Pendaison, harcèlement… Les menaces, pain quotidien des footballeurs
Anthony Mounier, joueur formé à Lyon, n'a pu rejoindre Saint-Etienne en raison de déclarations hasardeuses qui ont monté les supporters des Verts contre lui. Tout sauf un cas isolé dans le monde du ballon rond.
C'est un non-transfert qui a fait le plus causer dans ce mercato hivernal, qui s'achevait le 31 janvier. Le joueur de Bologne Anthony Mounier, pur produit du centre de formation de Lyon, a interrompu son prêt à Saint-Etienne après quelques jours passés sous protection policière. Raison principale : l'hostilité viscérale des supporters des Verts, qui ne lui pardonnent pas plusieurs provocations anti-stéphanoises vieilles de plusieurs années.
Tout sauf l'exception qui confirme la règle. La dernière étude de la FIFpro (en anglais), le syndicat des footballeurs, est formelle : menaces de mort, harcèlement sur les réseaux sociaux et intimidations font désormais partie de leur quotidien. En Italie, qui détient le (triste) record d'Europe, 24% d'entre eux affirment avoir été déjà menacés par les fans.
"Je m'enfilais les comprimés de paracétamol"
Prenez Fabio Quagliarella, un attaquant qui a bourlingué dans une demi-douzaine de clubs italiens. Cet enfant de la Campanie n'a rejoint le club de sa région, Naples, que très tard, uniquement pour une saison, avant de filer chez l'ennemi de la Juventus. D'où un lourd contentieux avec les tifosi du Napoli. Entre 2007 et 2010, il est victime de harcèlement par SMS et via des lettres anonymes. On l'accuse de coucher avec des mineures, de passer de la drogue pour la mafia, entre autres joyeusetés, dont des menaces contre sa famille. L'affaire se termine au tribunal (en italien), mais n'est pas soldée pour autant. En 2016, quand Quagliarella marque un penalty contre Naples sous les couleurs de la Sampdoria de Gênes, il incline la tête et lève ses deux mains jointes, comme pour une prière, plutôt que de fêter son but : "Je n’ai pas demandé pardon aux tifosi du Napoli, expliquera-t-il sur Facebook (en italien). Je voulais juste dire stop à l’hostilité que je perçois à chaque fois que je retourne chez moi."
La menace de mort fait-elle partie du quotidien du footballeur ? Demandez à David Beckham, dont l'effigie a été pendue. "Il a besoin d'une bonne leçon", expliquait le patron du pub qui avait symboliquement lynché le Spice Boy sur sa façade, après son expulsion en huitième de finale de la Coupe du monde 1998. A Jorge Jesus, l'ex-coach du Benfica Lisbonne passé chez l'ennemi du Sporting, qui vit toujours sous protection policière. A Gonzalo Higuain, l'attaquant argentin de la Juventus venu de Naples qui a passé plusieurs semaines sous la garde du GIGN transalpin après l'émoi causé par son transfert. A Sol Campbell, qui a vu 30 000 paires de bras brandir un écriteau "Judas" lors de son retour à Tottenham, une fois parti dans l'autre club londonien Arsenal.
Bien souvent, c'est la perspective d'un transfert chez l'ennemi juré qui fait perdre les pédales aux inconditionnels. Le légendaire milieu de Liverpool Steven Gerrard raconte dans son autobiographie (en anglais) avoir très mal vécu la fuite dans la presse de ses envies de quitter son club de toujours pour le Chelsea de José Mourinho à l'été 2005. A l'époque, les chaînes de télé tournent en boucle sur des images de fans brûlant leur maillot floqué à son nom devant le siège du club. "Le jour le plus tourmenté de ma vie. (...) Je m'enfilais des comprimés de paracétamol comme des Smarties. Mon téléphone sonnait sans arrêt. Quelqu'un m'a dit : "Tenez bon, ils font ça juste parce que les caméras (...) sont là'." Amoureux du club depuis toujours et sous pression, Gerrard met en veilleuse ses envies d'ailleurs… pour se contenter d'un palmarès famélique au regard de son talent.
Des plaies profondes et durables
Il ne faut pas grand-chose pour que des torrents de haine se déversent sur les réseaux sociaux. A croire que les footballeurs n'ont pas le droit d'être dans un jour sans. Comme le latéral lyonnais Jérémy Morel, le soir d'une défaite inattendue à Caen.
Pas sûr que souhaiter la mort de ma famille nous fasse gagner. On va miser sur le travail plutôt. Bonne soirée aux cerveaux et allez l'@OL
— Jérémy Morel (@jmorel15) 15 janvier 2017
Le défenseur du club suédois d'Halmstad, Ali Khan, en a fait l'amère expérience, après avoir marqué le but contre son camp qui entraînait la relégation de son équipe, en octobre 2015. "Détestez-moi, insultez-moi, racontez des mensonges sur mon compte si ça vous chante. Mais ne me menacez pas, et encore moins ma famille, s'est insurgé le joueur sur Twitter. Et pour ceux qui veulent mettre leurs menaces à exécution, il y a une voiture de police postée devant ma porte pour protéger mes enfants. S'en prendre à eux, c'est particulièrement minable." Quelques mois plus tard, il arrête sa carrière "pour raisons familiales" et devient coach dans le petit club d'Husqvarna. "Cette fois, c'est allé trop loin", confie-t-il au site Svenskafans (en suédois). Il n'a que 28 ans.
Car ces menaces laissent une trace durable sur le joueur qui en a été victime. Mo Johnston avait pratiquement déclenché une guerre de religion en devenant la tête d'affiche catholique du club protestant des Glasgow Rangers dans les années 1980. Soumis à une pression terrible – les fans ont fait la grève des abonnements, brûlé des écharpes... –, il reçoit même une tourte en pleine figure pour son premier match. Malgré des statistiques honorables, il ne prolonge pas l'expérience et oriente sa carrière vers l'Amérique du Nord, où il passe une vingtaine d'années, comme joueur puis entraîneur. Pas question pour lui de revenir en Ecosse, expliquait-il au Guardian (en anglais), et d'exposer ses enfants à certaines blessures toujours pas refermées, vingt ans après.
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