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L'appel payant de Manchester City a-t-il sonné le glas du Fair-Play financier ?

Cinq mois après avoir envoyé un signe fort en prononçant l'exclusion de Manchester City des deux prochaines éditions de coupes européennes, l'UEFA a vu sa décision cassée par le Tribunal arbitral du sport ce lundi. Instauré par l'instance européenne en 2010, le Fair-Play Financier a encore perdu une bataille et peut-être même la guerre.
Article rédigé par Andréa La Perna
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
  (ARIS MESSINIS / AFP)

Paris s'en était sorti et c'est maintenant fait pour Manchester City. Comme le PSG en mars 2019, le club anglais a été blanchi par le Tribunal arbitral du sport après avoir fait appel des sanctions prononcées par l'UEFA pour non respect du Fair-Play financier. Plus précisément, il était reproché à l'actuel deuxième de Premier League d'avoir surévalué ses contrats de sponsoring entre 2012 et 2016 pour gonfler ses recettes et ainsi pouvoir dépenser plus. Pour rappel, les règles du Fair-Play financier, entré en vigueur en 2010, demandent aux clubs de ne pas dépenser plus d'argent qu'ils n'en gagnent. 

Prescription et invalidité juridique

En dépit des révélations des Football Leaks, dont l'utilisation présumée de sociétés écran directement financées par le président de Manchester City, le TAS a conclu que le club "n'avait pas déguisé ses contrats publicitaires". "La plupart des violations présumées signalées par la chambre d'arbitrage de l'ICFC (l'instance de contrôle de l'UEFA, ndlr) n'étaient pas établies ou étaient prescrites", est-il expliqué. Blanchi faute de preuves ou en raison du délai de prescription pour toute accusation de fraude, le club mancunien reste sanctionné pour son absence de collaboration avec l'UEFA. Alors qu'il devait s'acquitter d'une amende de 30 millions d'euros, la sanction a été abaissée à 10 millions d'euros, payables sous 30 jours.

De tous les revers encaissés par l'UEFA depuis l'instauration du FPF, celui-ci est sans aucun doute le plus cinglant. S'il ne cache pas son pessimisme vis-à-vis de la viabilité de la disposition amenée à la vie par Michel Platini, l'économiste Pierre Rondeau ne veut pas encore prononcer la mort du Fair-Play financier. D'après lui, tout dépend des arguments sur lesquels s'est basé Manchester City pour défendre son cas."Si Manchester City a prouvé qu’il n’avait pas triché, si la base de l'argumentaire du club était de dire qu'il avait respecté les règles, il n'y aura pas de totale remise en question", explique Rondeau.

"Par contre, si l'idée était de dire : 'on l'a fait, on assume mais les faits sont prescrits', c'est se moquer du monde. Dans ce cas-là, chaque club peut faire ce qu'il veut et attendre 2-3 ans que la pilule passe et s'appuyer sur la prescription". Cela constituerait une remise en question totale du Fair-Play financier. D'après Pierre Rondeau, Manchester City aurait pu employer un troisième type de défense, tout aussi cynique que le précédent, pour défendre son cas : s'appuyer sur "l'invalidité juridique" du FPF. Car, il convient de rappeler que les règlements imposés par l'UEFA ne reposent sur aucun texte de loi. Le Fair-Play financier est par nature illégal. Il n'existe que par un accord tacite passé entre les instances du foot européen et les clubs.

Pas encore de mort, mais l'agonie est entamée

"On reproche assez souvent à cette disposition d’aller à l’encontre des libertés concurrentielles de l’Union européenne, contre les règles de libre entreprise de la Commission Européenne. S'ils ont insisté sur son caractère anticonstitutionnel et obtenu gain de cause, on peut en effet se dire que le Fair Play financier est mort", estime Pierre Rondeau. Le seul succès face à un grand d'Europe figurant au tableau de chasse du FPF reste l'exclusion de l'AC Milan de l'actuelle Ligue Europa. Encore une fois, le TAS avait donné raison au club italien, qui avait finalement trouvé un accord avec l'UEFA pour purger sa peine.

L'institution dirigée par Aleksander Ceferin n'a jamais semblé aussi fébrile face aux plus grands clubs européens, globalement ceux faisant partie de l'Association européenne des clubs (ECA). "On peut se dire que toutes les volontés de régulation européenne voulues par l’UEFA sont systématiquement vouées à être cassées par ces gros clubs qui demandent plus de libéralisation, constate Rondeau. Dans la presse anglaise, le président de Manchester City avait quand même dit qu’il était prêt à payer les 50 meilleurs avocats du monde et tenir 4 ans contre l’UEFA uniquement pour gagner. Il en est capable. Pour lui, payer une amende de 10 millions d’euros c’est une peccadille".

Au-delà du Fair-Play financier, la nouvelle défaite de l'UEFA sur le terrain juridique ferme la voie à toute tentative de régulation. Pourtant, il y a encore quelques semaines, au sortir du confinement, de nombreuses voix appelaient à plus de contrôle, certains évoquant même l'instauration d'un salary cap européen. Le montage financier au cœur de l'échange Pjanic-Arthur entre la Juventus Turin et le Barça, assumé devant tout le monde, en est pour lui un des exemples les plus concrets.

"Tout le monde le prédit. On ne sait pas quand ça arrivera, mais on y va tout droit. La première pierre de l'édifice d'une super ligue européenne a été posée" ce lundi d'après Pierre Rondeau. Cette idée de réforme des compétitions européennes, visant notamment à octroyer la quasi-totalité des places en Ligue des Champions aux équipes membres du Top 5 européen (Angleterre, Espagne, Allemagne, Italie et France) est un vrai cheval de bataille pour les membres de l'ECA. Elle leur permettrait de garantir leur participation à la C1 et les revenus juteux en découlant pour réduire au maximum tout risque de crise financière.

Alors qu'il devait réguler le foot européen notamment en limitant les excès des gros clubs, le Fair-Play financier a, pour beaucoup d'observateurs dont Arsène Wenger, permis de "figer la hiérarchie" en faveur des clubs historiques. Si dans son communiqué l'UEFA a affirmé qu'elle restait "attachée" au FPF, il ne faut pas s'attendre à ce qu'elle initie la moindre régulation concrète dans les prochains mois.

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