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Ligue 1 : Mediapro, "un projet utopique" selon Pierre Maes

Détenteur des droits de la Ligue 1 et la Ligue 2 pour la période 2020-2024, Mediapro s'est adressé via son président Jaume Roures, aux représentants des clubs lors de l’assemblée générale de la Ligue Professionnelle de Football (LFP). Si M. Roures s'est voulu rassurant, Pierre Maes, auteur du livre "Le business des droits TV du foot" et ex-gestionnaire des droits sportifs pour Canal+ Belgique, reste sceptique sur le projet du groupe espagnol qu'il juge "utopique".
Article rédigé par Adrien Paquier
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
 

Mediapro lancera-t-il sa chaîne 100% football français l'été prochain ? Jeudi, le président du groupe espagnol, propriétaire de la majorité des droits télé de la Ligue 1 contre un chèque record de 1,153 milliard d'euros sur quatre ans, s'est présenté devant les présidents des clubs lors de l'assemblée générale de la LFP. Cependant, le groupe Mediapro n'apporterait pas toutes les garanties financières, et la création de sa chaîne en France, qui n'a toujours pas de nom, peine à prendre forme. Un projet auquel le consultant international en droits télé du sport Pierre Maes, auteur du livre "Le business des droits TV du foot" et ex-gestionnaire des droits sportifs pour Canal+ Belgique, a du mal à croire.

"Le consommateur a en main l’arme atomique. C’est le piratage."

La stratégie du groupe Mediapro est-elle viable ?
Pierre Maes : "Il y a une certaine unanimité pour dire que les données que l’on a aujourd’hui, c’est-à-dire un abonnement au prix de 25€ et un nombre d’abonnés à atteindre de 3,5 millions, tout ça semble utopique. Je suis d’accord avec ça. Quiconque qui a été dans le business de la télévision à péage sait à quel point il est difficile d’acquérir un abonné et encore plus de le garder. En ces temps où le piratage prend de plus en plus d’importance c’est un véritable challenge auquel Mediapro est confronté. C’est presque une montagne. D'autant plus qu'ils n'ont que le foot français à proposer, et pas tout le foot français (Canal+ dispose du lot 3 soit la diffusion de deux affiches de Ligue 1 lors de chaque journée, ndlr.) Il faut savoir aussi, s'ils n’ont pas d’accord de distribution, que Mediapro va démarrer avec zéro abonné. Cela veut dire qu’ils vont avoir des frais massifs : les droits, la production mais aussi le marketing. Il faut convaincre le public de venir s’abonner donc il faut engager des dépenses marketing importantes. Au jour un, s’ils n’ont pas d’accord de distribution qui leur assure un minimum garanti, ils partent avec zéro euro de revenu." 

Ce projet est-il voué à ne pas voir le jour ?
P.M.
: "On peut dire que ce challenge semble difficile à relever, si pas carrément impossible. Ils savent qu’ils n’auront pas 3,5 millions d'abonnés au lancement de la chaîne, et la nuance est qu’ils ont la chance dans le deal avec la LFP d’avoir un engagement de quatre ans au lieu de trois, comme on a l’habitude de voir dans toute l’Europe. Cela leur donne un peu plus de temps pour atteindre cet objectif de 3,5 millions d’abonnés."

"Est-ce que Mediapro a vraiment envie de lancer une chaîne ?"

Dans ce projet, la Ligue et les clubs y trouvent leur compte au détriment du public...
P.M.
: "C’est souvent le cas dans le domaine de la bulle des droits sportifs. La situation du consommateur payeur, j’appelle ça dans mon livre le "con-sommateur", car il est pris pour un cochon payeur. 25€ par mois pour pas tout le foot français ça fait cher. Aujourd’hui, malheureusement pour les Ligues, les clubs, le consommateur a en main l’arme atomique. C’est le piratage."

D'autant plus que l'environnement est flou autour d'une chaîne qui n'existe toujours pas...
P.M.
: "L’environnement est très incertain et pose la question: 'Est-ce que Mediapro a vraiment envie de lancer une chaîne ?' Il ne faut pas oublier qu’à la base, c’est une agence, "des brokers". Ils achètent des droits et ils les revendent. C’est clair que pour eux, je me mets à leur place, l’option privilégiée est de revendre les droits avec une mini marge. Au départ on a introduit pour la première fois dans l’appel d’offres la possibilité de sous-licence. C’était quelque chose pour attirer Mediapro. La Ligue savait très bien qu'ils allaient faire une offre pour les avoir rencontrés à plusieurs reprises. Mais une des conditions indispensables pour que Mediapro fasse une offre conséquente, c’est qu’il y ait cette possibilité de sous-licence."

Le groupe Mediapro donne-t-il toutes les garanties financières ?
P.M.
: "Orient Hontai Capital, l’actionnaire de Mediapro est très peu connu et aurait un chiffre d’affaires de deux milliards d’euros annuel (1,6 milliard en en 2017 ndlr.), ce qui est une petite boîte. Comment une boîte pareille peut garantir le paiement de 780 millions d'euros par an pour la Ligue 1, plus la L2, plus le marketing et la production ? Ca revient à une ardoise d'environ 950 millions d’euros. Et il ne faut pas oublier qu’à ça, s’ajoute ce qu’ils doivent payer à la ligue italienne. Ils ont fait une offre pour la Serie A de 1,3 milliard d'euros par saison. Ce qui amènerait leur engagement sur plus de deux milliards d’euros par saison pour un petit acteur comme ça. S’il s’agissait d’Amazon on n’aurait pas peur, mais Orient Hontai Capital, d’après les informations qui ont filtré jusqu’ici, n’a pas le tiers du quart de cette taille."

"Mediapro est plus connu pour faire de la production low-cost."

La baisse de l’intérêt des championnats nationaux au détriment de la Ligue des champions, qu'ils n'ont pas acquis, est-il aussi un frein au développement d'une nouvelle chaîne ?
P.M.
: "On le voit dans la plupart des pays d’Europe et d’avantage dans le "Big Five" européen. La Ligue des champions a acquis une popularité et un retentissement impressionnant. C’est une évidence. Mais il en reste pas moins que dans tous ces pays le produit numéro un reste le championnat national. Mais on a un phénomène dans tous les pays où l’écart s’agrandit entre deux produits phares : le championnat national et la Ligue des champions d'un côté, et les autres compétitions. Cependant, le rachat de la dernière année des droits pour la C1 à Altice (2020-2021, ndlr.) est une idée d’une grande stupidité. S’ils achètent ça seulement pour un an, ils devront ensuite justifier auprès de leurs abonnés pourquoi ils ne l’ont plus. Aujourd'hui, une grande partie des acheteurs de droits se plaignent de la brièveté de ces accords. Ils se disent : 'En trois ans comment je peux récupérer ma mise'. Alors là, sur un contrat d’un an, c’est se tirer une balle dans le pied."

Si Mediapro réussit son pari, peuvent-ils révolutionner la Ligue 1 ? 
P.M.
: "Suite à l’assemblée générale de la LFP, Mediapro a fait une annonce comme quoi il allait rendre le foot français  plus attractif et développer des moyens de production innovants. Ça me fait un peu sourire. Quand on arrive avec des arguments pareils dans le pays de Canal+, qui a été un précurseur dans la retransmission de compétitions sportives et qui tâche à être toujours innovant, je suis sceptique. Mediapro est plus connu pour faire de la production low-cost. Je ne sais pas s'ils vont mettre une caméra dans le ballon mais ce n’est pas ça qui va faire qu’un abonné va payer 25€."

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