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Gros sous, combines et grande gueule : Rolland Courbis, l'entraîneur flambeur du foot français

C'est l'histoire d'un coach, fraîchement nommé au Stade Rennais, qui a joué au casino, brillé sur les bancs, comparu au tribunal, entretenu des amitiés avec des mafieux et qui pense à son 4-3-3 en visionnant "Titanic".

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Rolland Courbis, alors entraîneur de Montpellier, sur le banc face au PSG, le 21 août 2015, au stade de la Mosson.  (JEAN CATUFFE / GETTY IMAGES EUROPE)

Dès son arrivée sur le banc, il a provoqué un miracle. Rolland Courbis, 62 ans, a fait gagner sa toute nouvelle équipe de Rennes dès son intronisation , le 22 janvier. Les supporters bretons, habitués aux malédictions, attendaient une victoire à domicile... depuis l'inauguration du stade, le 29 août. Succès acquis grâce à un but contre son camp d'un défenseur adverse à la 93e minute. "Je ne vois pas ce que j'ai pu apporter, à part d'être un porte-bonheur", a reconnu Courbis. Cela expliquerait peut-être pourquoi toutes les équipes de L1 s'arrachent cet entraîneur à l'accent chantant, à la voix rocailleuse et à la langue bien pendue depuis trente ans, malgré une fâcheuse tendance à jouer au Poulidor. "Grande gueule, palmarès anémique", raillait déjà Libération en 2001. Les Rennais, qui affrontent Bordeaux, dimanche 31 janvier, sont prévenus.

Rolland Courbis –"avec deux l, ça lui permettra de mieux voler", a insisté le paternel auprès de l'officier d'état-civil en 1953– est un enfant de Marseille. Son père est gardien de la paix, sa mère fait les meilleurs cannellonis sauce financière de la ville. Son rêve, c'est l'OM. Il signe au club comme joueur en 1972... et quelques mois plus tard, après à peine quatre matchs joués sous le maillot blanc, son club le brade, avec quatre autres joueurs, pour récupérer l'international Marius Trésor, alors à Ajaccio. Rolland Courbis y perdra ses illusions sur l'amour du maillot. Il entame une riche carrière de défenseur, avec deux titres de champion glanés avec Monaco, où sa tignasse bouclée inspire la terreur aux attaquants adverses. Et aux journalistes : Michel Denisot, jeté dans une piscine en direct sur "Téléfoot", peut en témoigner.

Côté finances, tout va bien, merci, depuis un lucratif passage à l'Olympiakos. A l'époque, en Grèce, dirigée par une junte militaire, les joueurs étrangers sont interdits. A moins d'avoir un ancêtre grec. Courbis remonte cinq générations, n'en trouve pas et s'invente un Alexandre Courbis, qui habitait autour de 1800 autour de Salonique. Menteur ? Oui, mais pas tout seul. "D'ailleurs c'était rigolo car il y avait un milieu de terrain uruguayen qui s'appelait Vieira et qui avait le même arrière-grand-père que moi dans la même région", se souvient-il dans So Foot

Maserati, casinos et comtesse italienne

Rolland Courbis, alors entraîneur de Toulon, plaisante avec Bernard Tapie, président de l'OM (à gauche), le 4 avril 1989 à Marseille. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

Courbis devient naturellement entraîneur au milieu des années 1980 et fait ses classes au Sporting Toulon. Budget modeste, résultats remarquables. Il a un truc : une caisse noire, pour rémunérer les joueurs sans que les impôts mettent leur nez dans la comptabilité. "J'avais le choix entre mourir de faim ou voler pour manger, j'ai volé pour manger", plaide Courbis, qui passe 98 jours en prison à l'issue du procès, en 1990. Vingt ans plus tard, le quotidien belge Le Soir s'intéresse de nouveau à l'affaire, et met en évidence les liens entre Courbis et le sulfureux agent belge Luciano d'Onofrio, qui auraient mis au point un complexe système de rétrocommissions.

Courbis, clope au bec et barbe fleurie sur le bord du terrain, ne brille pas que sur le rectangle vert. Il vit dans une somptueuse villa, rachetée à l'acteur Curd Jürgens, porte des costumes Armani sur mesure sur le bord du terrain quand la mode est encore au survêtement à la Guy Roux, et s'offre des virées dans les casinos de la Côte dans sa Maserati. A son bras, la comtesse italienne Maria-Luisa Rizzoli, veuve d'un magnat des médias, joueuse professionnelle, qui confiera avoir perdu 75 millions de francs sur les tapis de roulette. Il se murmure qu'elle lui a offert un hors-bord à 3,5 millions de francs pour leurs fiançailles. "Que veut-on ? Que je m'excuse ? Bien ! Je m'excuse. Oui, j'ai rencontré une jeune fille belle, riche, intelligente, célèbre. C'est promis, la prochaine, je la choisirai moche, conne et fauchée", se défend Courbis, surnommé à l'époque "le Parrain de la rade", note le Nouvel Obs.

Il a le nez creux en achetant Zinédine Zidane à Cannes

Le couple est chanceux au jeu. Un peu trop. La police les soupçonne d'être de mèche avec un des croupiers du casino du Palm Beach de Cannes. L'affaire ira en justice, le couple sera blanchi. "Le problème au casino, c'est que quand tu perds, tu as des ennuis avec ton banquier, et quand tu gagnes, c'est avec la police", commente Courbis avec son inimitable art de la formule. L'amour des casinos avec vue sur la Méditerranée lui a fait refuser le PSG. Francis Borelli voulait lui confier l'équipe. Courbis rétorque qu'il "préfère se la couler douce sur la Côte". 

Rolland Courbis prend son petit-déjeuner, en 1993, à Marseille.  (DIDELOT/SIPA / SIPA)

Au casino, Courbis développe de solides réflexes de bluff qui lui seront particulièrement utiles sur le marché des transferts. Devenu coach de Bordeaux, il négocie à l'intersaison 1992 l'arrivée d'un joueur de Cannes, et lance, innocemment, aux dirigeants cannois : "Et Zidane, vous le vendez à l'OM, comme prévu ?" "Non, ils n'en veulent plus." Aussitôt, Courbis écrase le pied du président bordelais Alain Afflelou. Les deux hommes repartent avec le jeune meneur de jeu, qu'ils revendront cinquante fois la mise à la Juventus quatre ans plus tard.

Malgré ses casseroles judiciaires, Courbis exerce un pouvoir de séduction incroyable sur les dirigeants du foot français. Et même mondial : il a entraîné au Niger, en Russie, aux Emirats arabes unis, en Algérie, en Suisse. Jugez vous-même à l'aide de la carte ci-dessus. Il est auditionné pour diriger les Bleus en 1993. Il manque de prendre en main Monaco en 1996... après avoir esquissé le recrutement gagnant du club qui deviendra champion de France. Mais parvient à convaincre Robert Louis-Dreyfus, le milliardaire qui dirige Adidas, de lui confier l'OM. "RLD" demande des garanties : "Pas de matchs arrangés ou achetés, pas de dopage, pas de magouilles", raconte Courbis dans son autobiographie, intitulée Pourquoi mentir ? il pose avec un Pinocchio en couverture. Seules les deux premières conditions seront respectées. 

Blessé dans un règlement de comptes

Louis-Dreyfus a raison d'avoir peur. Rolland Courbis cultive de solides amitiés dans le milieu. "Quand tu es né dans certains quartiers de Marseille, la fréquentation de gros voyous, ce n'est ni un mythe, ni un choix, c'est une obligation", reconnaît-il, cité dans le livre Histoire secrète de l'OM, de David Garcia (éd. Flammarion, 2013). Alors qu'il sort du stade de Hyères (Var) avec le président du club de Calvi, le 29 mars 1996, une voiture s'arrête à leur hauteur et ouvre le feu. Dominique Rutily, qui marche à côté de Courbis, ne se relèvera pas. Deux gangsters l'achèvent à bout portant. Son tort ? Faire partie du gang de la Brise de mer, du nom d'un bar de Bastia. Courbis est blessé, touché par une balle qui a ricoché sur le goudron. Ce qui l'empêche de courir... et l'a longtemps privé du diplôme d'entraîneur, faute de pouvoir s'aligner aux tests physiques. C'est aussi Courbis qui fait entrer des pontes du milieu marseillais au Vélodrome : Richard Laaban, via des sociétés de sécurité et Richard Deruda, dont le fils Thomas a joué à l'OM, avant de le suivre à Montpellier puis Ajaccio. 

"Avec de l'argent, tu n'es pas sûr de réussir, sans argent, tu es sûr d'échouer", a un jour déclaré Courbis, cité dans un livre consacré à Bernard Tapie. Une fois à l'OM, de 1997 à 1999, il a enfin les moyens de ses ambitions et bâtit une équipe pour conquérir le titre. Pour impressionner le milieu offensif Robert Pirès, qui n'avait jamais quitté le cocon messin, il va le chercher en hélicoptère. "J'ai à peine le temps de reprendre mes esprits que Rolland Courbis est déjà en train de m'expliquer son plan de jeu pour la saison prochaine", écrit Pirès dans son autobiographie. "J'ai l'impression d'être dans une série américaine. Un mélange de Supercopter pour le bureau volant, et Dallas pour le magot qu'on me propose."

Rolland Courbis, accueilli en héros à Marseille après la qualification en finale de la Coupe UEFA contre Bologne, le 21 avril 1999. (MAXPPP)

Sur le terrain, l'OM de Courbis manque d'un cheveu le titre en juin 1999. Le Bordelais Pascal Feindouno donne la victoire et le titre à son club, à la dernière minute du dernier match face au PSG, au Parc des Princes. Son palmarès demeure toujours vierge en France.

Courbis se saborde en transférant beaucoup de joueurs en dépit du bon sens dès sa deuxième intersaison. Débarque à prix d'or un jeune Argentin inconnu, Pablo Calandria. Troisième salaire du club, 20 matchs dans l'équipe réserve, 30 minutes chez les pros. Lors du procès des transferts de l'OM, le procureur, cité par les Cahiers du football, s'interroge: "Vous achetez les droits d’un joueur argentin mineur à une société anglaise. Un gars normalement constitué, élevé en Europe occidentale, ayant fait un peu d’études, devrait se demander dans quel guêpier il s’est fourré, non ?" Réplique de son avocat – aussi porté sur la gouaille que son client : "En Angleterre, quand on a de bons entraîneurs, on les anoblit. En France, quand on a de bons entraîneurs, on les traduit devant le tribunal correctionnel."

Les pingouins et "Titanic"

L'homme n'est plus à un contrepied près. Après avoir critiqué le climat "polaire" de Lens quand il coachait l'OM, il débarque dans l'Artois la saison suivante, en 2000-2001. Au premier rang, derrière son banc, une impressionnante collection de pingouins. L'un d'eux, dédicacé par Courbis ("avec toute ma chaleur"), est toujours à vendre sur internet, 15 euros. L'histoire d'amour a tourné court. Le Méridional ne se sent pas intégré, ses recrues exotiques s'avèrent décevantes, les résultats ne suivent pas. "Ce sont des braves gens, mais qui ont une certaine solidarité entre eux et par moment, tu t'aperçois vraiment que tu n'es pas de la région", rumine-t-il toujours

Même après ses échecs, Courbis rebondit toujours. L'entraîneur est perçu comme un meneur d'hommes hors pair, jamais avare d'idées pour galvaniser ses joueurs. Idées qui ne sortent jamais du vestiaire, ou presque. Tout juste sait-on qu'il faisait piétiner le poster de l'équipe adverse par ses joueurs quand il entraînait Toulon. L'esprit toujours en éveil, Courbis passe six heures par jour collé à son téléphone portable. Même lors des entraînements. Cet hyperactif appelle ses joueurs au milieu de la nuit pour leur soumettre une idée. Et pendant le film Titanic, il n'a pas versé sa petite larme quand Leonardo DiCaprio est englouti dans l'eau glacée. Il avait autre chose en tête. "Si le réalisateur savait le nombre de schémas tactiques que j'ai imaginés pendant que son bateau coulait..." confie-t-il à L'Express.

"Des conneries pareilles, ce n'est pas grave"

La joie de Rolland Courbis, entraîneur de Montpellier, après l'accession en Ligue 1 acquise au terme d'un match à domicile face à Strasbourg, le 29 mai 2009. (PASCAL GUYOT / AFP)

Roi des schémas tactiques, roi des schémas d'optimisation fiscale aussi. Quand il était à l'OM, la moitié de sa rémunération était constituée de commissions, de primes et même de stock-options Adidas. " A certains moments de ma vie, j'avais du mal à verser en impôts 55 % de mes revenus", reconnaît Courbis dans Le Monde. Remercié, il a menacé d'aller aux prud'hommes pour dénoncer cette usine à gaz. Banco : le club lui a versé, fin 1999, le reste de son contrat, soit la coquette somme de 20 millions de francs, raconte le journaliste Renaud Lecadre dans son livre Les super bonus du foot (Presses de la Cité, 2011). 

Les fausses factures, les commissions, les ennuis avec le fisc –"des matchs que je joue à neuf contre onze", a-t-il coutume de dire– pas le genre de casseroles qui vous mettent au ban de la planète foot. "Je m'en bas les couilles complet, s'il me fait monter en première division, assumait Louis Nicollin dans son langage fleuri, alors qu'il embauchait une première fois Courbis à Montpellier en 2007. Bien sûr, s'il vendait de la drogue ou violait les petites filles, ça m'emmerderait. Ça, j'accepterais pas. Mais pour des conneries pareilles, c'est pas grave". Une position largement partagée dans le football français.

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