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Patron absent, "mafia mulhousienne" et naufrage sportif : le FC Sochaux made in China ne convainc pas

On croit un peu trop vite que les repreneurs étrangers ont tous les poches sans fond des patrons qataris du PSG. Les amoureux du club doubiste en font l'amère expérience.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le 15 janvier 2016, le FC Sochaux s'est incliné 3-2 contre Niort, à dimicile, au stade Bonal. (MAXPPP)

"Nous craignons pour l'avenir de notre club." Dans une motion de défiance, tous les groupes de supporters du FC Sochaux sans exception ont exprimé leurs doutes quant à la gestion du club, leur "maison commune", lundi 18 janvier. Une première. Dans le collimateur des fans : une gestion opaque, un organigramme flou, un manque d'investissement et des résultats sportifs calamiteux. Le club, passé sous pavillon chinois, se traîne à la 18e place de Ligue 2. Si rien ne change, il évoluera l'an prochain en troisième division.

"On se disait qu'on avait de la chance"

Sur le papier, l'histoire commençait pourtant comme un conte de fées. Peugeot, propriétaire historique du club, souhaitait se débarrasser de son club de foot pour se recentrer sur l'automobile. Le groupe investit sur le Dakar plutôt que la L1. Soit. Le club, relégué en L2, trouve preneur assez rapidement, en mai 2015. "A ce moment-là, on se disait qu'on avait de la chance. Beaucoup de clubs, comme Bordeaux ou Lille, cherchent des repreneurs et n'en trouvent pas", se souvient Jean-François Bonnet, président du Supporter Club. Deux autres candidatures étaient sur les rangs, dont celle d'un descendant Peugeot, devenu trader à Londres. Sans suite. Question de volonté politique. "Tavares voulait déconnecter Sochaux et Peugeot et en vendant aux Chinois, il avait le plus de chance que ce soit le cas", constate Fabrice Lefèvre, président de Planète Sochaux.

Le nouveau patron du FC Sochaux, c'est Li Wing Sang, qui a racheté le club à PSA pour 7 millions d'euros. Quatre millions en fait, car le constructeur s'est engagé à verser 1,5 million d'euros par an pendant deux ans si le club ne descend pas en National. Un prix d'ami. Et avec un fonds de roulement estimé à une quinzaine de millions d'euros, les voyants sont au vert. Mais "Monsieur Li", comme tout le monde l'appelle dans la région, et son entreprise de leds, Ledus, n'investissent pas un centime au mercato. S'ensuivent quelques décisions sportives malheureuses : le gardien Yohann Pelé est libéré et l'attaquant Famara Diedhiou prêté à Clermont. Six mois plus tard, Diedhiou a marqué 19 buts. Soit trois de plus que tous les joueurs de son ancien club réunis.

Où sont les 100 millions ?

Le propriétaire du FC Sochaux, l'homme d'affaire chinois Li Wing San, le 6 décembre 2015, au stade Bonal. (MAXPPP)

"Même Hafiz Mammadov [l'homme d'affaires azerbaïdjanais qui a causé bien des tracas au RC Lens] a injecté de l'argent dans le club qu'il venait de racheter. Monsieur Li n'a rien remis au pot", s'étonne David, contributeur du site La Bande à Bonal – référence au nom du stade sochalien. En décembre 2015, le directeur général du club laisse entendre sur France Bleu que Ledus n'allait pas investir dans le club pendant deux ans. Le problème, c'est que Monsieur Li dit l'exact contraire dans une interview à L'Equipe, deux semaines plus tard.

Si nécessaire, nous sommes prêts à investir 10 millions, 20 millions ou 100 millions !

Li Wing Sang

dans L'Equipe

Les 100 millions d'euros, les supporters sochaliens les attendent toujours. Ce qu'ils voient arriver, ce sont les joueurs improbables. Comme le Camerounais Ernest Nfor, au chômage depuis six mois après un passage dans un club azerbaïdjanais qui n'est pas resté dans les mémoires. Celui-ci fait finalement faux bond aux Doubistes, début janvier 2016, et s'engage en Arabie saoudite. "Si c'était un vrai bon joueur, il ne serait pas venu à Sochaux de toute façon", soupire David.

Deux mois plus tôt, en novembre 2015, le directeur du recrutement a été remercié. Juste avant le début du mercato d'hiver. "On était un club historique, qui se basait sur son centre de formation, on est en train de devenir un club de mercenaires", se lamente Anthony Peugeot, président du club de supporters des Parigots de Sochaux. Le club, double champion de France et double vainqueur de la Coupe de France, n'est jamais descendu en dessous de la deuxième division. Pour combien de temps encore ?

"Le pouvoir, oui, l'argent, pas sûr"

"A aucun moment Monsieur Li n'a expliqué le projet à court, moyen et long terme. Tout ce qu'on a vu de lui, c'est qu'il sait faire le mariolle sur le terrain après nos rares victoires. Il a le pouvoir, oui, l'argent, pas sûr", soupire un supporter de longue date. De nombreux amoureux du club se sont mis à la finance asiatique, contraints et forcés, et épluchent les rapports d'activité de Tech Pro, la maison-mère de Ledus, basée dans un paradis fiscal et cotée à la Bourse de Hong-Kong.

La fortune de Monsieur Li, qui débarque en France chaque week-end pour assister au match, est ainsi estimée à 85 millions d'euros. Et le chiffre d'affaires de son groupe à 20 millions d'euros, d'après un site spécialisé. Sochaux n'a pas été racheté par l'Etat du Qatar comme le PSG, mais par une PME asiatique désireuse de percer sur le marché français. L'entreprise ne va pas très bien : elle a cumulé 11 millions d'euros de pertes l'an passé, et a prévenu ses actionnaires que l'exercice 2015 ne serait pas brillant. Même la manière surprend les supporters : "comment le numéro 1 d'une entreprise censée devoir se développer à l'échelon mondial peut-il passer entre le tiers et le quart de sa vie à Sochaux ? Ça commence à nous interpeller", s'interroge Fabrice Lefèvre.


Et petit à petit, Bonal se vide. Contre le rival nancéien, en décembre, ils n'étaient que 3 000 dans un stade où deux des quatre tribunes étaient fermées. Et encore moins, sous la neige, contre Niort, mi-janvier, pour une nouvelle défaite. Ceux qui étaient là ont chanté : "Pas d'escroc à Sochaux" et "Jawhar dégage".

Jawhar, c'est l'agent de joueurs Mounir Jawhar, tête de gondole de ce que les supporters appellent la "mafia mulhousienne", ces ex-dirigeants du club alsacien qui gravitent autour du club franc-comtois, sans fonction précise dans l'organigramme. On les accuse de chercher à placer des (mauvais) joueurs, pour toucher des commissions, de faire une OPA hostile sur le club en trahissant ses valeurs. Tous démentent.

Mis en cause, Michaël Gerber, lui aussi agent de joueurs, campe sur le principal forum de supporters du club pour répondre pied à pied à ses accusateurs. Pire, pour se dédouaner de faire partie de la fameuse "mafia", il menace de divulguer des informations embarrassantes pour Monsieur Li. Comme le résume un suiveur du club sur les Cahiers du Football, "on a un potentiel tragi-comique bien supérieur à Strasbourg et Grenoble".

Extension du domaine de la lutte

Strasbourg et Grenoble. Deux clubs rachetés par un investisseur miracle – respectivement iranien et japonais – qui ont coulé à pic, leurs sauveurs ayant retiré leurs billes avant que le navire ne coule définitivement. Deux épouvantails pour les supporters du FC Sochaux qui ont cru un peu trop vite à la poule aux œufs d'or. Mais les fans ne se rendront pas sans combattre : "Nous envisageons toutes les actions nécessaires si nos inquiétudes ne devaient pas être levées", peut-on lire dans la motion de défiance.

Pas sûr que le timide communiqué du club, paru mardi 19 janvier, soit de nature à les apaiser. "Au Supporter club, il va de soi que nous resterons dans le cadre légal, mais je ne réponds pas de toutes les actions des ultras", soupire Jean-François Bonnet. "Je pense que la prochaine étape sera d'appliquer la politique de la chaise vide", estime David.

Un pied en National, l'autre dans la crise économique, l'avenir ne s'annonce pas rose pour les Lionceaux. "Certes, PSA n'investissait plus dans le club, mais on savait qu'ils n'allaient pas faire n'importe quoi avec", soupire David. L'usine Peugeot de la ville est toujours séparée par une rue du stade Bonal, mais le fossé s'agrandit petit à petit. Comme le nuance aussitôt Jean-François Bonnet : "Si on n'avait pas trouvé de repreneur du tout, on serait peut-être dans d'autres difficultés."

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