cacher, c'est avec cette année complémentaire. Puisque même si je valide à plus de 100% la nécessité de reporter les Jeux, avoir une année supplémentaire quand on est en fin de carrière, quand on a un projet professionnel, de vie derrière avec un enfant en bas âge, c'est très complexe. C'est une année qui joue en ma défaveur en terme de potentiel international, d'un point de vue moral, physique. L'envie a peut-être été plus forte que la raison et j'ai décidé de m'engager pleinement dans ce nouvel objectif. Il faut que je concilie avec tout ça, que je me mette au clair dans mon projet et que j'arrive à retrouver du temps dans ma préparation puisque j'étais censée être à la retraite à cette période-là. Mais l'envie de gagner les Jeux est toujours autant présente. Je suis aussi une femme de challenges, j'adore l'adversité, j'essaie de m'en servir comme d'un moteur très positif pour non plus aller chercher 6,15m aux Jeux de 2020 mais 6,30m aux Jeux de 2021."

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