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"Le confinement a exacerbé les violences" : à la Commanderie, l'OM accueille des femmes victimes de violences conjugales

A l’initiative de l’Olympique de Marseille, le centre d’entraînement de la Commanderie s’est reconverti depuis le 11 avril en hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences conjugales. Piloté conjointement par l’association SOS Femmes 13, la préfecture et l’OM, le projet a déjà permis d’accueillir 18 femmes et enfants en détresse. 
Article rédigé par Théo Gicquel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6 min
 

Frank McCourt, le propriétaire de l’Olympique de Marseille, souhaitait dès son arrivée en 2016 que son club s’inscrive durablement dans le tissu social marseillais. Une volonté d’accroître son impact sociétal pour que l’OM soit plus qu’un club de football. Depuis le début du confinement, le monde du football s’est effacé pour mettre en lumière des luttes vitales. A son échelle, le club phocéen s’est emparé d’une des causes avec le plus de sens pour mettre en oeuvre ce dessein. 

Depuis le 11 avril, la Commanderie, le centre d’entraînement habituel des pros déserté depuis un mois, s’est transformé en centre d’accueil d’urgence pour des femmes victimes de violences conjugales. Initié par le club en lien avec la préfecture des Bouches-du-Rhône, le projet est dirigé par l’association SOS Femmes 13. En plus des infrastructures hôtelières, de la sécurité et du nettoyage, l’OM propose 46 lits normalement dévolus aux jeunes du centre de formation. Son partenaire Sodexo assure le service de repas. “Nous sommes évidemment très heureux de mettre nos infrastructures à disposition de causes utiles en ces temps difficiles.”, explique un responsable de l’OM. Le club marseillais avait déjà fait récemment un don financier de 50 000 euros à l’Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) pour aider à la lutte contre le coronavirus. 

Des repas et des jouets fournis par l’OM

Rapidité, efficacité, chaque partie se félicite de l’émulation du projet, qui accueille aujourd’hui temporairement 18 femmes et enfants sur les 46 places possibles, en plus des 193 dédiées en temps normal dans le département : “Ce dispositif spécifique au confinement a pu être mis en œuvre en moins d’une semaine grâce aux installations et à la réactivité de l’OM”, ajoute la préfecture dans un communiqué. L’association, qui accueille les personnes et fait de l'accompagnement socio-éducatif et psychologique, encadre les femmes et enfants en grande détresse. “On bénéficie du staff de l’OM : il y a des gardiens, le personnel de la Sodexo, des personnes de la direction du club qui passent prendre des nouvelles et faire des dons. De notre côté, nous avons mis en place des personnels intérimaires (animateurs et veilleurs) car l’association n’a pas de structure 24/24. En journée, les éducateurs, animateurs et psychologues viennent au centre.”, précise la directrice Valérie Secco.

Pour pallier le manque de jouets et livres pour les enfants, l’OM a de son côté organisé une collecte auprès de ses salariés, qui a permis de diffuser rapidement des jouets en nombre conséquent. Une action supplémentaire pour favoriser l'accueil de ces femmes, qui satisfait Carine Crépin, psychologue présente à la Commanderie plusieurs fois par semaine. "On a accès à trois bureaux afin de garder la confidentialité. On peut même faire des entretiens à l’air libre puisque les familles ont accès à un petit stade dehors. A SOS Femmes, ce sont des hébergements diffus qui sont déjà pourvus, les femmes y restent plusieurs mois. Là, c’est un hébergement d’urgence qui dure le temps du confinement.”.

Pour des femmes en difficulté, être dans un cadre comme celui de la Commanderie s’apparente à un havre de paix, une bulle de silence qui leur permet de couper avec un quotidien douloureux. Sécurisé et gardé, le centre protège ces femmes de l’extérieur et leur permet d’apaiser les souffrances physiques et psychiques, loin de leur domicile. L’accès à un terrain de football pour les enfants permet également une ouverture sur l’extérieur. “C’est un cadre idyllique, paisible. Beaucoup de conditions sont réunies pour apaiser les esprits qui arrivent souvent fatigués, épuisés et dans des situations très complexes de séparation. Car même lorsque le conjoint est violent, il n’en demeure pas moins qu’on vient mettre un terme à une relation et à beaucoup d’autres choses. Ici, la plupart viennent avec des sacs et deux valises. C’est un peu un saut dans le vide de quitter le domicile conjugal, se dire qu’il vaut mieux partir que continuer à subir des violences.”, précise Valérie Secco.

Un cadre qui libère la parole

Sur les 18 femmes et enfants déjà présents, plusieurs ont fui des logements petits, parfois insalubres, rendus difficilement vivables avec l’annonce du confinement. Après un appel au 115, elles ont été redirigées vers la Commanderie. “Le confinement est déjà compliqué quand on vit avec des enfants dans un logement exigu. Quand il y a déjà violence conjugale, parfois également sur les enfants, cette proximité n’arrange rien.”, continue la psychologue Carine Crépin. La présence rassurante des membres de l’association, la prise en charge par l’OM et le cadre propice favorisent des contacts parfois difficiles à établir. “Elles peuvent se mobiliser psychiquement, se poser et souffler. Pouvoir se dire “Je suis en sécurité”, ça favorise la libération de la parole.”

Avec un espace aussi vaste, le risque de transmission du coronavirus est réduit mais il est bien réel, avec des contacts rapprochés fréquents lors des entretiens avec les psychologues. Pour éviter toute contamination, les femmes sont logées dans des chambres individuelles, qui disposent chacune d’une douche. "Il y a deux services pour les repas. On colle des scotchs par terre pour respecter les distances, on met des files d’attente. Mes salariés ont des masques et du gel, des gants s’il le faut. On prend beaucoup de précautions. On a accès à des salles d’entretien assez grandes, où on peut avoir plusieurs mètres de distanciation.”, rassure la directrice Valérie Secco.

Une aggravation des violences pendant le confinement

Ce dispositif fait écho aux difficultés croissantes rencontrées par les femmes victimes de violences conjugales depuis le début du confinement. Interrogé sur France 2 le 26 mars, le Ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait relevé une augmentation des violences conjugales en Ile-de-France de 32 % en plus en zone gendarmerie et 36 % en zone police de Paris, suite à l’annonce du confinement. Au plus près de la situation, Valérie Secco nuance pourtant cette assertion. “Au niveau de SOS Femmes, on ne constate pas vraiment une augmentation du nombre de femmes victimes de violences conjugales. Lors des quinze premiers jours après l’annonce du confinement, il y a eu une baisse des appels. Cela s’explique par le fait que, si elles sont avec l’auteur au domicile, ça peut être compliqué de prendre le téléphone pour indiquer la situation de danger", analyse la directrice.

"Avec le confinement, il est tout à fait probable que certaines femmes ont été dans la gestion de ce réaménagement de la vie, car il y a beaucoup de femmes qui supportent très longtemps ces violences avant d’en parler. Certaines femmes sont même dans le déni. De mon point de vue, je ne pense pas que le confinement ait rendu des gens violents. Par contre, ce qui est certain, c’est qu’il a exacerbé les violences déjà préexistantes.”, continue-t-elle. Avec plus de 5 000 faits constatés en 2019, les violences conjugales sont particulièrement présentes dans les Bouches-du-Rhône, détaille la préfecture dans son communiqué. 

La reprise du championnat de Ligue 1, synonyme du retour des joueurs à la Commanderie, est encore loin d’être à l’ordre du jour. Mais la question de la durée de la prise en charge devra se poser autour de la date du 11 mai, alors qu’un flou persiste quant à l’application concrète des mesures à cette date. “C’est une unité d’hébergement d’urgence, qui a donc objectif qu’on leur trouve d’autres solutions. C’est éphémère. On a une date jusqu’au 11 mai, ensuite j’attends les directives. On a été prévenu, dans notre tête c’est très clair dans la manière dont on met en place ce partenariat.”, anticipe Valérie Secco. “Dans cet endroit, on ne parle pas de thérapie. C’est une ébauche de travail pour que les femmes puissent poser les enfants et des mots sur la violence, apaiser leurs angoisses. A SOS Femmes, c’est du long terme, ici c’est beaucoup plus court.”, conclut la psychologue Carine Crépin.

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