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Euro 2016 : la liste des 23, une équation complexe à l'origine de psychodrames depuis 1998

On prend les paris : la liste des joueurs sélectionnés pour disputer l'Euro, dévoilée ce soir par Didier Deschamps, va susciter débats et controverses même si le cas Benzema est tranché depuis des mois.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le clin d'oeil mutin du nouveau sélectionneur de l'équipe de France de football, Didier Deschamps en conférence de presse à Paris, le 9 juillet 2012. (MAXPPP)

Comme d'habitude, Didier Deschamps passe par la grand-messe du 20 heures pour annoncer sa liste des 23 joueurs retenus pour l'Euro 2016. Le technicien tricolore proposera probablement, jeudi 12 mai, une liste de 30 comprenant sept réservistes. Si le cas Benzema est tranché, les dossiers Valbuena, Lacazette ou Ruffier sont en balance. De quoi alimenter le débat entre les fameux 60 millions de sélectionneurs qui hantent les comptoirs et les forums de France. Avant 1998, tout se passait pourtant sans psychodrame, rappelle L'Humanité. Jusqu'à ce funeste 23 mai 1998...

1998 : 28-6 = 22

Le moment fondateur du psychodrame-de-la-liste-et-de-la-cruauté-du-sélectionneur, c'est 1998. Aimé Jacquet, déjà très contesté, appelle dans un premier temps 28 joueurs à Clairefontaine (Yvelines). L'Equipe ironise sur cette liste élargie en titrant: "Et maintenant, on joue à treize ?" De son côté, France 3 rappelle en ouverture de son reportage "la réputation d'éternel indécis" d'Aimé Jacquet et regrette à demi-mots une "logique du moindre risque". 

Il choisit ensuite d'en recaler six. La téléréalité n'existe pas encore, mais le passage du sélectionneur dans les chambres des six malheureux, une froide nuit de mai à Clairefontaine, a comme un avant-goût de conseil à "Koh-Lanta".

Aimé Jacquet, liste des 22 dans les mains, le 23 mai 1998. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Les bannis, dont Nicolas Anelka, refusent la proposition du sélectionneur de rester jusqu'au lendemain pour partager un dernier petit-déjeuner avec leurs équipiers. A la place, un taxi, des valises faites à la hâte et des larmes. Cité par Libération, Aimé Jacquet évacue la question d'un pudique : "Ils ont été très dignes, nous nous sommes séparés avec une grande convivialité." Pas la presse : L'Equipe, en conflit ouvert avec Jacquet, parle alors d'"issue lamentable".

Cette méthode de sélection reste, avec le souvenir de la finale, le geste à la James Bond de Thuram contre la Croatie et la mascotte Footix, un des moments marquants de cette épopée des Bleus à domicile. Avec le recul, cette tempête dans un verre d'eau a transformé l'annonce de la liste en figure imposée de la com' du sélectionneur.

2000 : 12-1+7+1+1+1+1 = 22

Ça paraît compliqué comme ça, mais Roger Lemerre a d'abord convoqué 12 joueurs pour un stage à Tignes (Savoie), puis convoqué 18 joueurs pour l'Euro en Belgique et aux Pays-Bas en ôtant le seul Philippe Christanval des 12 de départ. Puis le successeur d'Aimé Jacquet a attendu que ses dernières stars arrivent avant le début de la compétition, car retenues par des échéances en club. Zéro polémique, zéro scandale, zéro départ de Clairefontaine en taxi... Un sans-faute.

2002 : 8+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1+1 = 23

"Je suis un homme d'additions", lâche Roger Lemerre au Parisien. Le sélectionneur invente l'équipe de France en kit à monter soi-même. Huit joueurs du championnat de France sont d'abord appelés, puis les stars des grands championnats européens arrivent au compte-gouttes. La presse sportive ronge son frein, sans polémique sur la liste des 23 à se mettre sous la dent.

L'avant-Coupe du monde au Japon et en Corée du Sud est inversement calme par rapport au déchaînement médiatique qui suit la piteuse élimination des Bleus dès le premier tour. Roger Lemerre confirme son statut d'homme d'additions en réclamant le paiement de ses deux ans de contrat après son éviction, ce qui met dans le rouge les comptes de la FFF.

Le sélectionneur des Bleus Roger Lemerre, après un match contre le Mexique, le 4 juin 2001.  (PATRICK HERTZOG / AFP)

2004 : 23+18-17-1 = 23

Avant d'emmener ses troupes au Portugal pour l'Euro, Jacques Santini a donné deux listes : 23 joueurs retenus et 18 réservistes chargés de garder la forme lors de leurs vacances au bout du monde. Hormis un remplacement de dernière minute, la sélection était passée comme une lettre à la poste, avant un match amical France-Brésil. Même les journalistes ne l'attendaient pas si tôt. En présentant une liste de 23 plus une seconde liste de remplaçants en cas de coup dur (dont certains choix un peu exotiques comme le gardien de Guingamp de l'époque, Ronan Le Crom), le sélectionneur désamorce toute polémique et laisse comme deux ronds de flan les journalistes, écrivent Les Cahiers du Foot.

2006 : 23+18-17-1 = 23

Pour le Mondial en Allemagne, Raymond Domenech dévoile sa sélection dans l'émission "Téléfoot"... sans faire aucun commentaire, si ce n'est sur le choix de Fabien Barthez comme n°1 chez les gardiens. Il réserve ses explications à SFR, partenaire de l'équipe de France, 24 heures plus tard. Cette fois, les commentaires sur la forme prennent le pas sur le fond. 

2008 : 30-7(+1 hélicoptère) = 23

C'est le grand retour de la liste élargie avec le couperet des trois coups secs frappés à la porte de la chambre, un soir de mai, à un mois de l'Euro en Suisse et en Autriche. "La méthode utilisée par Domenech est logique. L'intérêt d'une liste élargie, c'est l'équipe de France. Il lui faut donner toutes les chances de remporter l'Euro. Sur le fond, il a donc raison", juge Sabri Lamouchi, recalé en 1998, dans les colonnes de France Soir

Dix ans après, Nicolas Anelka parle, lui, de "mauvaise idée". Pierre Laigle, lui aussi privé de Mondial en 1998, évoque sur Football.fr "un souvenir qui [le] hante". Samir Nasri n'est pas de cette génération : le joueur de l'OM s'amuse à frapper à la porte de ses équipiers, tétanisés. Djibril Cissé, qui a eu vent de la blague, entend toquer, s'attend à voir le meneur de jeu des Bleus sur le pas de sa porte. Manque de chance, c'est Raymond Domenech et son staff qui lui annoncent qu'il ne fera pas partie de l'aventure...

Les joueurs écartés ont dû quitter Tignes en hélicoptère. Ce qui vaut au gardien de Lille, Mickaël Landreau, d'être ensuite chambré à chaque fois qu'un hélicoptère passe au-dessus du centre d'entraînement du club, comme il le raconte à L'Equipe"J'ai vécu le plus sale moment de ma carrière de sélectionneur", concède Domenech, même s'il explique avoir tiré les leçons du précédent de 1998. 

Raymond Domenech lors d'une conférence de presse, le 8 septembre 2009 à Belgrade (Serbie). (FRANCK FIFE / AFP)

2010 : 30-6-1 = 23

"Les Guignols de l'info" font dire à Domenech : "Pourquoi une liste de 30 ? Pour faire chier les journalistes." S'abritant derrière une règle de la Fifa, le sélectionneur retarde le plus possible l'échéance pour livrer sa liste définitive : d'abord 30, puis 24, puis 23 joueurs pour le Mondial en Afrique du Sud. Une stratégie de diversion, alliée à la personnalité controversée de Domenech, qui fait presque autant parler que l'absence de Karim Benzema. La suite, on la connaît.

2012 : 12+15-1-1-2 = 23

Laurent Blanc s'en va et laisse un vide dans l'encadrement des Bleus. (FRANCK FIFE / AFP)

Laurent Blanc, fragilisé par la non-reconduction de son contrat et les rumeurs insistantes qui envoient Didier Deschamps et Paul Le Guen à la tête des Bleus, présente d'abord une liste de 12 joueurs évoluant à l'étranger, puis 15 autres joueurs de Ligue 1 une semaine après. Le sélectionneur s'explique dans L'Equipe "Si je fais deux listes, ce n'est pas par plaisir mais parce que les championnats ne finissent pas en même temps." Avant l'Euro en Pologne et en Ukraine, il réduira la liste des 27 à 23 en se séparant des blessés et Yoann Gourcuff, coupable de ne pas avoir assez blagué avec les autres joueurs lors du stage de pré-compétition au Touquet, indique Le Parisien.

2014 : 30-7 = 23

Pour la première fois depuis seize ans, l'annonce de la liste se fait sans psychodrame dans l'opinion. Chez les proches de joueurs, en revanche... L'absence de Samir Nasri, sacré champion d'Angleterre quelques jours plus tôt, vaut en effet au sélectionneur un tweet agressif de la compagne du milieu mancunien, Anara Atanes : "Fuck France and fuck Deschamps ! What a shit manager !" Avant de qualifier l'Hexagone de "pays de racistes". Ce tweet, supprimé depuis, lui vaudra des poursuites judiciaires, qui n'ont rien donné à ce jour.

Face à la polémique, le joueur doit jouer les médiateurs sur le réseau social : "Anara, ne t'énerve pas. La vie est parfois injuste mais tu dois l'accepter et faire avec", écrit-il à l'adresse de sa petite amie.

Ce qui parait au premier abord comme une tuile – la blessure de Franck Ribéry s'avère une bénédiction pour l'équipe de France, qui reconquiert l'opinion en pratiquant un jeu attractif. Des joueurs émergent, comme Pogba et Griezmann. Ils sont toujours les têtes d'affiche des Bleus pour la campagne de 2016.

Alors, tellement français, le principe de liste élargie ? Non. En 1998, l'année même de l'affaire Jacquet, d'autres sélections, et pas des moindres, dont celles de l'Angleterre ou de la Belgique, avaient été annoncées en version élargie avant d'être rabotées à l'approche de la compétition. En 2010, l'Allemagne et l'Italie avaient donné une liste de 30 comme Domenech. Pour l'Euro 2012, le sélectionneur néerlandais a annoncé une pré-liste XXL de 36 joueurs. En 1978, la Fifa avait carrément exigé de tous les pays engagés une liste de 40 joueurs que les sélectionneurs devaient écrémer peu avant le Mondial argentin.

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