Atlético, la fête puis la gueule de bois
C'est l'histoire d'une équipe condamnée à gagner. Une équipe moyenne devenue poil à gratter des grosses écuries sous l'impulsion d'un homme, Diego Simeone. Hier soir, sur la pelouse du stade Vicente-Calderon, le contraste était saisissant entre les sénateurs du Barça et la meute de loups de l'Atlético Madrid. Les poteaux de la cage de Pinto bougent encore ce matin suite aux trois coups de canon signés Adrian Lopez et Villa venus s'y fracasser la veille. Oui, les troupes de Don Diego avaient faim. Et pour cause. Plus que l'honneur d'une institution trop souvent ombragée par le voisin madrilène, elles défendent leur droit à rêver d'un avenir radieux. Endettés à hauteur de 438 voire 450 millions d'euros, les Colchoneros ont un pied dans le vide et l'autre sur un fil fragile. "La situation financière de l'Atlético est dramatique", s'alarme Jaume Llopis, professeur à l'IESE business school et spécialiste de l'économie du football.
L'Atlético doit 185 millions d'euros au fisc
Quand le Real Madrid et le FC Barcelone, ses deux adversaires au sommet de la Liga, lèvent 500 millions d'euros par an, l'Atlético doit se contenter de 120 millions d'euros pour l'exercice 2012-2013. Installé dans un stade vétuste et handicapé par une masse salariale colossale représentant 90% de ses gains annuels, l'actuel leader du championnat d'Espagne n'a pas de marge de manoeuvre. "Ou ils continuent en Ligue des champions et remportent un titre inattendu, ce qui satisfera les sponsors, ou ils ne parviendront pas à redresser leur situation précaire", expose Llopis à Reuters. En ralliant le dernier carré de la plus prestigieuse des compétitions européennes, les Rojiblancos sont certains de toucher plus de 40 millions d'euros via l'UEFA et les droits télé, sans compter les retombées sponsors qu'évoque l'économiste espagnol. Une bouffée d'oxygène aux fausses allures de solution miracle.
Longtemps épargné par le pouvoir politique, en témoignent les 185 millions d'euros de dette cumulés auprès du fisc par le passé, l'Atlético, comme l'ensemble du football espagnol, ne jouit plus de la même impunité. En avril 2012, la ligue de football professionnel espagnole, le ministère des sports et le conseil supérieur du sport ont conclu un accord: les administrations publiques devront être remboursées d'ici 2020. Pour ce faire, le gouvernement Rajoy a choisi de frapper fort. Dès la saison prochaine, chaque club espagnol déposera auprès de la Ligue de football 35% des droits télés perçus. S'il n'est pas à jour de ses obligations fiscales, cette part prendra la direction des caisses de l'Etat voire d'autres créanciers. En cas de non-respect de ces mesures ou d'informations erronées concernant leur dette fiscale, les clubs ibères risquent l'exclusion des trois premières divisions professionnelles.
Condamnés à rentrer dans le rang
Problème supplémentaire pour les partenaires d'un Koke étincelant hier soir, les droits de rediffusion de la Liga sont gérés individuellement. Chaque formation doit négocier de gré à gré avec une chaîne. Dans ce contexte, le Real et Barcelone trustent plus de la moitié des revenus audiovisuels à eux deux. Les autres se contentent des miettes. Pour contester cette hégémonie, les Matelassiers devront lutter plusieurs années avec les deux mastodontes. Une mission impossible pour Angel Barajas, professeur d'économie et de comptabilité à l'université de Vigo. "Ce qui n'est pas viable sur le long terme, c'est de rester en course pour des sacres en Liga et en Europe, aux côtés de clubs qui gagnent deux fois plus d'argent qu'eux." Pour lui, le club de la banlieue sud de Madrid n'a pas le choix: il doit rentrer dans le rang. "La situation de l'Atlético est problématique à cause du niveau de sa dette mais, s'ils réussissent à maîtriser les salaires et à vendre des joueurs pour obtenir des liquidités, tout en préservant leur modèle sportif, ils pourront conserver un bon niveau."
Dans le passé, Fernando Torres, Kun Aguero et David De Gea ont quitté le pays de Cervantes pour rejoindre des clubs plus fortunés contre des sommes à huit chiffres, mais des joueurs chers les ont remplacé. En juin, lorsque le Tigre Falcao a pris la direction de Monaco, Diego Costa, déjà présent dans l'effectif, a eu les faveurs de ses dirigeants. Et David Villa a été acheté à prix cassé. A côté d'eux, des joueurs à fort potentiel issus d'équipe de rang inférieur ou du centre de formation se sont greffés avec succès au 11 type des Colchoneros. Le signe d'une nouvelle politique qui n'a pas encore porté ses fruits, sauf sur les terrains où la bande à Simeone fait des miracles. "Cette année, en raison des excellents résultats de l'équipe, les problèmes économiques sont occultés", explique Llopis. Appuyé par l'office de tourisme d'Azerbaïdjan grâce à l'entremise du propriétaire du RC Lens Hafiz Mammadov et profitant de son statut de club de la capitale selon Jose Maria Gay, spécialiste de l'économie du football, l'Atlético Madrid a bénéficié de la mansuétude du système espagnol envers le "deporte Rey" (sport roi). Plus dure sera la chute à l'heure du réveil. En attendant, le peuple Rojiblanco a le droit de rêver en grand.
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