Ligue 1 : avec un nouveau stade à capacité réduite, Brest propose-t-il un nouveau modèle pour le foot français ?
Le Stade Brestois va s'offrir une nouvelle enceinte de 15 000 places, une capacité similaire à celle de l'actuel stade Francis-Le Blé à compter de 2026.
Comme un serpent de mer d'Iroise. Mercredi 30 mars, les dirigeants du Stade Brestois ont officiellement présenté le projet de nouvelle enceinte. Annoncé une première fois en 2018, le stade devrait voir le jour en 2026. Outre son architecture atypique, en forme de coque de bateau, l'enceinte détone face aux gigantisme des nouveaux stades du Havre ou du Mans construits dans la dernière décennie.
L'idée est de conserver une capacité de 15 000 places, comme à Francis-Le Blé, ce qui est plutôt bas pour un nouveau stade. "C'est un projet raisonnable, pas un de ces stades à moitié vides", a salué le président socialiste de Brest métropole, François Cuillandre, en conférence de presse.
Le son de cloche est partagé par Denis Le Saint, l'un des deux frères co-présidents du club : "On a bien vérifié, il y aura suffisamment de places pour que ce soit rempli à 95% en L1 et 75% en L2". Cette saison, Brest affiche un taux de remplissage de 76% dans l'élite, avec 11 300 spectateurs de moyenne (deux matchs disputés à jauge réduite à 5 000 spectateurs n'ont pas été comptés). Autrement dit, l'objectif est de se doter d'une enceinte plus moderne – des panneaux photovoltaïques et des éoliennes sont notamment prévus – sans en augmenter la capacité.
Le Mans, catastrophe à éviter
Est-ce à dire que ce modèle va s'implanter durablement en France ? Il tranche en tout cas drastiquement avec les projets pharaoniques sortis de terre au tournant des années 2010. "Après le rapport Besson de 2008, la LFP a souhaité des stades modernes et fonctionnels, pointe Jean-Pascal Gayant, professeur d'économie à l'Université du Mans. Un dispositif de 'licence club' attribuait des points en fonction de certains critères liés aux infrastructures, pour récolter une meilleure part des droits TV. Les choix étaient alors ambitieux et pas forcément économiques."
Des grands stades ont alors vu le jour à Lyon, Lille, Bordeaux ou Nice. Mais ces projets, portés par des métropoles de plus d'un million d'habitants, s'inscrivaient dans la logique d'organiser l'Euro 2016. D'autres aires urbaines plus modestes, comme Le Mans, Le Havre et Valenciennes, ont eu les yeux plus gros que le ventre en se dotant d'écrins de 25 000 places.
Financièrement, même les plus grosses collectivités encaissent le coup. Ces stades ont, pour la plupart, été financés via des "partenariats public-privé" (PPP). À Lille, par exemple, les collectivités locales ont assumé 44% des coûts, contre 56% pour la fililale d'Eiffage. En échange, cette dernière est propriétaire du stade pendant 31 ans et reçoit donc un loyer de plusieurs millions d'euros. À court terme, les collectivités ont pu présenter un stade flambant neuf à un coût moindre. À long terme en revanche, le trou financier est béant. L'association citoyenne bordelaise TransCub a ainsi estimé que le stade coûterait aux contribuables 551 millions d'euros contre 175 annoncés au moment de l'obtention du contrat.
À Valenciennes, au Mans et au Havre, le résultat de ces projets est famélique, même pour les partenaires privés – Eiffage n'a, depuis 2016, pas lancé de sixième PPP concernant la construction d'un stade. Depuis sa construction en 2012, le Stade Océane du HAC accueille en moyenne 8 000 spectateurs par an en Ligue 2. C'est à peine mieux pour le Stade du Hainaut – 9 000 malgré trois saisons en Ligue 1 – et surtout bien pire pour le MMArena du Mans.
Imaginée alors que l'ex-MUC 72 était installé en Ligue 1, l'enceinte mancelle est l'exemple emblématique de cette démesure. Miné par les descentes à répétition du Mans FC, le stade accueille cette année moins de 4 000 spectateurs en moyenne en National. Même en Ligue 2, peu après son inauguration, plus de la moitié des sièges restait vide.
"Il aurait été plus raisonnable de faire un stade de 18 000 places au Mans. Ces stades doivent être pensés pour la Ligue 2, plus quelques années fastes en Ligue 1, comme pour Brest."
Jean-Pascal Gayant, économiste à l'Université du Mansà franceinfo: sport
En prévision du passage de l'élite à 18 clubs, pour la saison 2023-2024, les dirigeants finistériens sont conscients de cette limite. "On est ambitieux, mais raisonnables. Notre place, c'est entre 10e de L1 et 10e de L2", a confirmé le co-président Gérard Le Saint lors de la présentation du stade. Avec 320 000 habitants, l'aire urbaine de Brest est comparable à Valenciennes, Le Havre et Le Mans.
"Les métropoles savent que, pour survivre, il faut des droits TV et ratisser le tissu économique environnant, ajoute Jean-Michel Roux, enseignant en urbanisme à l'Université de Grenoble-Alpes. Ne plus avoir de stade trop grand est devenu essentiel." D'où l'idée de donner 3 200 places en loges sur les 15 000 au total. "C'est une approche 'business', et non 'public'", poursuit l'urbaniste. Confronté à des problèmes de remplissage de son stade Auguste-Delaune, le Stade de Reims a, lui aussi, exploré la piste d'une réduction de capacité commerciale pour favoriser les loges. Deux ans plus tard, le projet reste au point mort.
"Brest n'a pas de très gros sponsors ni de mécènes. Mais le territoire du Finistère les soutient, et beaucoup de PME veulent des places. Ces gens-là font tourner la boutique."
Jean-Michel Roux, professeur d'urbanisme à l'Université de Grenoble-Alpes.à franceinfo: sport
Cette saison, Brest a expérimenté un nouveau système de billetterie loin de faire l'unanimité parmi les supporters. Pour chaque match à Francis-le-Blé, les premiers billets sont commercialisés à des tarifs très élevés, avant de voir leur prix décroître à l'approche de la rencontre. L'idée de jouer sur la demande va indéniablement être renforcée par le nouvel antre. Jean-Michel Roux voit, dans cette stratégie de "créer la pénurie", une influence du modèle du Stade rochelais. Les 16 000 places du stade Marcel-Deflandre trouvent systématiquement preneur, à tel point qu'il existe une liste d'attente pour assister aux rencontres de Top 14.
Des métropoles plus importantes séduites par le modèle ?
Dès 2011, la Juventus Turin a, aussi, opté pour un nouveau stade de 41 000 places, quand son ancien Stadio delle Alpi comptait près de 70 000 sièges. "Mais les recettes billetterie et 'hospitalités' ont augmenté, relève l'économiste Jean-Pascal Gayant. C'est contre-intuitif, mais il n'y a pas toujours une liaison positive entre taille du stade et retombées économiques." Chez certaines métropoles françaises importantes, le modèle turinois suit son court.
Les cas bordelais et niçois, où les grands stades rarement remplis représentent des gouffres financiers pour les pouvoirs publics, en ont rebuté plus d'un. À Montpellier, le nouvel écrin – financé par des fonds privés – comptera 24 000 places, soit 8 000 de moins qu'un stade de la Mosson aux tribunes vétustes et clairsemées. Avec une aire urbaine deux fois plus peuplée que la ville finistérienne, les risques paraissent minimes. "De toute façon, tout le monde regardera avec beaucoup d'intérêt le nouveau stade de Brest. Il y a un côté novateur !", conclut Jean-Pascal Gayant.
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