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La revanche des supporters contre les Judas du foot

Avant Steven Defour, représenté décapité par les supporters du Standard de Liège pour avoir revêtu les couleurs du club rival d'Anderlecht, d'autres "traîtres" ont eu droit à des réceptions assez explosives dans leur ancien club.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
La banderole déployée par des supporters lors du classico belge Standard-Anderlecht, le 25 janvier 2015, à Liège (Belgique). (YORICK JANSENS / BELGA / AFP)

"Red or dead." Le tifo des supporters du Standard de Liège pour "saluer" le retour de l'enfant du pays, Steven Defour, sous les couleurs d'Anderlecht, dimanche 25 janvier, a fait scandale. Le calicot, qui représentait le joueur décapité, a choqué la BBC, qui a décidé de le flouter, comme les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo. L'international belge n'est pas le premier à avoir droit à un traitement houleux de la part des supporters de son ancien club. La preuve en cinq exemples. 

1Cinquante blessés pour faire revenir Roberto Baggio

Le meneur de jeu de la Juventus Turin Roberto Baggio lors de la finale de la Coupe UEFA entre son club et le Borussia Dortmund, le 19 mai 1993, à Turin.  (LUTZ BONGARTS / GETTY IMAGES CLASSIC)

Plusieurs milliers de personnes dans la rue. Le QG de la Fiorentina assiégé pendant trois jours et attaqué à coups de briques. La police obligée d'intervenir au gaz lacrymogène. Cinquante blessés. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les amoureux de la Fiorentina ne digèrent pas le transfert de Roberto Baggio à la Juventus en mai 1990. Pour sauver la face, les dirigeants florentins tentent de dépeindre le joueur comme un mercenaire attiré par l'argent. Réponse de Baggio : "Je n'avais pas le choix." Son transfert était indispensable pour équilibrer les comptes du club. "Les gens se sont sentis trahis", poursuit le meneur de jeu.

Des milliers de supporters en colère décident de perturber l'entraînement de l'équipe d'Italie, où figure Baggio. Le premier jour, ils sont 2 000 à demander au joueur de déchirer son nouveau contrat. Le sélectionneur italien intervient pour calmer les esprits, et envoie prématurément le meneur de jeu à la douche. Le lendemain, ils sont 5 000 à réclamer le retour de celui qu'on surnomme "Il Divin Codino" ("le divin au catogan" en VF). Le terrain d'entraînement est envahi. La décision du président de la fédération italienne tombe : Coupe du monde en Italie ou pas, tous les entraînements de l'équipe nationale se dérouleront à huis clos, relate le Los Angeles Times (en anglais)

Baggio profite de son retour à Florence avec le maillot noir et blanc de la Juventus quelques mois plus tard pour remettre les pendules à l'heure. Quand l'arbitre siffle un penalty en faveur de la Juve, il refuse de le tirer. Furieux, son entraîneur le remplace. Alors qu'il regagne le banc, Baggio ramasse une écharpe de la Fiorentina lancée par un supporter, la met autour de son cou, toise les tribunes et lâche : "Vous serez toujours dans mon cœur." Pour la petite histoire, la Juventus rate le penalty. Réconcilié avec les Florentins, Baggio mettra quelques mois de plus à conquérir les supporters turinois.

2La réponse mesquine de Bordeaux à Alain Giresse

Alain Giresse sous les couleurs de l'OM lors de l'émission Téléfoot, en 1987.  (PASCUCCI/TF1/SIPA)

Alain Giresse, c'est presque l'homme d'un seul club, Bordeaux. A l'été 1986, il finit par céder aux sirènes de Bernard Tapie et va renforcer le rival marseillais. Le président girondin, Claude Bez, est furieux : "Giresse est un joueur fini."

Quand l'OM se déplace au Parc Lescure de Bordeaux, le 11 avril 1987, "Gigi" a droit à un traitement de faveur. Son nom et sa photo sont remplacés dans le programme du match par un grand point d'interrogation. Un peu plus loin, dans ce même programme, une caricature se moque de sa petite taille, raconte l'ethnologue Christian Bromberger dans son livre Le match de football, ethnologie d'une passion partisane. Le président Bez a chargé son défenseur allemand Gernot Rohr, plutôt boucher que poète sur le terrain, de marquer à la culotte celui que Bordeaux surnommait "le petit prince". Dès la 22e minute, Rohr prend un carton rouge pour des agressions répétées sur Giresse. N'empêche. Bordeaux l'emporte 3-0  et sera sacré champion quelques semaines plus tard.

3Ashley Cole, devenu "Cashley Cole"

Un supporter d'Arsenal brandit des billets de banque à l'effigie d'Ashley Cole, ancien joueur du club passé à Chelsea, lors du match Chelsea-Arsenal, le 10 décembre 2006 à Londres. (CHRIS YOUNG / AFP)

Peu de joueurs incarnaient autant Arsenal que le défenseur gauche Ashley Cole. Né à cinq kilomètres du stade historique d'Highbury, il entre au club à 8 ans et devient un titulaire indiscutable de la défense des Gunners. En mai 2006, le club échoue en finale de la Ligue des champions contre Barcelone. Cole sent que la chance de son club est passée, et file chez les rivaux londoniens de Chelsea dans les toutes dernières heures du mercato. Les supporters d'Arsenal l'encaissent mal, et le rebaptisent aussitôt "Cashley Cole". Cole a beau se défendre - "je ne suis pas venu à Chelsea pour l'argent, mais parce que je pense avoir une meilleure chance de gagner des trophées ici"-, il devient pour les "Gooners" un mercenaire.

La rencontre Chelsea-Arsenal, la saison suivante, se déroule sous haute tension. Les autorités craignent que les fans d'Arsenal ne bombardent le terrain de ballons en forme de téléphone portable, note Pink News (en anglais). Une allusion à une orgie gay organisée par SMS à laquelle aurait participé le défenseur, d'après la presse à scandale. Arsène Wenger en personne appelle ses fans au calme. Cela ne suffira pas à empêcher les chants homophobes - "quand il couche avec Cheryl [son ex-femme], il rêve d'Elton John" -, ni le jet de faux billets à l'effigie de Cole sur le terrain. 

 

4Niko Kranjcar, "pour nous, tu es déjà mort"

Niko Kranjcar (à gauche) salue ses anciens coéquipiers du Dinamo Zagreb, sacrés champions de Croatie, après leur victoire sur Hajduk Split (1-0). (FILIP HORVAT/AP/SIPA / AP)

Dans la famille Kranjcar, on joue pour le Dinamo Zagreb de père en fils. Le père, Zlatko, a décroché plusieurs titres en 550 matchs sous le maillot blanc et bleu. Le fils, Niko, semble sur la même voie quand il décide de couper les ponts, à cause d'un conflit avec ses dirigeants, pour signer au Hajduk Split, en 2007. Le club honni de la ville rivale. Des milliers de supporters du Dinamo, les redoutables Bad Blue Boys, se rassemblent devant la maison de ses parents et allument 200 bougies en forme de D. Le message s'affiche en grand sur une banderole, juste derrière : "Pour nous, tu es déjà mort." "Tu ne seras plus jamais en sécurité à Zagreb", menace l'un deux.

Les confrontations entre les deux clubs sont électriques, les supporters du Dinamo s'en prenant à Kranjcar. Et quand le Dinamo décroche le titre de champion, un porcelet revêtu du maillot de Kranjcar est porté en triomphe sur la place principale de Zagreb, alors que les fans entonnent une chanson sur le surpoids du joueur. Niko Kranjcar ne leur en tient pas rancune : "Zagreb sera toujours chez moi, disait-il au Guardian (en anglais) en 2008. Les fans les plus extrémistes ne me pardonneront jamais, mais beaucoup de gens savent par quoi je suis passé."

5Mo Johnston, à l'origine d'une guerre de religion (ou presque)

L'attaquant des Glasgow Rangers Mo Johnston lors d'un match de championnat écossais, en 1991.  (HULTON ARCHIVE / GETTY IMAGES)

Quand un club signe un attaquant de renom, ses supporters ont de bonnes raisons d'être heureux. Sauf ce jour de juin 1989, quand les Glasgow Rangers font revenir au pays l'avant-centre Maurice "Mo" Johnston, exilé à Nantes depuis deux ans. "C'est un triste jour pour les Rangers", réagit David Miller, le président de l'association des supporters, dans le Herald (en anglais). "Les gens vont rendre leurs abonnements au club. Ça me reste en travers de la gorge." Mais pourquoi tant de haine ? Parce que Johnston est catholique. Jusqu'à ce jour de 1989, les "Gers" se targuent d'être un club 100% protestant. Lors du premier match de la saison, une centaine de supporters brûlent leur écharpe du club devant les grilles du stade. D'autres crachent sur la voiture de l'entraîneur, raconte le Daily Record (en anglais).

Ostracisé par les Rangers, Johnston est aussi devenu un paria pour les supporters du Celtic, son ancien club, qui le baptisent "le petit merde" dans un français approximatif. Les dirigeants du Celtic ont d'autres raisons d'être en colère : Johnston avait signé un pré-contrat avec eux, mais le club a oublié de s'acquitter des impôts sur l'indemnité de transfert, ce qui a rendu la transaction caduque. "Je ne lui pardonnerai jamais. Il nous a manqué de respect", s'étrange l'entraîneur du Celtic de l'époque, Billy McNeill. Devinez qui a pardonné en premier ? Les supporters des Rangers, quand leur nouvel avant-centre a marqué un triplé pour son premier match face au Celtic. Le fait qu'il ait reçu une tourte en pleine figure pendant la rencontre, lancée par un supporter adverse, n'a fait que renforcer son prestige. 

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