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Euro 2016 : les Diables rouges peuvent-ils redonner la frite à une Belgique divisée ?

Un éventuel succès des Diables rouges à l'Euro aurait un effet aussi éphémère que le succès de la France en 1998.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'équipe belge salue ses supporters après la victoire en huitièmes de finale contre la Hongrie (4-0), le 26 juin 2016 à Toulouse (Haute-Garonne). (VIRGINIE LEFOUR / BELGA MAG / AFP)

La Belgique s'en remet encore à ses Diables. Comme en 2014 pour le Mondial, la performance de l'équipe nationale entraînée par Marc Wilmots est scrutée pour son aspect sportif évidemment, mais également sous l'angle politique. Dans un pays encore traumatisé par les attentats de Bruxelles du 22 mars, et où les indépendantistes flamands ont un pied au gouvernement, quelles seraient les conséquences pour la Belgique d'une victoire des coéquipiers d'Eden Hazard à l'Euro 2016 ? Eléments de réponse avant le quart de finale des Diables rouges face au pays de Galles, vendredi 1er juillet.

La Belgique pour une fois fière de ses couleurs

Quand La Brabançonne, l'hymne belge, retentit dans les stades de l'Euro, on peine à ressentir le même frisson que lors d'un Fratelli d'Italia ou d'un God Save the Queen. Forcément, les supporters belges chantent sur le même air dans deux langues différentes. Pour la communion, on repassera. Pour la cacophonie, en revanche... Du coup, on ne la chante plus à Bruxelles, ville où se côtoient les deux communautés. C'est d'ailleurs tout le défi proposé à l'équipe menée par Marc Wilmots : faire chanter à l'unisson le pays.

De nombreuses opérations marketing organisées autour de la sélection encouragent les supporters à mettre en avant les couleurs du pays. "Pour les jeunes Flamands, chanter La Brabançonne et porter le maillot de l'équipe nationale, c'est totalement nouveau. Pour leurs grands-parents, c'étaient des symboles d'oppression", constate l'universitaire Jean-Michel De Waele, co-auteur du livre Soutenir l'équipe nationale de football, dont un chapitre est consacré au phénomène du supportérisme belge. Côté wallon, les symboles nationaux sont redevenus tendance, alors qu'ils ont longtemps été perçus comme de désuets synonymes de "la Belgique de papa".

Marc Wilmots, le "Belgicain"

Le sélectionneur belge Marc Wilmots en compagnie du milieu de terrain Axel Witsel, lors du match contre l'Irlande, à Bordeaux (Gironde), le 18 juin 2016. (LOIC VENANCE / AFP)

"L'équipe nationale bénéficie d'un traitement quasiment hagiographique dans les médias, comparable à celui de la famille royale, constate Nicolas Baygert, spécialiste belge de la communication. Critiquer la sélection, c'est commettre un crime de 'lèse-belgitude'. En forçant le trait, on a l'impression que critiquer Marc Wilmots, c'est faire le jeu de la Nieuw-Vlaamse Alliantie [le parti indépendantiste flamand de Bart De Wever]."

Wilmots est un fin politique – à défaut d'être un fin tacticien, persifle la presse flamande qui reproche au sélectionneur de ne pas lui donner de scoop. L'ancien sénateur conservateur surjoue le côté "United Colors of Belgium" de son équipe. Il a ainsi mis fin à la tradition des deux tables séparées pour francophones et néerlandophones, rappelle La Dernière Heure. Et il cohabite sur le banc avec Vital Borkelmans, son adjoint, qui s'est présenté sous les couleurs de la N-VA à une élection locale. "Wilmots est très Belgicain [le terme utilisé pour parler des gens favorables à l'unité de la Belgique]", résume Jean-Michel De Waele.

Les indépendantistes flamands gênés aux entournures

De son côté, le parti indépendantiste flamand se fait discret sur le succès des Diables rouges, qui figurent parmi les sérieux outsiders de l'Euro. En 2012, rappelle L'Avenir, il critiquait pourtant ouvertement les couleurs du maillot national – les liserets noirs et jaunes étaient de trop, pour eux – et raillait : "Le Palais et l'establishment belge s'accrochent au football comme à un fétu, mais c'est une tentative désespérée de renverser la tendance." Depuis le bon parcours de la sélection nationale au Mondial 2014, achevé en quarts de finale contre l'Argentine, on entend moins la Nieuw-Vlaamse Alliantie. Quand une députée a demandé une standing-ovation pour la première place au classement Fifa à l'automne 2015, les députés du N-VA ont fixé leurs chaussures, note la RTBF



Theo Francken, secrétaire d'Etat à l'Asile et aux migrations, résume bien la position d'équilibriste du parti flamand, qui exprime son "respect" pour l'équipe nationale, tout en assurant qu'on ne le prendra jamais "un drapeau belge à la main". Paradoxalement, alors que les ventes de drapeaux belges explosent dans le nord du pays, et que les audiences télé y sont plus importantes qu'en Wallonie, le vote N-VA se porte toujours aussi bien. "On peut voter pour la N-VA et soutenir les Diables rouges, insiste Jean-Michel De Waele. Leur électorat ne s'attache pas qu'au volet indépendantiste de leur programme, mais aussi aux aspects économiques ou populistes." Inversement, mis à part Vincent Kompany (forfait pour cet Euro), dont le père a rejoint un parti centriste, aucun Diable rouge n'a pris position pour un parti politique, rappelle Sudpresse. Les footballeurs belges font de la politique à leur corps défendant.

L'invisible Charles Michel

N'empêche, cette timidité du parti indépendantiste rejaillit aussi sur le gouvernement. Si le roi Philippe a fait le déplacement pour assister au match face à l'Irlande, samedi 18 juin, on voit surtout le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders en tribune officielle, une écharpe aux couleurs des Diables autour du cou. Reynders est un fan de foot assumé, qui ne cache pas son amour du Standard de Liège. Mais quid du Premier ministre Charles Michel, invisible jusqu'à présent quand son prédécesseur Elio di Rupo avait fait le déplacement jusqu'au Brésil pour assister au quart de finale ?

"Le gouvernement fédéral ne capitalise pas du tout sur l'évènement, s'interroge Nicolas Baygert. Est-ce un accord tacite pour établir une trêve politique, pour ne pas embarrasser les indépendantistes flamands qui ont la majorité des maroquins ministériels ?" Jusqu'à présent, le Premier ministre se contente de... tweeter en anglais pour féliciter les joueurs quand le compte du Palais royal effectue un live-tweet exhaustif de chaque match.

Aucune chance de croiser le ministre de l'Intérieur flamand Jan Jambon dans les travées d'un stade de l'Euro, donc. Pour les croiser plus sûrement, misez sur... les courses cyclistes. Où on voit quasi exclusivement des drapeaux frappés du lion des Flandres sur le bord de la route et où le maillot national belge pour les championnats du monde est à dominante... bleue.

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